Le paradoxe de la colère bretonne

Par Giulietta Gamberini  |   |  587  mots
En Bretagne, le chômage est inférieur à la moyenne nationale.
L'agitation de la Bretagne peut paraître surprenante rapportée aux indicateurs du dynamisme de la région. Mais la fièvre trouve ses sources dans les racines mêmes de l'économie et de l'identité bretonnes, explique une analyse de l'Ifop.

La Bretagne s'embrase… et pourtant, elle ne va pas si mal, rappelle une analyse publiée par l'Ifop. Non seulement sa population augmente de manière régulière, mais le chômage, qui a crû récemment, y est néanmoins inférieur à la moyenne nationale. Les Bretons propriétaires de leur logement sont plus de 7 sur 10, contre moins de 6 sur 10 pour l'ensemble des Français.

D'autres critères pertinents pour mesurer le développement d'un territoire (taux de réussite au baccalauréat, nombre d'enfants obèses) confirment la bonne santé de la société bretonne qui, jusqu'à présent, s'était d'ailleurs montrée peu encline à voter FN ainsi que favorable au développement de l'UE lors des scrutins européens.

Frappée au coeur

Alors, que s'est-il passé en Bretagne pour que cette région devienne le fer de lance de la contestation ? L'attaque du cœur de l'économie régionale et le traumatisme qui a suivi sont la principale explication de la conflagration, selon l'Ifop. L'agroalimentaire, dont plusieurs sites ont fermé en quelques mois (Doux, Gad, Marine Harvest, Tilly Sabco…), représente en effet un tiers des emplois de la région.

Pas étonnant du coup que la confiance dans l'avenir local ait reculé de 43 points depuis décembre 2012 (déscendant à 33%) et que la crise du secteur agricole et agro-alimentaire soit désormais citée parmi les deux principaux points faibles de la Bretagne par 76% des habitants (contre 45% fin 2012).

Le diagnostic des causes est d'ailleurs très lucide, observe l'Ifop : 56% des Bretons interrogés pointent la concurrence des pays aux bas salaires, plutôt que le ralentissement de la consommation ou les erreurs stratégiques de la filière.

Les principaux points faibles de la Bretagne
Question : Quels sont aujourd'hui, selon vous, les deux principaux points faibles de la Bretagne?

Les raisons des difficultés dans le secteur de l'agro-alimentaire
Question : Selon vous, les graves difficultés auxquelles est actuellement confronté le secteur de l'agro-alimentaire breton (entreprises Gad, Doux, Marine Harvest, etc.) sont dues d'abord …?

Union romantique

La tradition de coopération des milieux socio-économiques bretons (par des réseaux comme le Comité d'étude et de liaison des intérêts bretons ou Produit en Bretagne) et le recours à de symboles historiques (comme les bonnets rouges, en référence au soulèvement de 1675) ont permis de fédérer diverses catégories sociales et de jouer sur l'imaginaire d'une Bretagne unie (bien que, remarque l'étude, des conflits internes se soient manifestés).

Surtout, la lutte contre l'écotaxe a permis de mettre en lien le traumatisme des licenciements dans l'agro-alimentaire (secteur très dépendant des transports) avec la tradition antijacobine, sur fond de ras-le-bol fiscal (qui, lui, n'a rien de spécifiquement breton…). Ce qui n'a fait qu'accélérer et amplifier les réactions, notamment en Basse-Bretagne, plus touchée par la crise de l'agro-alimentaire.

Le feu n'est pas éteint

Face à cet enracinement des causes de la colère, la suspension de l'écotaxe annoncée par le gouvernement pourra peut-être calmer les esprits quelques temps, mais n'éteindra pas le feu, estime l'Ifop. L'angoisse semble plutôt s'incarner politiquement, à en juger par un récent sondage réalisé par le même institut pour Valeurs Actuelles, selon lequel 35 % des Bretons se diraient « très proches » ou « assez proches » des idées de Marine Le Pen ( 34% pour l'ensemble des Français).

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>>> ETUDE Lire aussi l'étude de l'Ifop : pourquoi la Bretagne s'enflamme ?