Le made in France ? Pourquoi les entreprises n'en ont cure !

Par Fabien Piliu  |   |  1634  mots
Seuls 13% des entreprises déclarent avoir des objectifs « Made in France » pour 2014 !
Les efforts du ministère du Redressement productif pour promouvoir le made in France sont-ils vains ? Selon une enquête réalisée par la société de conseil AgileBuyer, en coopération avec le groupement achats et « supply chain » d'HEC, seules 13% des 558 entreprises interrogées déclarent avoir des objectifs « made in France » pour 2014. Soit 6 points de moins qu’en 2013.

Poser en marinière n'aura pas été suffisant ! En 2014, Arnaud Montebourg, le ministre du redressement productif devra encore faire œuvre d'imagination pour promouvoir le made in France auprès des entreprises.

Heureusement, les ménages sont bien plus sensibles sur le sujet. En effet, malgré les tensions sur leur pouvoir d'achat, la majorité des consommateurs français se disent prêts à donner la priorité aux produits fabriqués dans l'Hexagone. C'est l'un des enseignements majeur d'un sondage IFOP publiée l'année dernière, celui-ci indiquant que 77% des personnes interrogées jugeaient que le critère de fabrication française " est suffisamment important pour justifier de payer plus cher un produit ".

Réalisé par l'IFOP pour l'Usine nouvelle, un autre sondage enfonce le clou. Il indique que l'importance du pays de fabrication lors du choix d'un produit ou d'un service est critère de choix important ou déterminant pour 57% des Français interrogés, 65% des Italiens et 52% des Allemands.

De moins en moins de d'entreprises concernées par le made in France

En revanche, les entreprises ne semblent pas avoir la même fibre patriotique. Selon une enquête réalisée par la société de conseil AgileBuyer en coopération avec le groupement achats et " supply chain " d'HEC, seules 13% des 558 entreprises interrogées déclarent avoir des objectifs " made in France " pour 2014. Elles étaient 19% en 2013. " L'action médiatique des promoteurs du made in France en 2013 laissait entrevoir que la fibre patriotique des Acheteurs allaient se renforcer. C'est tout l'inverse qui s'est produit ", explique l'étude.

Des différences sectorielles apparaissent. Ainsi, avec 44% des entreprises qui ont des objectifs d'achats français, le secteur de l'hôtellerie/restauration est en tête des secteurs attirés par le made in France, " ce qui s'explique sans doute par la recherche de la qualité et de l'exclusivité des produits vendus ", avance AgileBuyer.

Viennent ensuite l'ingénierie et la recherche & développement (31%), la construction (29%), les transports et la logistique (21%). Des sommets bien peu élevés… A l'inverse, les télécommunications et l'agroalimentaire (4%), la chimie (6%) ou encore les équipements électriques et électroniques sont encore moins concernés par le made in France.

Les produits français sont très appréciés hors de nos frontières

Comment expliquer ce phénomène alors que 67% des personnes interrogées indiquent qu'ils n'ont aucune contrainte pour acheter des produits " made in France " ? Ces derniers sont-ils de mauvaise qualité, ce qui entraînerait la défiance des donneurs d'ordres ? Une lecture attentive d'une étude récente de COE Rexecode permet de balayer cette hypothèse. Réalisée tous les deux ans, celle-ci indique que les biens intermédiaires et les biens d'équipement mécaniques français sont positionnés au troisième rang sur dix concurrents mondiaux, en terme de qualité derrière l'Allemagne et le Japon. Les délais de livraison, le contenu en innovation technologique sont très bien notés. Seuls points noirs, la variété des fournisseurs et le prix !

Une autre explication peut être avancée. Pour 14% des entreprises, le choix des entreprises s'explique par le fait que le bien ou le service recherché ne se trouve pas en France. Le coût des productions françaises est-il trop élevé ? C'est un argument avancé par 12% des professionnels des achats. Enfin, 4% d'entre eux indiquent qu'ils se voient imposer leurs achats par leurs clients. En clair, si l'entreprise veut séduire ou conserver son client, elle se plie à sa volonté de privilégier l'offre locale.

Le taux de marge a atteint un plancher inédit depuis 1985

L'ensemble de ces explication étant insuffisantes pour comprendre cet " oubli " global du made in France, il est préférable de chercher des explications dans la situation financière des entreprises. Selon l'Insee, le taux de marge des entreprises françaises s'est replié de 0,5 point entre le deuxième et le troisième trimestre pour atteindre son plus bas niveau depuis fin 1985 : 27,7% ! Une chute qui s'explique en grande partie par la baisse de l'excédent brut d'exploitation, marqué par le relèvement de la fiscalité (cotisations et impôts liés à la production) et par la légère augmentation de la masse salariale, que ne compense pas la faiblesse actuelle du coût de financement bancaire.

Selon l'Insee, la mise en place du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) en 2014 devrait relever de 1,1 point le taux de marges des entreprises. Cette hausse sera-t-elle suffisante pour donner un plus de marge de manœuvre financière aux entreprises ? Ce n'est pas certain. Même le gouvernement n'y croit pas. Lors de ses vœux aux Français, François Hollande n'a-t-il pas évoqué de probables en échange d'une augmentation des embauches ? " En 2014, nous aurons besoin de la mobilisation de tous pour gagner cette bataille. C'est pourquoi je propose un pacte de responsabilité aux entreprises. Il est fondé sur un principe simple : moins de charges sur le travail, moins de contraintes sur leurs activités et, en contrepartie, plus d'embauches et plus de dialogue social ", a déclaré le président de la République lors de la Saint Sylvestre.

Les services achats des entreprises réduisent la voilure

En attendant, les services achats des entreprises serrent la vis et passent au crible toutes leurs dépenses. Résultat, 77% des professionnels des achats interrogés affirment que leur objectif premier pour l'année 2014 sera la réduction des coûts, ce qui représente une hausse de 4 points par rapport à 2013. " C'est un grand classique : les Achats sont en première ligne quand il faut réduire les coûts. C'est aussi un bon indicateur de la conjoncture économique et celui-ci n'incite pas forcément à l'optimisme ", explique l'étude d'AgileBuyer.

Les entreprises allemandes sont-elles exemplaires ?

A la lecture des nombreuses déclarations d'Arnaud Montebourg sur ce thème, à ce défaut de patriotisme français répondrait une exaltation du sentiment national outre-Rhin. Quelle est la réalité ? C'est difficile à dire. Héritage de la seconde guerre mondiale, nos voisins allemands auront toutes les peines du monde à proclamer ouvertement leurs sentiments patriotiques. En revanche, les relations inter-entreprises sont très fortes en Allemagne, comme l'explique un rapport de la Chambre de commerce et d'industrie de Paris publié en septembre 2012. 

" A contrario de la France, la stratégie allemande repose également sur la volonté de nouer des relations de qualité avec leurs réseaux de partenaires et de sous-traitants. Les grands groupes privilégient des collaborations dans la durée avec leurs fournisseurs. L'Allemagne part, en effet, du principe que tout produit de qualité exige une chaîne de production saine, dont chaque maillon doit tirer un bénéfice. Par ailleurs, l'image de marque des produits allemands s'appuie fortement sur leur respect de normes. La normalisation fait ainsi partie intégrante de la stratégie et de la politique de développement des entreprises outre-Rhin. C'est un critère de réussite à l'exportation. Cet attachement à la norme se traduit dans certains cas par des exigences spécifiques de certification obligatoire à l'entrée du pays qui peuvent être assimilées à une barrière à l'entrée pour les produits étrangers ", explique ce rapport.

À titre d'exemple, en juin 2012, la Commission européenne a décidé de renvoyer l'Allemagne devant la Cour de justice de l'Union européenne pour non?respect des règles européennes harmonisant la commercialisation des produits de construction. Du fait de ce refus d'appliquer les règles, les fabricants d'autres États membres ont beaucoup de mal à vendre des produits de construction sur le marché allemand.

Des liens de solidarité très forts outre-Rhin

Et le rapport de poursuivre. " Certaines pratiques outre-Rhin peuvent, à ce titre, faire figure d'exemple pour la France. En effet, les solidarités interentreprises et intersectorielles sont courantes en Allemagne. Elles sont portées par chaque acteur de la chaîne de valeur, y compris par le consommateur très réceptif à cet argument en faveur de la qualité globale. Ce principe de conditionnalité des produits aux normes et règles d'usage s'applique déjà en Allemagne et fait figure de pratiques usuelles, les liens de solidarité entre industrie, services, commerce et tout acteur économique étant culturellement très étroits. Ce système participe à la fluidité des rapports entre industriels et autres acteurs économiques contribuant ainsi à bâtir une industrie forte sur la scène nationale et internationale ".

Dans ce contexte, Jean-Claude Karpelès, l'auteur de ce rapport et vice-président de la CCIP, propose notamment d'intégrer au sein des entreprises " une vision décloisonnée de la fonction achat comme c'est le cas en Allemagne. Dans ce pays, la transversalité et l'ouverture des formations et des métiers d'acheteurs, notamment leurs contacts avec des techniciens, permettent de porter des politiques d'achats privilégiant la qualité ".

L'Etat à la rescousse !

A la médiation des relations inter-entreprises placée sous la tutelle du ministère du redressement productif, on planche activement sur le sujet. Une charte et un label ont été successivement lancés pour que les achats responsables deviennent la norme. Mais, il est à craindre que tant que les difficultés financières des entreprises perdureront, la rationalité économique primera sur la solidarité nationale.

Le gouvernement peut-il faire plus ? Promise par Arnaud Montebourg, la prochaine réforme du code des marchés publics devraient permettre aux PME, notamment les plus innovantes d'entre elles de profiter davantage des 200 milliards annuels de commande publique. " Il va falloir que l'on botte les fesses des acheteurs publics. A cause de leur professionnalisme juridique, des champions de demain sont abandonnées en rase campagne, faute de pouvoir gagner des marchés publics ", avait tonné le ministre le 5 novembre lors de la présentation du plan gouvernemental en faveur de l'innovation. C'est toujours ça.