" La France doit se projeter sur les mers ! "

Par Fabien Piliu  |   |  1215  mots
"Le ministère des DOM TOM ne doit plus être un ministère de gestion mais un ministère de mission avec des objectifs de développement bien précis"
La France dispose du deuxième domaine maritime mondial, derrière les Etats-Unis. Pourtant, les gouvernements successifs n’ont pas été capables de construire une politique maritime digne de ce nom, préférant tenter de dupliquer le modèle économique allemand basé sur le développement de l’industrie à l’export. En plusieurs volets, La Tribune enquête sur cet « oubli » de la politique économique gouvernementale et sur les opportunités de développement qu’offrent nos territoires ultra-marins. Après avoir fait un point sur l’importance du domaine maritime nationale, un entretien avec Michel Rocard, l’ancien Premier ministre à l’origine des premières initiatives favorisant l’essor économique des DOM TOM illustre le troisième volet de cette série d'été.

La Tribune - Pour beaucoup d'experts, vous êtes le premier homme politique à vous être penché sur la situation des DOM TOM lors de votre passage au ministère du Plan et de l'Aménagement du territoire, de 1981 à 1983, puis à Matignon, de 1988 à 1991. Comment justifiez-vous votre action ?

Michel Rocard - En tant que ministre du Plan, j'avais pour mission d'élaborer la programmation de l'avenir économique tricolore ce qui, soit dit au passage, était assez savoureux, François Mitterrand étant un homme du court terme, un homme de « coups ». Les DOM-TOM étaient évidemment concernés par cette mission.

Connaissiez-vous la France outre-mer ?

Je n'y avais jamais mis les pieds ! Je n'en connaissais que le passé colonial et des cartes postales de plages paradisiaques.

Quelle était la réalité ?

Les DOM TOM étaient dans une situation déplorable. L'industrie était à peine embryonnaire et l'agriculture déclinait. A l'exception de la Nouvelle-Calédonie, qui affichait une balance commerciale excédentaire, tous ces territoires étaient dans l'impasse économique. Ils importaient entre 90% et 95% de ce qu'ils consommaient. Même les jus de fruits venaient d'ailleurs. Pourtant, la plupart de ces îles possèdent et possédaient des sources d'eau et des fruits abondantes ! Résultat, les excès de population entraînaient d'importants phénomènes migratoires vers la métropole. Ces territoires étaient au bord de l'implosion sociale. Je voyais arriver la catastrophe.

Comment en était-on arrivé là ?

Trois éléments peuvent être avancés. Comme les importateurs avaient la mainmise sur la plupart des activités économiques, ils avaient tout intérêt à étouffer les initiatives entrepreneuriales. En outre, l'essentiel des ressources fiscales de ces territoires étant assurées par l'octroi de mer, la taxe pesant sur les marchandises transitant par les ports, les Chambres de commerce et d'industrie locales n'étaient en aucune manière à inciter à stimuler l'économie. A ces blocages structurels s'ajoutaient des obstacles institutionnels.

Lesquels ?

En dressant l'inventaire de la situation économique et sociale des DOM -TOM, j'ai découvert le principe de l'exclusive. Ce principe, qui datait de Louis XIV et de Colbert, empêchait les opérateurs publics mais aussi privés d'avoir des relations administratives et commerciales avec les pays étrangers voisins, et donc avec les ambassadeurs français des pays voisins. Tout devait passer par Paris. C'était aberrant. A cause de ce principe hérité de l'économie de traite, nous avons perdu plusieurs contrats commerciaux qui auraient pu favoriser le développement économique de ces territoires.

Quelles mesures avez-vous prises ?

C'est en tant que Premier ministre que j'ai mis fin au principe de l'exclusive. Pour ce faire, j'ai créé les secrétariats de coordination, des structures obligatoires au sein desquelles se rencontraient les préfets, les Hauts-commissaires et les ambassadeurs des pays frontaliers. Grâce à ce réseau, la France pouvait commencer à tisser des liens diplomatiques et commerciaux via ses territoires ultra-marins.

Les DOM TOM ont-ils été concernés par le processus de décentralisation initié dès l'arrivée de François Mitterrand au pouvoir ?

Ils ne pouvaient en aucun cas en être exclus. Dans ce contexte, la loi de 1982 a créé des contrats de plan avec des clauses contractuelles de droit privé. Toutes les régions l'ont signé. Cette loi prévoyait que les Régions avaient l'autorisation de négocier, par exemple, des contrats de développement avec les régions frontalières. La Guadeloupe, la Martinique et La Réunion ont saisi cette opportunité. L'idée sous-jacente était d'autoriser enfin les Régions à négocier avec les puissances étrangères, ce qui était mal acceptée par tous les partis Jacobins, farouchement attachés à la domination de Paris sur le reste des territoires français.

Cette politique de désenclavement des territoires ultra-marins a-t-elle portée ses fruits ?

Il faut bien admettre que les choses avancent assez doucement. La diffusion d'une culture politique et économique prend du temps. Certaines initiatives sont néanmoins porteuses d'espoir. Grâce au développement de centrales brûlant de la bagasse, la paille issue du traitement de la canne à sucre, l'Ile de la Réunion tente de parvenir à l'indépendance énergétique. Ce savoir-faire ne pourrait-il pas être exporté ? Les travaux et les projets menés par le Cluster maritime français, qui se penche notamment sur les services portuaires du futur, sur la connaissance et l'exploitation des grands fonds marins, sont aussi très prometteurs. Il faut bien que la classe politique et les forces vives de ce pays prennent enfin conscience que ce n'est pas en copiant l'Allemagne que la France restera une grande puissance économique mais en se projetant sur les mers. Ce doit être une priorité.

Pourtant, les gouvernements successifs de droite comme de gauche s'acharnent à vouloir dupliquer le modèle allemand, malgré les difficultés industrielles chroniques de la France incitent. Font-ils fausse route ?

En partie, je le crains. Les principaux atouts de l'industrie allemande reposent sur la force de leurs filières sidérurgiques et chimiques qui datent de la fin du XIXème siècle et qui structurent une grande partie de l'économie outre-Rhin. Il est très difficile de pouvoir lutter dans ces domaines précis. Mais la France a bien d'autres atouts à faire valoir. C'est bien évidemment le cas dans certains secteurs industriels comme l'aéronautique et le spatial mais aussi et surtout dans le domaine maritime. Il y a tant à faire, à construire, que ce soit dans le domaine énergétique, le développement durable ou l'alimentaire.

Quel rôle peut jouer le ministère des DOM TOM ?

C'est une question très importante. Sur le plan institutionnel, les DOM-TOM payent beaucoup les conséquences du fait que leurs affaires soient gérées par un ministère des DOM-TOM qui est trop petit pour être efficace et pour assurer le développement social et économique de ces territoires. Ce ministère ne doit plus être un ministère de gestion mais un ministère de mission avec des objectifs de développement bien précis.

Vous êtes ambassadeur de France chargé des négociations internationales relatives aux pôles Arctique et Antarctique. Quels sont les intérêts de la France dans ces zones ?

Je vais être clair. En Arctique et en Antarctique, la France mène exclusivement une politique d'intérêt général. En Arctique, en permettant l'exploitation de sous-sols marins jusqu'ici inaccessibles, la fonte des glaces entraîne des problèmes qui ne se posaient pas avant. Savez-vous que l'Arctique regorge de matières premières, que dans son sol se trouverait 30% des réserves mondiales de gaz naturel et de 14% des réserves de pétrole ? Cette richesse encore inexploitée attire bien des convoitises.

Dans ce contexte, il faut trouver des solutions collectives pour résoudre les problèmes d'intérêts nationaux puisque, à terme, une fois les revendications territoriales acceptées, il ne restera que 10% d'eaux libres. C'est le sens de ma mission. En Antarctique, outre des travaux de recherche dans les deux bases installées en Terre Adélie et à Concordia, la France mène avec les marines américaine et australienne une mission de préservation de l'environnement naturel dans le cadre du traité de l'Antarctique.

 

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