Jacques Servier, du petit laboratoire d'Orléans à l'affaire Mediator

Par latribune.fr  |   |  539  mots
Le médecin devenu industriel a conservé un pied dans son entreprise jusqu'à la fin de sa vie, même après plusieurs accidents cérébraux. (Photo : Reuters)
Le fondateur des laboratoires auxquels il a donné son nom est mort mercredi à l'âge de 92 ans. Retour sur le parcours d'un industriel controversé de la pharmacie française.

L'homme du "Mediator" est mort. Jacques Servier a disparu le 16 avril à l'âge de 92 ans ont indiqué mercredi soir les laboratoires qu'il a fondé il y a tout juste soixante ans. 

 Ce fils d'un industriel et pharmacien de l'Indre était lui-même docteur en médecine et en pharmacie. En 1954, il rachète des laboratoires familiaux à Orléans et lance rapidement ses deux premières molécules. Il fera de Servier son empire, et le deuxième groupe pharmaceutique français. De quoi lui attribuer le sobriquet de "Dassault du médicament" comme l'évoque un long portrait paru dans le Nouvel Observateur en 2011. L'industriel qui a occupé plusieurs postes importants - dont la présidence du conseil de l'ordre national des pharmaciens - est également connu pour ses prises de positions très arrêtées. 

"Le super-Etat vole à l'entreprise sa chair"

Auteur de plusieurs livres, il écrit dans "la Passion d'entreprendre" paru en 1991:

"Une entreprise est une sorte de tribu, de celles dont nous parle la Bible. Une tribu qui traverse un désert hostile parsemé de rares oasis."*

Ou encore, pour marquer son hostilité aux interventions de l'Etat dans les affaires des entreprises :

"Le super-Etat vole à l'entreprise sa chair, à l'entrepreneur son patrimoine, au peuple son sang."* 

Ce qui ne l'a pas empêché d'être proche de certains hommes politiques, notamment le président Pompidou. Plus tard, François Mitterrand lui a décerné la légion d'honneur en 1985 et Nicolas Sarkozy l'a élevé au rang de grand-croix. 

"Papy" garde un oeil sur Servier

Le médecin devenu industriel, surnommé "papy" dans ses usines, a conservé un pied dans son entreprise jusqu'à la fin de sa vie, même après plusieurs accidents cérébraux. 

Aujourd'hui, le groupe pharmaceutique emploie 21.000 personnes dont 3.000 chercheurs. Le chiffre d'affaires de cette société non cotée a atteint 4,2 milliards d'euros pour 2013, selon des chiffres publiés sur son site. Servier et sa famille (il a quatre filles) occupaient en 2013 la 23e position du classement des grandes fortunes françaises dressé par Challenges avec un patrimoine évalué à plus de 2,3 milliards d'euros. 

L'affaire Mediator

Le nom de Jacques Servier est associé à l'affaire du Mediator, un antidiabétique fréquemment prescrit comme coupe-faim qui aurait causé la mort de près de 2.000 personnes en France. Il provoquait valvulopathies et hypertension artérielle pulmonaire selon plusieurs études. Le médicament a été retiré de la vente en 2010 après avoir été autorisé pendant 20 ans. Le laboratoire et Jacques Servier lui-même étaient poursuivis par la justice, l'homme d'affaire étant plus précisément mis en cause pour "tromperie aggravée". Sur cette affaire, il s'est défendu en allant jusqu'à parler de "théorie du complot" dans les colonnes du Monde

Après l'annonce de cette disparition, Irène Frachon, la pneumologue brestoise qui avait dénoncé les dangers du Médiator, a affirmé  que "la justice ne s'arrête pas, et les victimes doivent le savoir". Qualifiant Jacques Serviers de "manipulateur" et "d'escroc", elle a souligné:

"Si la personne a disparu, le nom de Jacques Servier et ses collaborateurs auront à répondre des crimes devant la Justice."

 ------

* Citations extraites du portrait de Jacques Servier publié par Libération publié en 2010.