Les présidents et la fiscalité (1/5) : Giscard ou la hausse d'impôt en catimini

Par Ivan Best  |   |  1207  mots
La Tribune publie une série d'été sur les cinq derniers présidents de la cinquième république et leur politique fiscale. Aujourd'hui: Valéry Giscard d'Estaing

« Au-delà de 40% de prélèvements obligatoires (en proportion du PIB), nous basculerons dans le socialisme... ». Valéry Giscard d'Estaing, alors chef de l'Etat, avait ce genre de phrase définitive. Apôtre d'une « société libérale avancée », il craignait l'envolée des impôts en tous genres. Et voyait s'approcher ce seuil fatidique des 40%, synonyme de changement de société, à ses yeux, du moins.
VGE n'était pourtant pas à un paradoxe près.  Certes, il entendait dénoncer la frénésie fiscale. Mais cela ne l'a pas empêché de décrocher haut la main le titre de recordman des hausses d'impôts, toutes tendances confondues. Sous son septennat, de 1974 à 1981, les prélèvements obligatoires sont passés de 33,5% du PIB à 39,4%, une hausse de six points qu'aucun de ses prédécesseurs n'avait approchée, et que ses successeurs n'ont jamais atteinte.

Libéraliser l'économie française

Un dérapage pas vraiment prévu par Giscard d'Estaing lors de son arrivée au pouvoir en avril 1974. Celui qui avait été ministre des Finances dans quasiment tous les gouvernements s'étant succédé depuis 1962 -à l'exception d'une parenthèse entre 1996 et 1969- était évidemment un fin connaisseur du sujet, et avait des idées arrêtées sur la politique fiscale à mener.
Elle devait s'inscrire dans un projet global de « libéralisation » de l'économie française. VGE pensait d'abord à la libération des prix, qu'il est loin d'avoir mené à son terme -en 1980, le prix de la baguette de pain était encore fixé dans les bureaux du ministère des Finances, rue de Rivoli- , mais aussi à celle du financement de l'économie, auquel il voulut associer tous les Français. D'où la naissance d'une fiscalité favorable à l'épargne, visant à orienter celle-ci. Il fut ainsi possible, sous Giscard, de réduire son impôt en achetant des Sicav -il fallait seulement que le solde entre les achats et les ventes soit positif.

Réguler la conjoncture

Mais ce qui a marqué surtout la politique fiscale sous le «règne » de Valéry Giscard d'Estaing, c'est d'abord, de 1974 à 1978, l'utilisation de l'arme fiscale pour tenter de réguler la conjoncture -une politique à l'opposé de celle menée aujourd'hui, alors que le gouvernement considère que la fiscalité n'a aucun rôle à jouer dans ce domaine et semble persuadé que les hausses d'impôts destinée à réduire le déficit ont eu peu d'impact sur la croissance-, puis, en fin de septennat, la recherche, sous l'influence de Raymond Barre ,de l'équilibre budgétaire, à coup d'augmentations de la fiscalité.

Un "fine tuning" pas très...fin

Le moins que l'on puisse dire, c'est que la politique de réglage de la conjoncture, menée entre 1974 et 1978, ce qu'on appelait alors le « fine tuning » peine à porter ses fruits. Sans caricaturer outre mesure, le constat s'impose d'une course poursuite entre l'évolution de la conjoncture et les mesures prises : elles arrivent toujours trop tard, et sont alors décalée de la réalité de la situation économique.
Ainsi, face au choc pétrolier, de 1973, le gouvernement Messmer, sous Pompidou, a pris des mesures de freinage de l'activité, destinées à modérer l'inflation. A peine élu, VGE décide d'aller plus loin. La loi de finances rectificative de 1974 -les budgets rectificatifs d'été ne datent pas d'aujourd'hui !- renforce encore cette politique. Vite, vite, il faut freiner la hausse des prix ! Comment ? En ralentissant la demande, et donc en diminuant le revenu disponible, aussi bien des particuliers que des entreprises. Une majoration exceptionnelle d'impôt, qui va de 5 à 20%, selon les revenus, est instituée. Pour les entreprises, c'est une contribution exceptionnelle d'impôt sur les sociétés, à hauteur de 18%. Parallèlement, il est mis fin au système de la patente, qui frappe notamment les commerçants. Est créée la taxe professionnelle, qui va imposer beaucoup plus lourdement l'industrie, au bénéfice de petit commerce. Stratégie électorale?

Toujours est-il que,  peu de temps après l'entrée en vigueur de mesures visant à "refroidir" l'économie,  il apparaît,  dès l'automne 1974, que l'économie va mal, et que la lutte contre l'inflation ne peut plus être l'objectif principal : il faut combattre la dépression. Aussi, pour 1975, sont prises des mesures contraires aux précédentes. La majoration d'impôt sur le revenu est remboursée par anticipation, le paiement de l'impôt sur les sociétés est étalé dans le temps, et une aide à l'investissement est mise en place sous forme de déduction de TVA.

De la baisse de la TVA à l'impôt sécheresse

S'agissant de cet impôt, les hauts fonctionnaires de la rue de Rivoli voient bien qu'il peut jouer un rôle dans le combat contre l'inflation galopante, selon l'expression alors utilisée : une baisse de TVA serait assurément meilleure pour l'économie qu'un prélèvement supplémentaire sur le revenu. Ainsi, le taux normal de TVA est-il ramené de 20% à 17,6% en 1977. De quoi soutenir le pouvoir d'achat.
Mais le fameux impôt sécheresse de 1976 (une majoration de 4 à 8% de l'impôt dû selon le montant de celui-ci) ira dans le sens contraire. Il est décidé en même temps que le non moins fameux plan Barre, qui passe par un coup de frein donné aux salaires et une série de hausses d'impôts indirects -taxes sur les alcools, augmentation de la vignette auto....

Les recettes galopantes de l'impôt sur le revenu

Surtout, Raymond Barre va décider avec VGE une augmentation tout à la fois substantielle mais peu transparente -quasiment en catimini- de l'impôt sur le revenu. Comment ? Alors que s'est imposée à partir de 1981 l'idée que les tranches du barème de l'impôt doivent être revalorisées selon l'inflation -sinon, le seul maintien du pouvoir d'achat salarial conduit à un alourdissement continu, année après année, de l'imposition- ce n'était pas le cas sous Giscard. Ce qui, avec une hausse des prix supérieure à 10% n'avait rien de neutre. Ainsi, pour 1980, alors que le barème comporte alors 13 tranches, seules les deux premières sont revalorisées à hauteur de l'inflation, les autres nettement moins, et les trois dernières pas du tout.
Conséquence : un alourdissement conséquent de l'impôt pour les classes dites moyennes. Qu'on en juge : selon les calculs de l'économiste Jean-Yves Nizet*, le rendement global de l'impôt sur le revenu a crû de 18% par an en moyenne de 1973 à 1980. Or, sur cette même période, la hausse des prix n'a été « que » de 10,9%, en moyenne.
L'alourdissement de la facture pour les classes moyennes s'est accompagnée d'une hausse faramineuse du nombre de contribuables : +43% entre 1970 et 1980 ! Leur nombre est en effet passé de 10,5 millions en 1970 à 15 millions en 1981 (avant même toute décision du nouveau pouvoir socialiste).
Aujourd'hui, la polémique naît d'une augmentation de 5% des Français devant payer l'impôt sur le revenu...

Si VGE a  contribué largement à la modernisation de l'économie, si, en tant que ministre des Finances, pendant les années , il fut celui qui a généralisé la TVA, grande réforme fiscale s'il en est, il a beaucoup augmenté les impôts des salariés...