Budget 2015 : Macron et Valls jouent-ils la politique du pire ?

Par Jean-Christophe Chanut et Romaric Godin  |   |  1349  mots
Selon un député « frondeur », Manuel Valls cherche la première occasion sérieuse pour partir, il ne veut pas que son avenir soit obéré par la chute drastique de popularité du Président de la République.
Le gouvernement transmet son plan budgétaire 2015 à la Commission. Bercy affiche sa confiance, mais certains pourraient profiter d'un rappel à l'ordre de Bruxelles pour imposer des réformes structurelles. De quoi déstabiliser une majorité déjà fragile.

La sentence européenne sur le projet de budget de la France pour 2015 va-t-elle mettre le feu aux poudres au sein du gouvernement Valls ? En apparence à l'unisson, l'équipe gouvernementale jure que tout va bien se passer et que la France va échapper globalement aux récriminations de la Commission européenne. L'équipe Valls serait donc solide et unie, et le cap est tracé : favoriser une politique de l'offre se traduisant par les 50 milliards d'économies sur trois ans dans les dépenses publiques, dont 21 milliards dès 2015, et la mise en œuvre du pacte de responsabilité prévoyant 41 milliards d'euros d'aides aux entreprises sur trois ans.

C'est en effet ce 15 octobre que le ministre des Finances et des Comptes publics  Michel Sapin  transmet à la commission, non seulement le projet de loi de finances 2015 de la France mais aussi le rapport économique social et financier qui lui est annexé et qui détaille la trajectoire suivie par la France. A Bercy, on se montre confiant : ce rapport montrerait que la France reste globalement dans les clous, notamment en matière de réduction du déficit structurel (c'est-à-dire en excluant les effets liés à la conjoncture). La Commission européenne va engager une négociation sur les justifications de Paris et éventuellement demander des modifications. Si Paris ne les accepte pas, Bruxelles peut en théorie engager des sanctions à l'encontre de la France.

Bercy affiche sa confiance: le budget Français "passera" le contrôle de  la Commission européenne

A Bercy, on insiste « La France n'aura pas d'amende car la France n'est pas si éloignée que ça de l'objectif demandé. La trajectoire est bonne même s'il a fallu tenir compte de la conjoncture plus morose que prévue ». Autre argument avancé : la loi portée par le ministre de l'Économie Emmanuel Macron « pour l'activité et l'égalité des chances économiques », en partie dévoilée ce jour en Conseil des ministres, est là pour prouver à Bruxelles que la France sait mener des réformes structurelles, via, notamment, une facilitation du travail du dimanche et en soirée, une libéralisation du secteur des transports et l'ouverture à davantage de concurrence des professions règlementées (notaires, pharmacies, etc.).

Là aussi Bercy insiste :

«Si l'on ajoute à la loi Macron l'accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 sur la réforme du marché du travail, dont les dispositions commencent  à être connues et utilisées par les entreprises, notamment les accords sur le maintien de l'emploi, la France répond aux demandes de la Commission européenne et aux vœux de l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE)".

Fermez le ban, donc, l'unité gouvernementale est solide et il n'y a pas de dissonance. La France ne modifiera pas son budget et tout le monde est d'accord là dessus... Surtout qu'il ne va pas déjà être facile de trouver une majorité pour le voter dans sa présentation actuelle. Michel Sapin le sait bien.

Sauf que... un faisceau d'indices peut laisser supposer que tout n'est pas si rose. Certains voyant même dans l'épée de Damoclès qui pèse sur la France avec la décision européenne sur le budget français une opportunité pour aller beaucoup plus loin dans les réformes. Explication.

Profiter d'un "niet" de la Commission sur le budget pour imposer les réformes structurelles

Selon nos informations, certains visiteurs de François Hollande lui tiennent a peu près ce langage : « Tu es au plus bas dans les sondages. Tu n'as plus rien à perdre, engage la France dans les réformes structurelles ». Selon un député PS interrogé par « La Tribune », Pascal Lamy, l'ancien directeur général de l'Organisation mondiale du Commerce (OMC) est sur cette ligne, comme parfois Hubert Védrine, l'ancien ministre des Affaires étrangères de François Mitterrand. Ce serait aussi le cas des « Gracques », ce groupe de réflexion composé de hauts fonctionnaires ou d'ancien hauts fonctionnaires rassemblés autour de valeurs sociales libérales  et proche de l'actuel secrétaire général de l'Élysée Jean-Pierre Jouyet. Enfin, selon un haut fonctionnaire de Bercy, le ministre de l'Économie Emmanuel Macron serait également sur cette ligne.

Toutes ces personnalités se retrouveraient sur le credo suivant : si la Commission européenne n'entérine pas le budget français 2015, ce sera le prétexte rêvé pour lancer les "réformes structurelles" attendues depuis des lustres. Politique fiction ? Peut-être mais l'hypothèse ne semble pas non plus complètement exclue. Le haut fonctionnaire interrogé par La Tribune avance un début d'argument :

« Le squelette du projet de loi Macron sur l'activité économique est rédigé de telle manière qu'il laisse la porte ouverte à tous les scénarios, selon les circonstances. Par exemple, il y a un chapitre « temps de travail » qui peut ne pas seulement viser le travail du dimanche et en soirée mais aussi, éventuellement, venir remettre en cause la durée légale hebdomadaire de 35 heures. Idem, il y a un chapitre « contrat de travail » qui peut laisser la possibilité à des rapprochements entre le CDI et le CDD, un peu sur le modèle du contrat première embauche de Dominique de Villepin en 2005 ».

Un autre indice réside dans l'attitude de plus en plus confiante du Medef. Mardi 14 octobre, lors de sa conférence de presse mensuelle, Pierre Gattaz, son président, a lancé à propos de la loi Macron : « La loi activité peut être une bonne occasion si elle ne fait pas dans la demi-mesure. Il faut être pragmatique et que ceux qui ne veulent rien bouger fassent des propositions pour créer de l'emploi. Nous, nous en faisons. Il faut agir vite, le temps politique est trop lent ». Difficile de ne pas voir dans cette déclaration un encouragement à Emmanuel Macron a aller plus loin avec son texte. Manifestement, le Medef ne se satisfera pas d'une simple réforme des professions règlementées ou des seuils sociaux...

Reste que si ce scénario se prépare, le gouvernement risque alors de tanguer très fort. Quel sera l'attitude de Michel Sapin, le ministre des Finances, qui aura défendu bec et ongles son budget devant la Commission européenne et qui sera resté jusqu'au bout convaincu de parvenir à un terrain d'entente ? Si, malgré tous ses efforts, la Commission astreint la France à modifier son budget, Michel Sapin n'aura pas d'autre solution que de se soumettre... ou se démettre. Dans un tel cas de figure, Emmanuel Macron héritera-il des clés des Finances ?

L'implosion du gouvernement Valls

Et Manuel Valls dans tout ça ? « Ce sera l'occasion pour lui de quitter sa fonction de Premier ministre », explique à « La Tribune » un député « frondeur ».

"Manuel Valls cherche la première occasion sérieuse pour partir, il ne veut pas que son avenir soit obéré par la chute drastique de popularité du Président de la République. Il ne veut plus être lié à lui ».

Certes, mais pour un autre député, ce scénario ne tient pas.

« Qu'il y ait des gens, y compris au sein de notre majorité, qui veulent que nous fassions maintenant les réforme structurelles c'est un fait indéniable. Mais il y a un hic ! Le Premier ministre quel qu'il soit, Valls ou un autre, ne trouvera aucune majorité pour les voter. La grande majorité des députés socialistes voteront contre et je ne crois pas à une grande recomposition politique avec l'arrivée des centristes. Au regard de la situation politique, je ne vois pas l'UDI apporter ses voix. Non. Le président sera obligé de dissoudre l'Assemblée nationale. Et là... ».

Rien n'est jamais sûr mais ce scénario catastrophe pour la majorité en place n'est pas à totalement exclure. C'est même ce qui, paradoxalement, pourrait la sauver. La Commission européenne sera en effet peut être tentée d'adopter une attitude conciliante envers la France pour ne pas risquer une crise politique grave dans la deuxième économie de l'Union européenne.