Inflation faible : attention, danger ?

Par Fabien Piliu  |   |  1237  mots
La menace déflationniste est-elle réelle ?
Sur un an, l'indice des prix à la consommation n'a progressé que de 0,3% en septembre, marqué par le recul des prix de l'énergie, des produits alimentaires et des... produits manufacturés. Pour écouler leur production, les entreprises doivent baisser les prix, quitte à rogner sur leur taux de marge. Dans ce contexte, la menace déflationniste est-elle réelle ?

Le gouvernement est formel. La chute du taux de marge ? C'est du passé ! « En 2008, il y avait à peu près 33 % de marge pour les entreprises. Elles pouvaient investir, elles pouvaient innover. Aujourd'hui, il y a une chute mais pas là, pas ces deux dernières années, la chute elle était entre 2008 et 2012 », a déclaré sûr de son fait Michel Sapin, le ministre des Finances, fin août sur l'antenne de France Inter.

C'est ce qu'on appelle jouer sur les mots. Certes, de chute il n'est plus question. Mais le repli du taux de marge des entreprises n'est pas enrayé, n'en déplaise à Michel Sapin. Les statistiques publiées par l'Insee le 14 août, confirmées le 23 septembre, indiquent bien une baisse très nette du taux de marge entre le premier et le deuxième trimestre, passé de 29,8% à 29,3% de la valeur ajoutée. En octobre, lors de la présentation de sa dernière note de conjoncture, l'Institut indiquait un taux de marge des entreprises à 29,4%, contre 29,8% en 2013 et 30,5% en 2012...

La tendance risque de se poursuivre

Ce repli peut-il se poursuivre ? Ce n'est pas impensable. Face à une demande faible, les entreprises ne sont-elles pas obligées d'ajuster leurs prix à la baisse, entraînant un recul mécanique de leur taux de marge ? Elles ont déjà commencé à le faire. C'est l'un des principaux enseignements des statistiques sur l'inflation publiées ce mardi par l'Insee. Sur un an, les prix des produits manufacturés ont reculé de 0,7% en septembre.

" Certains d'entre eux font encore l'objet de promotions après les soldes. C'est notamment le cas de la parfumerie et des produits de beauté (-0,5% en septembre ; -1,1% sur un an), des appareils ménagers (-0,2%; -2% sur un an), des articles pour literie (-0,4% en septembre ; -0,3% sur un an) et du mobilier de chambre (-0,5% en septembre ; +0,3% sur un an). En outre, le recul tendanciel des prix de certains produits technologiques (ordinateurs, appareils photographiques) se poursuit. A contrario, les prix des automobiles neuves augmentent de 1,5% en septembre (+4,1% sur un an) après des sorties de promotion ", observe l'Insee.

Or, une baisse continue du taux de marge entraîne des tensions sur la trésorerie des entreprises les plus fragiles sur le plan financier. On comprend mieux pourquoi l'usage du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) est en partie détourné par les chefs d'entreprises. Alors qu'il devait initialement stimuler l'investissement et l'emploi, via des recrutements et/ou des hausses de salaires, le CICE permet surtout de financer les besoins en fond de roulement des entreprises.

Relancer l'investissement, une urgence

Pourtant, relancer l'investissement est une urgence. « La rechute de l'investissement productif pèse sur la croissance. L'indice de climat des affaires dans l'industrie revenait au printemps sur sa moyenne de long terme : ce n'est plus le cas », a affirmé Denis Ferrand, le directeur général de Coe-Rexecode lors d'une conférence de presse organisée mardi par le Groupe des fédérations industrielles (GFI). Quant aux créations d'emplois, toutes aussi urgentes, elles ne pourront être massives tant que les entreprises seront en sureffectifs. Selon les estimations de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), 250.000 personnes seraient en sureffectifs dans les entreprises, conséquence du choix du gouvernement et des partenaires sociaux de limiter la casse sociale lors de la récession de 2009.

" Si le Pacte de responsabilité peut contribuer à amorcer le redressement de l'Industrie française sur la période 2014-2017, l'écart de compétitivité globale avec les industries concurrentes au sein de l'Union européenne restera encore élevé. Le parc industriel français accuse un retard de modernisation en comparaison aux principales économies industrielles, et l'investissement en nouveaux équipements reste nettement inférieur à celui de l'Allemagne ", poursuit le GFI.

La menace déflationniste est-elle réelle ?

Tirée par la baisse des prix industriels, une situation déflationniste est-elle à l'ordre du jour ? Peut-on passer dans les prochains mois de la désinflation à la déflation ? Selon les statistiques publiées ce mardi par l'Insee, l'inflation sous-jacente, qui ne tient pas compte des variations de prix de certains produits, très volatiles, comme l'énergie et l'alimentation, est nulle en septembre. Dans ce contexte, est-on proche du point de non-retour qui ferait basculer l'économie française dans la déflation, le cauchemar des économistes. En dépit des apparences statistiques, la menace ne semble pas imminente. La plupart des économistes balaie cette hypothèse. " Le risque est faible. En revanche, le niveau de l'inflation devrait rester faible ", explique-t-on chez Bank of America Merril Lynch..

Pour plusieurs raisons. " L'entrée en déflation est souvent présentée comme un facteur déprimant la consommation. Pourtant, là n'est pas (encore) la question. Les prix baissant, les ménages retarderaient leurs achats, ce qui déprimerait la consommation ferait encore baisser les prix et augmenterait le chômage. Ce cercle vicieux ne se met en place qu'avec une déflation forte (plus de 1%) dont l'économie française est très loin. En août 2014, la consommation des ménages était ainsi en hausse de 1,4% sur un an ", explique-t-on chez Asteres. Une résistance de la consommation qui s'explique en partie par la bonne tenue des revenus d'activités qui représentent 70% du revenu disponible brut (RDB) des ménages. Ceux-ci devraient augmenter de 1,3% selon l'Insee, après avoir progressé de 0,9% en 2013. Pour l'instant, une baisse globale des salaires dans les secteurs public et marchand n'est pas à l'ordre du jour, même si le gel des minimas sociaux décidé en avril par le gouvernement modère la progression du RDB des ménages.

Enfin, la dépréciation de l'euro face au dollar doit soutenir l'inflation à court terme. Selon la Banque centrale européenne (BCE), une baisse de 10% du taux de change effectif de l'euro face au dollar doit provoquer un surcroît d'inflation de 0,8 point à un an, via l'inflation importée.

Quand la compétitivité-coût augmente

Pour l'instant, le ralentissement de l'inflation n'a qu'un effet positif : théoriquement, il permet le redressement de la compétitivité-coût des entreprises. L'inflation française étant plus faible que dans la zone euro (+0,3% contre +0,4%), la compétitivité-coût des entreprises françaises se redresse donc actuellement. " Seulement, l'entrée en déflation de l'Espagne (-0,5% sur un an à fin août) et de l'Italie (-0,2% sur un an à fin août) joue l'effet inverse. Si la compétitivité-coût des entreprises françaises augmente dans la zone euro, elle baisse face à deux partenaires majeurs, l'Espagne et l'Italie ", avance Asteres. Les avantages que le made in France peut retirer de la situation actuelle sont donc limités.

Nos partenaires européens ont-ils intérêt à laisser l'inflation s'installer ? C'est un jeu dangereux. Si tous les pays membres de la zone euro comptent sur la déflation et l'avantage en terme de compétitivité-coût qu'elle procure pour accélérer sa propre sortie de crise, le risque est grand que l'ensemble de la zone euro sombre dans la déflation. Les responsables politiques sont-ils si certains que les avantages offerts par la déflation l'emportent sur les inconvénients ? Convaincue des dangers de la déflation, la Banque centrale européenne (BCE) a décidé de jouer sur la totalité des leviers de la politique monétaire pour relancer l'inflation à un niveau annuel fixé à 2%.