Le Front National peut-il participer au rassemblement républicain de dimanche ?

Par Jean-Christophe Chanut  |   |  1024  mots
Marine Le Pen, présidente du Front National, ne partcipera pas à la "marche républicaine" de dimanche,
Le Parti socialiste s'est déchiré sur la question de savoir si le Front National pouvait participer à la "marche républicaine" qui aura lieu dimanche en mémoire des victimes de la fusillade contre Charlie Hebdo. A la suite de ce cafouillage, Marine Le Pen s'est drapée dans la posture de la victime.

Voilà typiquement le genre de querelle dont la France raffole... Même après la dramatique fusillade dans les locaux de Charlie Hebdo qui a fait 12 victimes.

La question posée est la suivante : Faut-il accepter la présence du Front National à la "marche républicaine silencieuse" organisée demain dimanche 11 janvier à Paris pour "défendre les valeurs de la République face à la barbarie", selon les termes du communiqué officiel ?

Cette manifestation, dans un premier temps, était organisée à l'initiative des partis de gauche, de nombreuses associations humanitaires et de l'ensemble des syndicats. Puis, Le Modem, l'UDI, et surtout, l'UMP ont décidé de se joindre à ce mouvement unitaire.

Entretemps, le président de la République s'était entretenu avec chacun des leaders de ces partis, Nicolas Sarkozy notamment. Il restait donc à savoir quelle attitude adopter face au Front national. Et, bien entendu, comme d'habitude, la ligne de fracture passe au sein du PS.

Le Parti socialiste divisé

Le porte-parole du PS Carlos Da Silva explique:

« Le Front national est l'antithèse de ce que représente Charlie Hebdo, cela n'aurait aucun sens que ce parti soit présent à nos côtés. »

L'ancien ministre François Lamy, chargé pour le PS de l'organisation du rassemblement de dimanche, ajoute:

« La question ne se pose même pas. Nous invitons toutes les forces politiques républicaines et démocratiques qui veulent rassembler le pays, pas celles qui le divisent, stigmatisent nos concitoyens musulmans et jouent sur les peurs, y compris depuis mercredi. »

Et Julien Dray, élu PS de l'Essonne, d'insister :

« Le FN n'est pas dans l'arc républicain » et « en tant que parti politique, il n'a pas sa place dans cette manifestation. (...) Que les électeurs de Marine Le Pen puissent venir, c'est leur liberté de citoyens, mais inviter le FN, ça veut dire que tout ce que nous avons fait depuis vingt ans n'avait aucun sens. »

En revanche, le Premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis, s'est montré nettement plus prudent :

« Vient qui veut et qui se sent concerné. »

L'UMP d'accord sur la présence du Front National

A droite, en revanche, on a beaucoup moins d'états d'âme.

Nicolas Sarkozy a convoqué le bureau de l'UMP, jeudi après-midi, pour sonder les esprits. Aucune voix ne s'est fait entendre pour dire « non » à la présence du Front National. Et Alain Juppé déclarait jeudi sur RTL:

« Dès lors que le FN prend une position convergente avec celle des grandes formations politiques, et je crois que c'est le cas aujourd'hui face à ce drame épouvantable, pourquoi commencer à exclure lorsqu'on parle d'unité ? »

François Fillon et Xavier Bertrand, pour leur part, ont déjà fait savoir qu'ils participeront à la marche de dimanche, et ils ne voient, eux non plus, aucune raison d'en exclure « des millions de Français » - comprendre: ceux qui votent FN.

Marine Le Pen dans la posture de la victime

Et le Front national que dit-il ?

Marine Le Pen, après avoir été reçue par le président de la République ce vendredi 9 janvier, a déclaré « ne pas avoir réussi à obtenir du président de la République la levée claire de l'interdiction pour [son] mouvement, ses élus, ses représentants, que des millions de Français espéraient voir dans les cortèges ».

De toute façon, la présidente du FN ne compte pas se rendre à la marche car, dit-elle, « je ne vais pas où on ne veut pas de moi ». "Je ne suis pas Charlie", a lancé de son côté samedi Jean-Marie Le Pen qui, tout en déplorant "la mort de douze compatriotes" dans l'attentat contre Charlie Hebdo, a dénoncé le rassemblement prévu dimanche "orchestré par les médias", auquel le FN n'a pas été convié.

A l'initiative du mouvement, la Gauche est tombée dans le piège : Marine Le Pen peut se draper dans la posture de la victime exclue du rassemblement national.

Ceci n'a pas échappé à un député socialiste, peut-être plus lucide que les autres... En effet, le député PS des Français établis hors de France, Pouria Amirshahi, explique :

« Cette polémique n'aurait jamais eu lieu si Manuel Valls n'avait pas fait savoir qu'il avait proposé à Sarkozy d'y participer ». Pour lui, « Le Pen se fait désormais un malin plaisir de jouer l'exclue d'une manifestation à laquelle elle ne se serait jamais rendue. Au mieux, c'est de l'amateurisme politique, au pire de l'irresponsabilité. »

De fait, Marine Le Pen a bien insisté sur le fait que Manuel Valls ne lui avait pas téléphoné pour évoquer la présence du FN Dimanche... alors qu'il avait contacté Nicolas Sarkozy. Elle tenait là son prétexte pour ne pas appeler le Front National à participer à la marche.

En effet, on imagine mal le FN se joindre au mouvement, alors qu'il dénonce la collusion entre le PS et l'UMP depuis des années. Il s'est en outre toujours considéré comme un parti « hors système », refusant les « combinaisons » diverses et variées. Pour preuve, alors que l'émotion atteignait son comble mercredi soir, le Front National, lui, extrêmement vindicatif, réclamait déjà un « débat sur le fondamentalisme islamique » et un « rétablissement de la peine de mort » . Rien donc pour calmer les esprits !

Il n'en reste pas moins que, de toute façon, le droit de manifester est un droit individuel. Rien n'interdit à des sympathisants du Front National de participer à la marche de dimanche. Et ce, d'autant plus qu'ils peuvent se retrouver derrière des banderoles apolitiques qui ne manqueront pas de fleurir tout le long du cortège en mémoire à toutes les victimes.

Finalement, c'est François Hollande qui a le mieux résumé la situation en déclarant :

« Des forces politiques, des forces syndicales ont appelé à une manifestation, c'est leur responsabilité, mais ce sont les citoyens qui décident. Tous les citoyens peuvent venir à ce type de rassemblements, qui ne font l'objet d' aucun contrôle. »

Même les pires opposants du Président de la République devront reconnaître la véracité de ses propos.