Dépenses publiques : la Cour des comptes distribue les bons et (surtout) les mauvais points

Par latribune.fr (avec AFP)  |   |  1489  mots
Didier Migaud, premier président de la Cour des comptes, aux côtés de François Hollande.
L'institution de la rue Cambon a publié son rapport annuel d'audit des dépenses publiques. Des objectifs de déficit jusqu'à la politique ferroviaire, en passant par le marché de l'électricité, la Cour des Comptes a formulé, cette année encore, de nombreuses recommandations. Certaines réformes ont néanmoins été saluées... Revue de détail.

Gestion à améliorer, contrôles à peaufiner ou dépenses à réduire. Dans son rapport public annuel paru le mercredi 11 février, la Cour des comptes adresse une série de constats et recommandations aux pouvoirs publics. Voici dans les grandes lignes ce que contient ce rapport.

Une baisse "incertaine" du déficit

La baisse du déficit public français de 4,4% du Produit intérieur brut en 2014 à 4,1% en 2015 est "un objectif dont la réalisation est incertaine", estime la Cour des comptes

Selon la Cour, qui inspecte sur 25 pages la "situation d'ensemble des finances publiques" à fin janvier 2015, la prévision du gouvernement "repose sur une prévision de croissance" optimiste. Elle conteste le montant des recettes prévu cette année par le gouvernement en raison notamment d'une prévision d'inflation à 0,9% qu'elle juge trop forte.

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Une ouverture "très partielle" à la concurrence du marché de l'électricité

"L'ouverture du marché apparaît très partielle et le poids de l'opérateur historique EDF reste largement prédominant", écrit la Cour. "L'impact pour les particuliers et les petites entreprises reste marginal: mi-2014, moins de 6,7% de leur consommation était couverte par des offres de marché", constate-t-elle sur la base de chiffres de la Commission de régulation de l'énergie.

Justice : une réforme aux "effets positifs"

La réforme contestée de la carte judiciaire, réalisée entre 2008 et 2011, a eu des "effets positifs", d'après la Cour des comptes, qui estime le coût de la transformation à 413 millions d'euros. Vingt-trois tribunaux de grande instance et première instance sur les 186 que comptait la France, ainsi que 178 tribunaux d'instance sur 473 ont été supprimés.

Transports : de nombreux points à revoir

La Cour des comptes estime nécessaire de conserver un réseau de trains Intercités, mais en redéfinissant son périmètre et son financement, et en posant la question du maintien des dessertes les plus déficitaires.

La viabilité économie des aéroports de Dole et Dijon, distant d'à peine 50 km, n'est par ailleurs "pas démontrée" selon la Cour. "À ce jour, la viabilité économique d'un aéroport unique n'est pas démontrée, et celle de deux aéroports l'est encore moins", écrit-elle, qui demande l'arrêt des subventions à Dole (celles versés à Dijon ont été stoppées en septembre 2014).

La Cour s'est également intéressée au transport public urbain, pour lequel elle estime nécessaire un nouvel équilibre économique, pour le transport public urbain. Elle recommande notamment la mise en oeuvre rapide de mesures incitant à leur utilisation, et des hausses tarifaires.

Gestion peu rigoureuse du Cese

Le Conseil économique, social et environnemental (Cese) doit améliorer la gestion des indemnités et du temps de travail de ses agents. Certes, la Cour salue "des réformes administratives notables", notamment "en matière d'achat public", de "gestion du personnel", d'"organisation du temps de travail" et d'ajustement du "régime de retraite des conseillers". Mais ces efforts doivent se poursuivre.

Ainsi, le temps de travail des agents "reste inférieur à la durée légale", du fait des congés de "54 jours par an", auxquels il faut ajouter les fériés légaux et l'octroi des primes et des indemnités qui se fait sur "une base juridique incertaine", au bon vouloir des présidents. Pour les Sages de la rue Cambon, l'État doit appliquer un meilleur contrôle au budget de cette instance.

Dopage: des contrôles à mieux cibler

Concernant l'Agence française de lutte contre le dopage, "la mise en place d'une véritable stratégie de contrôle par cible devient indispensable à la fois pour des raisons d'efficacité mais aussi pour des raisons de coût", note le rapport. La Cour des comptes suggère notamment d'abonner les contrôles en compétition pour les 17 millions de licenciés afin de "mieux contrôler" les sportifs de haut niveau.

Fonctionnaires

  • Outre-mer : le casse-tête des sur-rémunérations

Environ 91.000 fonctionnaires civils de l'État (dont près des deux tiers relèvent de l'Education nationale) bénéficient du station de fonctionnaires en poste outre-mer, écrit la Cour, sur "un inextricable maquis législatif et réglementaire". Selon la localisation, la sur-rémunération va de 25% du traitement brut à 108%  selon les cas et dépend parfois d'une dizaine de décrets.

À elles seules, elles entraînent un coût annuel de 1,18 milliard au contribuable en 2012. Les calculer sur "le différentiel réel du coût de la vie" entre la métropole et les outre-mer réduirait la note annuelle de 850 millions, a calculé la Cour.

  • 346 millions d'euros de perte pour le système de paie public

L'échec de la mise en place du système intégré de paie des fonctionnaires a coûté 346 millions d'euros de fonds publics "en pure perte", déplore la Cour des comptes.

"La refonte du circuit de paie des agents de l'Etat offre un contre-exemple calamiteux d'investissement", a déclaré son premier président, Didier Migaud, en présentant le rapport aux médias.

Université

  • À Jussieu, des travaux de désamiantage "interminables"

Le désamiantage du campus universitaire de Jusieu a été lancé en 1996 et devait durer trois ans pour un budget de 183 millions d'euros mais n'est toujours pas fini et pourrait durer jusqu'en 2025, déplore la Cour. Elle a évalué en 2014 le "coût croissant" de ce "chantier interminable" à 2,05 milliards d'euros.

Les opérations de relogement extérieur afin d'accueillir les activités de recherche, ont été plus coûteuses que les travaux de désamiantage. Les charges locatives sont cependant en "forte réduction depuis 2014", relève la Cour.

  • Une réforme nécessaire du Cnous et Crous

La Cour relève des pratiques "hétérogènes et peu efficaces" en termes de contrôle de l'assiduité des étudiants boursiers du réseau des Œuvres universitaires et scolaires (Cnous/Crous). Un meilleur contrôle permettrait d'augmenter les montants recouvrés en cas de non-assiduité, permettant de "payer de nouvelles aides".

La Cour des comptes pointe aussi "les lacunes de l'offre de logement aux étudiants", "insuffisante et mal repartie" et préconise donc de "fermer les installations d'hébergement et de restauration trop peu fréquentées", prônant une "réorganisation en profondeur" du réseau.

Rénovation du quartier de La Défense : coût et financement "incertain"

Tunnels et sous-sols à mettre aux normes, réseaux d'assainissement et d'arrosage dégradés, étanchéité à revoir... À La Défense, des infrastructures des années 1970 et 1980 ont un besoin urgent de travaux, mais la Cour pointe une "incertitude sur l'ampleur et la répartition du coût de la remise en état" du quartier. Le coût de "plus de 200 millions d'euros" de travaux ne "saurait être supporté" par l'Établissement public d'aménagement de La Défense Seine Arche.

Les agences de l'eau sous le feu des critiques

La Cour des comptes dénonce le fonctionnement des agences de l'eau, accusées de ne pas faire respecter le principe pollueur-payeur. En 2013, 87% des redevances étaient payées par les particuliers contre 6% pour les agriculteurs et 7% pour l'industrie, selon le rapport.

Régions

  • La gestion "laborieuse" du Mucem à Marseille

Né du projet de délocaliser depuis Paris le Musée national des arts et traditions populaires (MNATP), dont il n'offre à l'héritage qu'une "faible visibilité", le Mucem (Musée des civilisations de l'Europe et de Méditerranée) n'ouvre ses portes que 13 ans plus tard en juin 2013. Une "longue gestation" qui "n'a pas été [...] accompagnée d'une réflexion approfondie" du ministère de la Culture quant à la place du musée par rapport aux autres institutions existantes (musée du Quai Branly, Cité nationale de l'histoire de l'immigration...), regrette la Cour des comptes.

Elle stigmatise également des coûts de fonctionnement "mal évalués", des ressources propres limités (26% en 2014, pour un objectif de 43% en 2015), et notamment un mécénat "modeste". Conclusion : l'équilibre économique de cet équipement est "fragilisé", malgré 3,4 millions de visiteurs depuis l'ouverture.

  • Avenir incertain pour les stations de ski des Pyrénées

La Cour des comptes dresse un tableau inquiétant de la situation financière des stations de ski des Pyrénées (Ax les Thermes, Font Romeu ou encore Saint-Lary Soulan). Elle souligne dans son rapport le niveau d'endettement élevé des stations, qui "atteint régulièrement 300% ou 400% du chiffre d'affaires". La Cour évoque aussi la vétusté des installations et un recul des investissements ces dernières années (800.000 euros en 2013, contre 13 millions d'euros en 2010).

Parmi les explications, l'institution publique évoque certes l'"aléatoire de l'enneigement" dont souffrent les massifs pyrénéens en raison de leur faible altitude et du réchauffement climatique, mais avance également un accès routier difficile, l'absence "totale" de services au pied des pistes et un prix moyen pour les forfaits insuffisant.