Ce carburant vert qui fait peur aux automobilistes allemands

Par Romaric Godin  |   |  544  mots
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Les automobilistes ont refusé d'utiliser le nouveau biocarburant E10 à base d'éthanol, provoquant une désorganisation de la distribution. L'affaire a vite pris un tour politique.

A la station service de la Hanauer Landstrasse à Francfort, non loin du futur siège de la Banque centrale européenne (BCE), une pompe reste désespérément libre. Peu loquace, le pompiste reconnaît finalement que seule une poignée de clients s'y hasarde. Sur le flanc de la pompe, un autocollant géant affiche un sigle qui est au centre de la vie publique allemande depuis plusieurs jours. "E10", l'abréviation d'un nouveau carburant contenant 10 % d'éthanol issu de la betterave. Un carburant vert introduit depuis le début de l'année outre-Rhin à la place du classique "super 95" et qui a rencontré un vrai rejet de la part des automobilistes.

En théorie, près de 90 % des autos allemandes acceptent pourtant ce carburant. Mais le défaut d'information a conduit les consommateurs à la défiance. Craignant pour leurs moteurs, ils n'ont guère été rassurés par les pompistes qui, par prudence ou ignorance, leur ont souvent conseillé de se replier sur le plus cher et plus polluant, mais aussi plus sûr, super 98. Du coup, le phénomène est vite devenu préoccupant pour l'industrie pétrolière. Selon BP Allemagne, la part de marché du E10 atteindrait avec peine la moitié de celle de feu le super 95. Du coup, alors que les stocks de carburant vert restaient pleins, ceux de super 98 se vidaient rapidement, menaçant de désorganiser l'ensemble de la distribution. Si bien que jeudi dernier, la Fédération des industries pétrolières, la MWV, a décidé de suspendre temporairement la production du nouveau carburant E10 afin de s'adapter à la réalité du marché.

Diktat de l'État

Cette révolte des consommateurs a rapidement occulté les autres grands sujets du moment dans les médias allemands. Le ministre de l'Économie, Rainer Brüderle a dû convoquer ce mardi un sommet de crise auquel ont participé pas moins de quatre ministres fédéraux. Il est vrai que chacun s'est renvoyé la balle des responsabilités. La MWV s'en est pris au diktat de l'État qui a contraint les groupes à passer au E10. Son président, Klaus Picard a ainsi déploré que "dans des conditions de marché normales, si nous n'avions pas une intervention massive de l'État, nous retirerions ce produit". En face, le ministre de l'Environnement Norbert Röttgen, très contesté, a renvoyé les pétroliers au manque d'information du consommateur. Il s'est aussi caché derrière les directives de Bruxelles, oubliant cependant que la législation européenne adoptée en 2007, notamment sous la pression allemande, ne dit rien du E10, mais demande seulement l'introduction de 10 % d'énergie renouvelable dans les transports en 2020.

Sans surprise, l'affaire a pris rapidement une dimension politique. Face aux critiques de l'opposition, les Libéraux du FDP, toujours aux abois dans les sondages, ont réclamé que l'on retire le nouveau carburant. Mais à l'issue du sommet, le gouvernement fédéral réaffirme son intention d'imposer le E10 au marché moyennant une offensive d'information et la reconnaissance d'une responsabilité commune de tous dans la crise. Une crise qui risque cependant de marquer les esprits à deux semaines du grand dimanche électoral du 27 mars où se dérouleront plusieurs scrutins locaux déterminants.