Le pétrole sème la zizanie chez les rebelles libyens

Par Aline Robert  |   |  545  mots
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Secteur clé de l'économie du pays, la reprise de la production est attendue d'ici deux semaines ou deux ans, selon les interlocuteurs.

La production de la Libye ne reviendra pas à son niveau d'avant-guerre avant début 2013 », prévenait en début de semaine Nurri Berruien, le nouveau dirigeant de la compagnie pétrolière libyenne, la National Oil Company (NOC). Un point de vue contesté par celui que l'on identifie désormais comme l'homme fort du régime, Ali Tarhouni, qui a en main une ribambelle de portefeuilles. En plus du ministère des Finances, du Pétrole, il est aussi vice-président du Conseil exécutif des rebelles, et président du Conseil militaire suprême de Tripoli. Interrogé jeudi par le « Wall Street Journal », Ali Tarhouni a assuré que la production reprendrait d'ici « une à deux semaines », seulement 10 à 20 % des installations étant endommagées. Une position iconoclaste. À l'Agence Internationale de l'Énergie (AIE), par exemple, la nouvelle directrice générale, Maria Van der Hoeven, est persuadée du contraire. Pour Francis Perrin, directeur de la rédaction de Pétrole et Gaz arabes, « la question de la continuité de la chaîne énergétique se pose forcément : toute la chaîne est coupée si un seul maillon manque », rappelle ce spécialiste, qui ne voit pas le pays revenir à sa production d'avant-guerre - 1,6 millions de barils par jour - avant deux ans. Merrill Lynch-BoA croit savoir que de nombreux relais, qui permettent aux hydrocarbures d'être transportés dans les pipe-line, ont été endommagés.

Problème de fond inquiétant

Étonnantes dans leur forme, les analyses discordantes sur l'état des champs de pétrole libyens manifestent un problème de fond plus inquiétant : celui des divisions au sein de la rébellion. Unie contre l'ancien dictateur, la population du pays aux 140 tribus risque de peiner à trouver un nouveau consensus politique. Le fait que la compagnie nationale libyenne, la NOC, soit restée jusqu'à l'été aux mains de l'ancien régime, alors que sa filiale Agoco était contrôlée par les rebelles, complique son redémarrage. Les limogeages ont commencé au sein de l'ancienne entreprise publique, notamment pour les dirigeants de joint-ventures internationales. La crainte d'une remise en cause des anciens contrats d'exploitation fait trembler Eni, Wintershall, Total et Marathon, les principales compagnies du temps de Kadhafi. « Pour les opérateurs étrangers, tout l'enjeu est de miser sur le bon cheval, devant l'avalanche d'interlocuteurs » assure une source industrielle. Le principe de continuité juridique devrait théoriquement s'appliquer, d'autant que les rebelles ont besoin de partenaires industriels qui puissent être rapidement sur le terrain pour redémarrer la production. Mais « ce principe s'appliquera sous une restriction : celle du respect de l'embargo de la Commission européenne », observe Jean-Marie Salva, avocat chez DS Avocats. Une longue liste de personnes physiques et morales avait été établie fin février dernier lors du début de l'embargo ; elle comprenait notamment les autorités portuaires du pays ainsi que de nombreuses sociétés liées au commerce du pétrole. Une fois ces questions résolues, il ne fait aucun doute qu'« une prime politique sera appliquée aux sociétés des compagnies appartenant aux pays ayant le plus soutenus les rebelles durant la guerre, mais surtout pour des contrats d'exploration, qui prendront des années à être mis en place », assure Francis Perrin.