L'opportune visite de Nicolas Sarkozy en Libye

Par Sylvain Rolland  |   |  918  mots
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Le CNT a affirmé au président et à David Cameron que les alliés de Tripoli seraient "prioritaires" pour les futurs contrats.

Comme un retour sur investissement. Grâce à leur action décisive dans l'intervention de l'OTAN contre les troupes du colonel Kadhafi, la France et le Royaume-Uni ont été les premiers pays à avoir l'honneur d'être reçus, jeudi, dans la Libye -presque- libérée. La visite triomphante de Nicolas Sarkozy et du premier ministre David Cameron s'est déroulée comme prévu : bain de foule sur la place Tahrir de Benghazi -idéal pour les journaux télévisés de 20h-, soutien appuyé au Conseil de transition (CNT) pour l'instauration de la démocratie, appels à "terminer le travail" (l'expression est de Nicolas Sarkozy) pour capturer le colonel Kadhafi en fuite.

Londres a ajouté à ces déclarations le déblocage de 688 millions d'euros supplémentaires d'avoirs gelés, ce qui porte à un milliard le montant des avoirs déjà dégelés par le gouvernement brittanique. David Cameron a également annoncé le dépôt conjoint avec la France d'une résolution au Conseil de sécurité de l'ONU dès ce vendredi, "pour poursuivre la protection des civils et débloquer tous les avoirs libyens à l'étranger".

Cerise sur le gâteau en conclusion d'une excellente journée pour les deux dirigeants, le CNT a réaffirmé la priorité économique aux alliés de la Libye pour les futurs contrats. "En tant que musulmans croyants, nous sommes reconnaissants de leurs efforts et ils seront prioritaires", a confirmé Moustapha Abdeljahil, le chef du CNT. Nicolas Sarkozy avait pourtant fermement réfuté d'éventuelles arrières-pensées économiques. "Nous ne demandons aucune préférence, aucun passe-droit" a-t-il martelé en conférence de presse à Tripoli. Les portes-flingues de la majorité s'étaient eux relayés aux micros des radio dès le but de la journée pour vanter le côté  "historique" de cette visite, et qu'il n'est pas encore temps pour la France de parler contrats.

Une "prime politique"

Pourtant, malgré les démentis, l'après-Kadhafi et sa manne de nouveaux contrats à attribuer une fois que le futur gouvernement libyen s'attèlera à la reconstruction, est un enjeu majeur pour les grandes puissances. Paris compte profiter de son avantage diplomatique pour renforcer sa présence en Libye, dont le potentiel économique -notamment grâce à l'énorme manne pétrolière- n'est plus à démontrer.  En effet, la France est seulement le sixième partenaire commercial de Tripoli, avec 1 milliard d'euros d'exportations en 2010. Bien loin des 3,7 milliards d'euros de l'Italie la même année. La chambre de commerce franco-italienne, qui a déjà envoyé une délégation d'une vingtaine d'entreprises en juillet, a confirmé à La Tribune la préparation d'une nouvelle visite, prévue pour le mois d'octobre.

Mais selon la plupart des spécialistes, les Français auraient tort de compter sur des "cadeaux" libyens. "Les affaires sont les affaires, c'est la compétitivité des entreprises françaises qui leur feront gagner des contrats", estime Francis Perron, le directeur de la revue "Pétrole et gaz arabes". Car la concurrence est rude. Les entreprises britanniques, émiraties, chinoises, américaines, italiennes ou turques comptent également sur leur part du gros gâteau libyen, et sont déjà bien implantées dans le pays. Si la plupart des économistes estiment que les intérêts de la Libye primeront aux yeux du futur gouvernement sur la "dette" envers les pays qui ont soutenu la révolution, la France pourrait tout de même avoir une carte à jouer. "La France pourrait éventuellement bénéficier d'une "prime politique", c'est-à-dire que les Libyens pourraient attribuer un contrat à une entreprise française dans un cad d'égalité de concurrence. C'est le seul cas de figure où l'image de la France sera un atout ", analyse Francis Perron.

Une bonne journée pour Sarkozy

Malgré la déclaration des autorités libyennes -qui ne garantit rien à la France en terme de retombées économiques-, Nicolas Sarkozy n'aura pas perdu sa journée. Ses conseillers en communication auront remporté une jolie victoire. Les images d'une foule en liesse qui acclame le président au son des "Merci, Sarkozy" n'ont pas de prix dans un journal télévisé. Surtout en ces temps difficiles pour le chef de l'Etat, confronté à la résurrection médiatique de l'affaire Bettencourt, aux rebondissements dans l'affaire Karachi, et à la relaxe de son rival Dominique de Villepin dans l'affaire Clearstream. Le "timing" est également parfait pour empêcher le Parti socialiste d'occuper tout l'espace médiatique avec le premier débat dans le cadre de leurs primaires, diffusé ce jeudi soir sur France 2. Cette démonstration éclatante de la popularité du président français en Libye vient appuyer sa stature internationale et son image de "leader de guerre victorieux", à huit mois du premier tour des élections présidentielles.

La réception du colonel Kadhafi à l'Elysée avec les honneurs de la République en 2007 paraît bien loin, y compris pour les Libyens. Les critiques sur la façon dont l'OTAN a mené son action, ou le rôle également décisif joué par les Emirats arabes unis ou les Etats-Unis (qui ont  dépensé plus de 800 millions de dollars pour les opérations en Libye, contre 200 millions pour la France) également. En plus d'avoir fortement contribué à la chute de Kadhafi, Nicolas Sarkozy a donc remporté une belle victoire de communication. Une parenthèse agréable avant de se replonger dans les turpitudes de la politique nationale et de la crise de la dette européenne.