Gros coup de froid sur les relations entre la France et la Turquie

Par Romain Renier  |   |  666  mots
Recep Tayyip Erdogan, Premier ministre turc. Copyright Reuters
Le gel de la coopération politique et militaire avec la France par la Turquie ravive la crainte d'un ternissement des relations économiques entre les deux pays. Bloqué sur le plan juridique, Ankara pourra toujours inciter verbalement ses ressortissants à limiter les relations commerciales avec les entreprises hexagonales et à en boycotter les produits.

Touchée, la Turquie a tapé un grand coup jeudi en rappelant son ambassadeur en poste à Paris et en gelant sa coopération politique et militaire avec la France. Une réaction très forte au vote par les parlementaires français de la loi visant à punir d'un an d'emprisonnement et de 45.000 euros d'amende la négation de génocides reconnus par l'État français.

Au Quai d'Orsay, on regrette la position adoptée par les autorités turques. Mais pas de réaction concrète pour le moment. "Nous en prenons note, mais nous n'avons pas l'intention d'en faire de même avec nos ambassadeurs" explique Bernard Valero, porte-parole du ministère des Affaires étrangères, qui souhaite que les canaux de communications habituels restent ouverts.

Posture confirmée par Alain Juppé, ministre des Affaires étrangères jeudi dans la soirée. Opposé au texte, car soucieux de conserver de bonnes relations avec la Turquie, il a appelé Ankara à ne pas "surréagir".

Plutôt que d'apporter une réponse concrète, on préfère insister sur "l'attachement au travail mené en commun sur des dossiers tels que ceux de la Syrie, du nucléaire iranien ou de l'Afghanistan" avec cet "allié et partenaire stratégique ". En coulisse, on veut croire à une simple réaction épidermique et on espère secrètement que l'affaire se tasse.

Sarkozy ne compte pas plier

A l'Elysée, on essaye de tempérer mais on reste ferme. "Je respecte les convictions de nos amis turcs, c'est un grand pays, une grande civilisation, ils doivent respecter les nôtres" a ainsi déclaré Nicolas Sarkozy sortant pour la première fois de son silence à son arrivée arrivée à Pragues pour assister aux obsèques de l'ancien Président tchèque Vaclav Havel. Déterminé, il a rappelé que "la France détermine sa politique souverainement". Signe qu'il ne compte pas plier.

La Turquie accuse à son tour la France de génocide

Recep Tayyip Erdogan, Premier ministre turc, qui a précisé que ce train de mesures pourrait être suivi par la mise en ?uvre graduelle de nouvelles sanctions, a réagi en accusant la France de génocide en Algérie.

Sur le plan des mesures de rétorsion économique promises par Ankara, rien n'a été précisé. Et au Quai d'Orsay, on reste dans l'expectative. "Il n'y a eu que des menaces. Mais rien de concret. Il faudra voir cela le moment venu" confie le porte-parole du ministère des Affaires étrangères.

En 2010, le volume des échanges bilatéraux entre les deux pays représentait près de 12 milliards d'euros. Un objectif commun avait même été fixé pour atteindre les 15 milliards d'euros en 2012.

Dans le cas où la Turquie, membre de l'organisation mondiale du commerce (OMC) viendrait à porter ses menaces de sanctions économiques à exécution, la France devrait obtenir le soutien de l'Union européenne qui la représente au sein de l'institution genevoise. Seul moyen de lutter contre la mise en place de barrières juridiques contre les entreprises françaises.

Solidarité européenne

A Bruxelles, on botte toujours en touche, en qualifiant ce conflit de bilatéral. Mais on y murmure que si la Turquie allait au bout de son idée, elle aurait à faire face à la solidarité européenne.

Dans les faits, Selcuk Onder, de la chambre de commerce franco-turque, considère que malgré le caractère improbable de telles sanctions, le vote de cette loi risque de peser sur les relations entre les entrepreneurs turcs et français.

Selon lui, les autorités du pays « pourront toujours envoyer un message » aux ressortissants turcs. « Les investisseurs sont des gens raisonnables, mais une distance psychologique risque d'être créée et cela aura aussi des effets sur le comportement du consommateur final » explique Selcuk Onder. Déjà, les milieux d'affaires turcs ont joint leur voix à celle du gouvernement d'Ankara. Reste à voir comment les consommateurs réagiront face à ce coup de grisou diplomatique.