Le pétrole tutoie les 120 dollars le baril

Par Christèle Fradin  |   |  723  mots
Copyright Reuters
Depuis la mi décembre, le cours du Brent s'est envolé de 14%. Sous l'influence des tensions géopolitiques, il flirte désormais avec les 118 dollars, revenant ainsi vers ses niveaux de l'été 2011.

Les Français ont-ils une chance de voir leur facture à la pompe s'alléger dans les prochaines semaines ? Pas certain, si l'on en croit les experts du marché du pétrole. La tendance n'est pas à la baisse des cours. Du moins pas dans l'immédiat. En deux mois seulement, le cours du Brent est passé de 103,35 dollars à 117,85 mardi soir. Soit 14% de progression.Outre les tensions géopolitiques accrues, le cours du Brent est poussé à la hausse par des éléments fondamentaux. « C'est notamment le recul de la production d'un champs particulier en Mer du Nord, qui alimente l'un des étalons servant de base au calcul du Brent, auquel s'ajoute l'interruption des exportations en provenance du Soudan du Sud », explique Harry Tchilinguirian, responsable de la stratégie sur les matières premières chez BNP Paribas.
 

Le pétrole du Soudan du Sud ne coule plus

Depuis son indépendance obtenue en juillet dernier, le Soudan du Sud a hérité des trois quarts des réserves pétrolières du pays d'avant la sécession, mais il reste tributaire des infrastructures du Nord pour exporter. Or les deux parties ne parviennent pas à s'entendre sur les frais de transit et le partage de la manne pétrolière. Devant la décision du Nord de saisir une partie de la production, le Soudan du Sud a interrompu celle-ci.

« Cette interruption, qui de fait supprime quelque 250.000 barils/jour à l'export notamment vers l'Asie, a poussé certains des consommateurs à reporter leur demande vers le pétrole brut d'Afrique de l'Ouest, provoquant indirectement une tension sur le cours du Brent », explique Harry Tchilinguirian.
 

Les tensions sur l'Iran de plus en plus pesantes

Mais le marché semble aussi regarder avec inquiétudes du côté de Téhéran. La décision de l'Union européenne d'un embargo graduel sur les importations de pétrole en provenance de l'Iran, visant à cesser toute importation au 1er juillet 2012, pose des questions. L'Iran est l'un des premiers exportateurs d'or noir au monde. Le pays produit 3,5 millions de barils par jour et en exporte 2,5 millions, dont 20% vers l'Europe et 70% vers l'Asie.

« La situation des pays producteurs montre qu'il n'y a pas de substitution possible pour remplacer le pétrole [iranien] et les marchés ne sont pas optimistes sur l'existence de pays capables de produire assez de brut pour pallier l'arrêt des achats de pétrole iranien », a déclaré mardi le représentant de l'Iran à l'OPEP, Mohammad Ali Khatibi (dont les propos étaient rapportés par l'AFP). De fait, le responsable s'attend à ce que la hausse des cours observée ces dernières semaines se poursuive.
 

L'Arabie Saoudite peut augmenter sa production

Pour Eugen Weinberg, chez Commerzbank, le cours actuel du Brent, à près de 118 dollars intègre d'ores et déjà l'essentiel des facteurs de soutien. « Mais si la situation devait se dégrader, si davantage de pays décidaient de mesures de rétorsion contre le pétrole iranien, le marché serait confronté à un déficit d'offre malgré l'augmentation de la production de l'Arabie Saoudite ». L'Arabie Saoudite peut encore augmenter son extraction de 2 millions de barils par jour à court terme, si besoin était. Mais dès lors, ses capacités excédentaires seraient englouties.

Pire, « si l'Iran décidait à son tour de mesures susceptibles de provoquer des ruptures dans l'approvisionnement via le Détroit d'Ormuz, les cours pourraient s'envoler jusqu'à 150 dollars », poursuit Eugen Weinberg.
 

40% du commerce pétrolier transite par le détroit d'Ormuz

Pour l'heure, le marché n'accorde à cette éventualité qu'une faible probabilité. « Nous n'observons pas le même phénomène que celui constaté lors des évènements en Libye », souligne en effet Harry Tchilinguirian. « La volatilité implicite des options à l'achat par rapport aux options à la vente, qui peut être lue comme l'assurance prise sur le marché contre une hausse des cours, n'a pas fortement progressé ». Autrement dit, le marché ne croit pas dans le scénario d'une fermeture complète du détroit d'Ormuz, par lequel transite 35 ou 40% du pétrole mondial.

« L'Iran pourrait décider de retarder le flux des cargos, ce qui ferait remonter de quelques dollars le cours du Brent. Mais la fermeture complète reviendrait à se mettre à dos certains de ses partenaires commerciaux en Asie. Ceux-là mêmes qui pourraient constituer ses marchés alternatifs après l'embargo européen », explique l'expert.