Jusqu'à maintenant, les paradis fiscaux se portent très bien, merci

Par Propos recueillis par Ivan Best  |   |  636  mots
Gabriel Zucman, chercheur à l'Ecole d'économie de Paris Copyright Reuters
Pour Gabriel Zucman, chercheur à l'Ecole d'économie de Paris, spécialiste des paradis fiscaux, tout reste à faire en matière de lutte contre l'évasion fiscale. Seul l'échange automatique d'informations fiscales entre tous les Etats permettrait vraiment de mettre fin aux placements offshore

La commission européenne qui a obtenu le soutien des 27 sur ce point, veut que les grandes entreprises publient leurs profits et impôts pays par pays. Une pas dans la lutte contre l'évasion fiscale ?

C'est effectivement une bonne nouvelle, du point de vue de ceux qui veulent lutter contre l'évasion et la fraude fiscales. L'appareil statistique est largement défaillant de ce point de vue. Imposer cette obligation comptable va permettre d'avancer dans la lutte contre les montages en tout genre : quand la transparence sera faite la localisation de profits en Irlande, par exemple, mais aussi aux Bermudes, les multinationales seront évidemment contraintes de corriger le tir.

A-t-on assisté à un rapatriement des fonds, ou tout au moins à une baisse de leur attrait depuis que la lutte est engagée contre les paradis fiscaux, en 2009 ?

J'ai réalisé une étude en analysant l'ensemble des chiffres jusqu'à la mi 2011, le résultat me semble clair : on n' pas assisté à un rapatriement de l'épargne dans les pays industriels. Environ 10% des montants placés ont pu bouger, mais le mouvement principal a consisté en un flux vers les territoires les moins coopératifs.

Pourtant, l'OCDE a fait état de progrès importants de la part de plusieurs Etats, depuis 2009, citant Singapour en exemple....
On fait beaucoup de discours, depuis 2009. La réalité, c'est que l'échange d'informations à la demande (une administration demande l'aide du fisc d'un autre pays) ne fonctionne pas. Si l'on prend l'exemple français, le fisc doit pouvoir totaliser chaque année quelques dizaines de demandes d'informations qui aboutissent, alors qu'on compte 100.000 ou 200.000 comptes offshore.
La meilleure preuve, la démonstration éclatante que ce système ne fonctionne pas, ne sert à rien, c'est l'affaire Cahuzac. L'administration française a demandé des informations qu'elles n'a jamais obtenues, alors que le compte secret de Jérôme Cahuzac avait bien existé.
Quant à Singapour, il suffit de regarder les chiffres, officiels, de la Banque des règlements internationaux. Le montant placé sur les comptes courants, détenus par des non résidents s'établissait à 273,5 milliards de dollars fin 2012, soit 20% de progression en deux ans. Si l'on considère que les placements totaux (y compris les actions, etc...) représentent quatre fois les comptes courants -c'est l'estimation qui est faite en Suisse-, ce seraient donc 1.000 milliards de dollars qui seraient investis à Singapour. Les flux progressent beaucoup, aussi, vers Hong Kong, par exemple.

Que faut-il faire ?
Il faut mettre en place l'échange automatique d'informations entre Etats, ce qui est d'ailleurs le nouveau standard de l'OCDE.

Autrement dit, mettre en place un Fatca européen ?

Le système Fatca, mis en place par le gouvernement américain (il oblige les banques à travers le monde à communiquer tous les mouvements sur les comptes des citoyens américains) paraît contraignant, mais il ne l'est pas tant que ça. Certains pays, comme Hong Kong, ont décidé de ne rien négocier avec les Etats-Unis. Certes, les banques subiront dans ce cas des mesures de rétorsion (taxation élevée de toutes les transactions sur le territoire américain), mais certains petits établissements peuvent faire le choix de faire une croix sur les Etats Unis et de travailler surtout avec l'argent de l'évasion fiscale.

La solution ?
C'est de contraindre l'ensemble des juridictions à l'échange automatique d'informations fiscales, sous peine de mesures de rétorsion plus générales, qui sont évidemment envisageables à l'égard de petits pays.

Les trusts et fondations ne permettent-ils pas d'échapper au fisc, même avec la meilleure volonté des Etats, le véritables bénéficiaires restant inconnus?

La règlementation internationale sur le blanchiment contraint toutes les banques à à connaître le nom des véritables ayant droits, propriétaires d'un trust ou d'une fondation . Ce ne devrait donc pas être un problème