La NSA pistait les fréquentations "pornos" online des "prédicateurs" (Snowden)

Par Giulietta Gamberini  |   |  1087  mots
L'agence américaine œuvrait pour mettre en lumière l'hypocrisie de certains propagandistes de la djihad actifs sur les réseaux sociaux, révèle un nouveau document secret publié par Edward Snowden.

La National security agency (NSA) américaine récoltait des informations sur l'activité sexuelle online et sur les visites de sites pornographiques des personnes considérées comme des « prédicateurs », afin d'utiliser ces preuves pour nuire à leur réputation. C'est la nouvelle révélation qui ressort d'un document secret de l'agence dévoilé par Edward Snowden  et publié par le Huffington Post.

Le texte, daté du 3 octobre 2012, prend six individus, tous musulmans, en exemples de comment des « vulnérabilités personnelles » peuvent être découvertes grâce à la surveillance électronique et ensuite utilisées pour affaiblir la crédibilité et l'autorité des personnes visées. Il insiste sur la puissance des critiques fondées sur l'hypocrisie des prédicateurs et mentionne, parmi leurs faiblesses susceptibles de remettre en cause leur dévotion à la Djihad, le fait de « visionner du matériel sexuellement explicite online » ainsi que « d'utiliser un langage convaincant sexuellement explicite en communiquant avec de jeunes filles non expérimentées ».

Aucun des individus visés n'est considéré participer à des complots terroristes

Le directeur de la NSA figure comme « l'initiateur » du document, alors que les destinataires comprennent, en dehors de la NSA, des membres des ministères de la Justice et du Commerce.

Aucun des six individus cités n'est accusé par le document d'avoir été impliqué dans des complots terroristes. Selon la NSA, tous résident en dehors des Etats-Unis, mais l'un d'entre eux est identifié comme « des US » : c'est-à-dire comme étant un citoyen ou un résident permanent, pouvant donc se prévaloir contre l'activité de surveillance de la NSA d'une meilleure protection juridique que les étrangers.

La NSA s'intéresse à ces personnes en ce qu'elles contribuent à la radicalisation d'autres gens en exprimant leurs idées sur les réseaux sociaux. Leur audience, arabophone ou anglophone, « inclut des individus qui n'ont pas encore de vues extrémistes mais qui sont sensibles au message extrémiste », explique le document. Selon la NSA, leurs discours ont une grande résonance dans des pays tels le Royaume-Uni, l'Allemagne, la Suède, le Kenya, le Pakistan, l'Inde et l'Arabie saoudite.

La NSA possède des informations embarassantes

Une annexe au document liste les idées exprimées par chaque personne surveillée considérée comme radicale par la NSA ainsi que ses faiblesses exploitables. Un individu, ayant affirmé que « les non-musulmans sont une menace pour l'Islam », peut notamment être accusé de « promiscuité online ». Un autre, décrit comme un « universitaire respecté » à l'étranger, est surveillé pour avoir declaré que « une djihad offensive est justifiée » : ses faiblesses comprennent non seulement sa « promiscuité sur internet » mais aussi le fait de « publier des articles sans vérifier les faits ». Un troisième, célèbre au Moyen-Orient et ayant soutenu que « les Etats-Unis sont les auteurs des attaques du 11 septembre », peut être critiqué pour son « style de vie glamour ».

Le Huffington Post n'a pas voulu révéler les noms et le domicile de ces six personnes et précise ne pas avoir pu vérifier les allégations de la NSA quant à leurs activités sur internet.

La NSA possède des informations explicites et embarrassantes sur les activités sexuelles online d'au moins deux des personnes mentionnées, obtenues par leur surveillance électronique, affirme le Huffington Post. Le rapport affirme que certaines données ont été recueillies à travers le FBI. « Les informations ci-inclus sont largement fondées sur les communications extrémistes sunnites », ajoute le document, qui précise plus loin se baser sur « des sources primaires directement accessibles généralement considérées comme fiables ».

Les listes de contacts ont aussi été examinées

En plus du contenu des activités de ces personnes sur internet, la NSA a aussi examiné leurs listes de contacts. Deux des individus mentionnés sont accusées de faire de la propagande pour Al Qaïda.

Pourtant, la surveillance des communications des trois personnes anglophones a révélé qu'elles ont des contacts infimes avec des terroristes, reconnaît l'agence : plus particulièrement, seulement 7 (1%) de leurs contacts ont été caractérisés comme affiliés à un groupe extrémiste ou à un groupe militant pakistanais. Parmi les 213 personnes avec qui l'un d'entre eux a été en contact entre le 4 août et le 2 novembre 2010, trois étaient connues pour être associées avec le terrorisme ou faisaient l'objet de soupçons en ce sens.

Le document affirme que les trois personnes arabophones avaient plus de contacts avec des affiliés de groupes extrémistes sans pour autant suggérer qu'ils seraient eux-mêmes impliqués dans de complots terroristes.

Les défenseurs des droits humains mettent en garde contre ces pratiques

« En dehors des considérations sur les individus spécifiquement visés, ce ne devrait pas être surprenant que le gouvernement américain utilise tous les moyens légaux disponibles afin de s'opposer aux efforts de terroristes avérés qui tentent de nuire à la nation et qui contribuent à la radicalisation et à la dérive vers la violence d'autres gens », a déclaré dans un e-mail au Huffington Post le directeur des relations publique du renseignement national américain, Shawn Turner.

Ce point de vue n'est toutefois pas entièrement partagé par les défenseurs des libertés civiques, dont Jameel Jaffer, directeur juridique adjoint de l'American civil liberties union, qui met en garde contre les risques d'abus.

« L'agence collecte une quantité énorme d'informations sensibles pratiquement sur tout le monde » (opinions politiques, histoire médicale, relations intimes, activités sur le web). « La NSA affirme que ces informations personnelles ne seront pas utilisées abusivement, mais ces documents montrent que la NSA définit probablement les abus d'une manière très limitée ».

Martin Luther King était aussi surveillé par le gouvernement de son temps

Des tactiques similaires ont d'ailleurs déjà été utilisées par le gouvernement américain contre des défenseurs des droits humains ou des activistes syndicaux. Le Huffington Post rappelle notamment que quand le FBI était dirigé par J. Edgar Hoover, la récolte d'informations sur des leaders politiques tels Martin Luther King, y compris sur leur vie sexuelle, afin de les exploiter contre eux, était une pratique courante à laquelle la NSA participait déjà.

Le document publié n'indique pas si l'objectif de la NSA était de mettre au courant les personnes surveillées des informations acquises ou de les divulguer. Il ne mentionne pas non plus les éventuels obstacles juridiques et éthiques à une telle utilisation de la surveillance électronique.