Allemagne : la politique énergétique de Merkel épinglée

Par Julien Sauné  |   |  1366  mots
L'éolien et le solaire, les deux principaux moteurs de la croissance de l'économie verte en Allemagne.
La politique transition énergétique mise en place par le gouvernement allemand, visant à développer les énergies renouvelables et à sortir du nucléaire, a été critiquée par la cour fédérale des comptes pour son manque de cohérence et une mauvaise visibilité sur ses conséquences financières.

De mauvaises notes pour Merkel. Un des projets phares qu'elle a élaboré depuis 2009, la politique de transition énergétique (Energiewende), a récemment été épinglée par la cour fédérale des comptes. Selon un rapport de cette institution présenté par la Süddeutsche Zeitung, le gouvernement allemand aurait "une visibilité insuffisante des conséquences financières de la transition énergétique". De plus, le partage des tâches n'étant pas clairement défini, "les ministères fédéraux mettent en place des mesures de façon non coordonnée, sans cohérence d'ensemble et avec parfois des redondances".

Depuis 2010, la politique énergétique a été menée par six ministères différents. En 2011, quatre d'entre eux ont passé commande, sans se consulter, auprès d'experts pour faire évaluer le coût de la transition énergétique pour le pays. Cela montre, selon le rapport de la cour fédérale des comptes, que "les ministères fédéraux, et de ce fait aussi le gouvernement fédéral, ne disposent pas d'une vision d'ensemble des mesures qu'ils ont eux-même élaborées". Toujours selon le rapport, les différentes expertises ne seraient pas parvenues à déterminer les coûts de la transition énergétique de façon fiable.

Une politique ambitieuse

Lors de la catastrophe nucléaire de Fukushima, qui a fait à l'opinion publique allemande l'effet d'un électrochoc, le gouvernement d'Angela Merkel a décidé de prendre la question de la transition énergétique à bras-le-corps. Alors que l'Union Européenne a fixé aux États-membres l'objectif de produire 35% de leur électricité à partir d'énergies renouvelables d'ici 2020, l'Allemagne vise 40 à 45% d'ici 2025 et au moins 80% pour 2050. Il est désormais prévu de ne plus construire de nouvelles centrales et de sortir complètement du nucléaire en 2022. Le mix énergétique de l'Allemagne va donc être appelé à changer rapidement.

Des subventions supportées par les consommateurs

Pour inciter les énergies renouvelables à se développer, le gouvernement allemand dispose d'un système de garantie des prix d'achat de l'électricité produite par des sources renouvelables comme l'éolien ou le solaire. Les prix sont fixés pour 20 ans et dépendent de l'ancienneté et de la capacité de production des installations.

Les producteurs d'électricité "verte" vendent donc celle-ci au prix du marché auquel vient s'ajouter une subvention de l'État qui permet d'atteindre le prix garanti. Cette subvention est exclusivement financée par une surcharge sur la facture du consommateur final. L'opération est donc nulle pour l'État, bénéfique pour les producteurs d'énergie verte et coûteuse pour les consommateurs finaux - entreprises et particuliers.

Entreprises et ménages modestes pénalisés

Du fait de l'afflux de nouvelles sources d'énergie, les prix de l'électricité ont baissé sur le marché de gros, ce que l'État a dû compenser en augmentant les subventions pour arriver aux prix garantis. De ce fait, la surcharge payée par les consommateurs finaux a triplé depuis 2010 pour représenter à l'heure actuelle en moyenne 18% des coûts d'électricité totaux.

Certains commentateurs affirment que cette politique crée de la pauvreté et accroit les inégalités puisqu'elle touche les ménages modestes consommateurs d'électricité et bénéficie aux ménages aisés qui ont les moyens de faire installer des panneaux solaires chez eux et peuvent ainsi revendre leur électricité à bon prix.

Risque pour la compétitivité allemande

Le prix moyen de l'électricité pour les entreprises a augmenté de 60% sur les cinq dernières années en Allemagne du fait de la politique de transition énergétique. Kurt Bock, président du conseil d'administration de BASF, tire la sonnette d'alarme (cité par le Wall Street Journal):

"L'industrie allemande va peu à peu perdre en compétitivité si cette politique n'est pas remise en cause".

Un diagnostic confirmé par Daniel Yergin, vice-président de l'entreprise de recherche économique IHS, cité par Reuters:

"La tendance d'augmentation des prix de l'énergie en Allemagne va rendre le pays moins compétitif dans l'économie mondiale, le pénaliser en termes d'emploi et d'investissements industriels et imposer des coûts significatifs à son économie et au revenu des ménages".

Les entreprises frileuses à investir

BASF, leader mondial de la chimie qui compte plus de 50.000 employés en Allemagne, a dores et déjà annoncé en mai une réduction de ses investissements dans le pays à cause des hausses du prix de l'électricité résultant de la politique de transition énergétique. Le groupe ne va investir en Allemagne qu'un quart des 20 milliards d'euros prévus au total pour les cinq prochaines années et réorienter le reste vers l'Asie et les États-Unis.

Le Wall Street Journal rapporte également le cas de Basi Schöberl, un producteur de gaz industriels basée à Rastatt près de Karlsruhe, à la frontière française. L'entreprise avait prévu d'agrandir son site de production allemand et a finalement décidé à la place d'investir sur son site de Strasbourg en France du fait de l'imprévisibilité de la politique énergétique allemande et des prix élevés.

La problématique du stockage

Au-delà des prix de l'énergie, le projet de transition énergétique allemand se heurte à d'autres incertitudes. Selon une étude du Fraunhofer Institut für Solare Energiesysteme, l'Allemagne pourrait arriver, à terme, à couvrir 100% de ses besoins énergétiques par des énergies renouvelable, mais cela supposerait, au-delà d'un développement massif des énergies éolienne et solaire, de développer d'énormes capacités de stockage.

En effet, le grand défaut de la plupart des sources d'énergies renouvelables est qu'elles sont dépendantes des conditions atmosphériques. Il faudrait donc avoir la capacité de lisser ces irrégularités, c'est-à-dire de stocker de l'énergie quand les conditions sont favorables (vent et soleil) et de puiser dans les stocks quand elles sont défavorables pour assurer un approvisionnement constant. Or les technologies de stockage sont insuffisamment développées à l'heure actuelle et surtout très chères. Les seules sources d'énergie non soumises à fluctuations sont fossiles (nucléaire, charbon, gaz de schiste etc).

La Stromautobahn

Autre grand chantier de la transition énergétique: le transport de l'électricité générée par les énergies renouvelables. Alors que la plupart des grands parcs éoliens ont étés construits dans les régions venteuses du nord de l'Allemagne, le sud industriel est très demandeur en énergie. Or les infrastructures actuelles, basées sur l'alimentation en énergie de chaque région par les centrales environnantes, ne sont pas adaptées pour transporter de grandes quantités d'électricité d'un bout à l'autre du pays.

Pour remédier à cela, le gouvernement a lancé un projet phare de la transition énergétique: la "Stromautobahn" (autoroute de l'électricité): Il s'agit d'un ensemble de lignes à très haute tension qui transportera l'électricité produite au nord vers le sud de l'Allemagne. Mais bien que la population allemande en général soit très favorable à la transition énergétique, de nombreuses manifestations ont été organisées par les populations se trouvant sur le tracé de la Stromautobahn, qui redoutent des nuisances et une baisse de leur qualité de vie. Le projet n'est donc pas assuré d'aboutir et sa réalisation avance à faible allure.

Un pari sur l'avenir

Malgré tous les problèmes posés par la politique de transition énergétique et les critiques de la cour fédérale des comptes, la transition énergétique avance. Au premier semestre 2014, les énergies renouvelables ont couvertes 28,5% des besoins de l'Allemagne en électricité, contre 24,6% un an auparavant et 9,2% il y a 10 ans selon le Handelsblatt. L'efficacité de la politique d'incitation à la production d'énergie verte se vérifie donc dans les chiffres. Le gouvernement allemand avance l'argument que le secteur des énergies renouvelables va être amené à se développer de plus en plus et que l'Allemagne se positionne pour y être en position de force dans le futur. D'autre part, il se pourrait que les prix de l'énergie renouvelable baissent une fois les infrastructures mises en place, ce à quoi le gouvernement s'attèle depuis plusieurs années. Rendez-vous en 2050...