Les inégalités réduisent la croissance, affirme l'OCDE

Par Ivan Best  |   |  753  mots
Aux Etats-Unis, la minorité des 1% les plus riches encaissait 9% du revenu global en 1981. Elle en touche désormais près de 20%
Contrairement à une idée bien établie, les inégalités ne sont pas un facteur de croissance, au contraire. C'est ce qu'affirme désormais l'OCDE

C'est la fin d'une vérité bien établie : celle d'un « trade-off » entre inégalités et croissance. Traditionnellement, on estime que les sociétés peuvent faire un choix entre une croissance élevée, mais avec des inégalités importantes -Etats-Unis, par exemple- ou plus d'égalité, mais au prix d'une croissance plus faible (cas de la France). Dans une étude publiée ce mardi, l'OCDE décide de tordre le cou à cette idée tenace. Pour les experts, les inégalités ne peuvent être associées à une croissance supplémentaire, elles sont au contraire un facteur de moindre croissance.

 Ce graphique montre l'impact de l'évolution des inégalités (1985-2005) sur la croissance cumulée ultérieure (1900-2010)

 8,5% de PIB en moins

 Cet arbitrage entre croissance et lutte contres égalités  n'en est pas un, estiment désormais les experts. « Une nouvelle analyse de l'OCDE donne à penser que les inégalités de revenu ont une incidence négative, statistiquement significative, sur la croissance à moyen terme » écrivent-ils aujourd'hui. Selon leurs calculs, l'évolution moyenne des inégalités des 20 dernières années, au sein des pays de l'OCDE,  ferait perdre 0.35 point de croissance par an sur 25 ans, soit une perte cumulée de PIB de 8.5 % à terme."

 Ainsi, écrivent les économistes,

« on  estime que le creusement des inégalités a coûté plus de 10 points de croissance au Mexique et à la Nouvelle-Zélande, près de 9 points au Royaume-Uni, à la Finlande et à la Norvège, et de 6 à 7 points aux États-Unis, à l'Italie et à la Suède. À l'inverse, une situation plus égalitaire avant la crise a contribué à faire progresser le PIB par habitant en Espagne, en France et en Irlande.

 L'argument de la liberté d'entreprendre

 Comment expliquer cette nouvelle prise de position de l'OCDE ? Après tout, il paraît logique qu'une grande liberté d'entreprendre -qui provoque souvent de plus fortes inégalités- engendre une croissance forte, alors qu'un système de redistribution, destiné à corriger les inégalités,  vienne entraver l'initiative et donc réduire le niveau de l'activité économique. Les experts ne croient plus en cet argument. Ils mettent en avant la perte de capital humain -qui mine évidemment la croissance- liée à une faible formation de toute une partie de la population, victime des inégalités :

 Les faits viennent corroborer l'une des théories avancées quant à l'impact des inégalités sur la croissance, à savoir qu'en entravant l'accumulation de capital humain, les inégalités de revenu compromettent les possibilités de s'instruire pour les populations défavorisées, limitant ainsi la mobilité sociale et le développement des compétences.

Cette affirmation est fondée sur une étude statistique, soulignent les experts

L'analyse de données sur l'éducation et des résultats de la récente enquête de l'OCDE sur les compétences des adultes (PIAAC) révèle que le capital humain des personnes dont les parents ont un faible niveau d'instruction diminue à mesure que les inégalités de revenu sont plus prononcées. Ce qui n'est pratiquement pas le cas, voire pas du tout, avec un niveau d'instruction parental moyen ou élevé. La tendance se vérifie aussi bien au plan quantitatif (par ex., durée de la scolarité) que qualitatif (par ex., niveau de compétences).

Exemple avec les maths: les experts constatent qu'un

 accroissement de six points des inégalités de revenu (correspondant à l'écart États-Unis-Canada en 2010) se traduit par un recul de six points du résultat obtenu par les individus d'origine modeste. Cela explique près de 40 % du fossé observé par rapport aux individus dont les parents ont un niveau d'instruction moyen.

En somme, insiste l'OCDE,

il ressort de l'analyse que les inégalités conditionnent fortement les perspectives des personnes défavorisées en matière d'instruction et de progression sociale.

 « La redistribution ne nuit pas à la croissance »

 A rebours des préconisations libérales habituelles, les économistes affirment que « la redistribution par l'intermédiaire des impôts et des prestations est le moyen le plus direct de corriger les inégalités ». Et de poursuivre

« la redistribution n'est pas en soi un frein à la croissance économique ». Bien sûr, cela ne signifie pas pour autant que les mesures prises en ce sens ont toutes le même effet positif sur la croissance. Des politiques de redistribution mal ciblées et non centrées sur les outils les plus efficaces peuvent se solder par un gaspillage de ressources et être source d'inefficience.