Europe : le coup de poker de "Merkozy"

Par Isabelle Croizard  |   |  624  mots
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Quelques heures avant la tenue du Conseil européen, la Banque centrale a de nouveau réduit son taux directeur en le ramenant à 1 %, et annoncé des mesures inédites pour dégeler le marché interbancaire.

Mario Draghi, le nouveau président de la Banque centrale européenne, n'a pas fini de surprendre par son audace, même si son prédécesseur avait déjà utilisé avec détermination la plupart des outils d'une boîte à malice non extensible à l'infini. Après avoir concédé une première détente des taux deux jours seulement après son entrée en fonctions, le patron italien de la BCE a récidivé jeudi à l'issue du conseil des gouverneurs et à quelques heures du coup d'envoi du sommet européen, annonçant une réduction du loyer de l'argent qui aura été ramené, en deux mois, de 1,5 % à 1 % le plancher historique sur lequel il avait stationné pendant deux ans.

C'est dire que Draghi a détricoté en un laps de temps record le travail opéré depuis avril par Jean-Claude Trichet qui avait entamé la normalisation de la politique monétaire par un premier tour de vis en avril et un second en juillet, à l'époque où l'Europe semblait commencer à sortir du marasme. C'était sans compter avec la contamination de la crise de la dette des pays périphériques de la zone euro aux plus fragiles du noyau dur, dont les répercussions atteignent maintenant l'économie réelle. Car les équipes d'économistes de la BCE ont livré en parallèle leurs nouvelles prévisions macroéconomiques. Et elles sont particulièrement sombres. La BCE ne table plus que sur une croissance de 0,3 % en zone euro pour 2012 contre 1,3 % espéré jusqu'ici, même si, pour cette année, elle a maintenu sa prévision de 1,6 %. La BCE a également livré un premier pronostic pour 2013, en l'occurrence une croissance de 1,3 %.

En matière d'inflation, les économistes de l'institution attendent une accalmie progressive, avec un taux prévu à 2,7 % cette année, 2 % en 2012 puis 1,5 % en 2013.

La question qui se pose maintenant est de savoir si le taux directeur de la BCE peut tomber plus bas. Même si le président Draghi, pressé de questions sur le sujet lors de sa conférence de presse, a tenu, comme son prédécesseur, à marteler que la BCE ne s'engageait jamais a priori - le désormais célèbre « We never pre commit » -, on a bien compris qu'une nouvelle détente était conditionnée à la croissance. Si la récession menaçait de s'abattre sur la zone euro, le pragmatisme de la BCE la conduirait à adopter un nouveau plancher. La plupart des économistes prédisent qu'il se situerait à 0,5 %, la pratique de taux zéro à la japonaise, et plus récemment à l'américaine, n'étant pas dans la culture européenne.

Mario Draghi et les sages de la BCE n'en sont pas restés là. Ils ont pris à nouveau à bras-le-corps le problème de l'asphyxie du marché interbancaire en annonçant de nouvelles mesures de liquidités. Deux appels d'offres à trois ans, dont l'un remplacera l'adjudication à 13 mois qui devait avoir lieu le 21 décembre (lire ci-contre), sont programmés. La BCE continue donc à privilégier la liquidité, la spécificité de la zone euro voulant que les banques assurent 75 % du financement de l'économie contre moins de 50 % dans les pays anglo-saxons. Pas question donc de sortir le bazooka de la création monétaire par des achats massifs de titres de la dette des pays en difficulté. La BCE qui a déjà engrangé 207 milliards d'euros d'emprunts d'État continuera à stériliser ses opérations, condition sine qua non à la poursuite du programme pour Mario Draghi, c'est-à-dire à en neutraliser les effets potentiellement inflationnistes en procédant chaque semaine à des opérations de dépôts à sept jours des banques pour un montant équivalent. La balle est maintenant dans le camp des leaders politiques.