Pourquoi l'Espagne vote Hollande

Par Gaëlle Lucas, à Madrid  |   |  615  mots
Mariano Rajoy, Premier ministre espagnol/Copyright Reuters
L'arrivée du socialiste au pouvoir laisse espérer un changement de cap au sein de l'Union Européenne, en particulier sur le rôle de la Banque centrale européenne. Nombreux sont ceux qui considèrent qu'une telle évolution est nécessaire pour éviter que le gouvernement Rajoy demande un sauvetage européen.

Pour qui voterait Mariano Rajoy ? Le Premier ministre espagnol, conservateur, serait sans doute tenté par un vote à un "ami" politique, comme Nicolas Sarkozy, plutôt qu'à un socialiste. Pourtant, d'un point de vue stratégique, le choix de Rajoy ne peut se réduire aux affinités idéologiques. Son gouvernement applique coûte que coûte l'austérité préconisée par l'Union européenne (UE), mais les analystes considèrent que sans geste de l'UE, ces efforts seront vains. Preuve en est la recrudescence des tensions sur le marché de la dette alors que Mariano Rajoy a annoncé des économies de 27 milliards d'euros pour 2012 ainsi qu'une réforme des systèmes de santé et d'éducation afin de réduire les dépenses de 10 milliards d'euros.

Avec Hollande, la BCE pourrait prêter directement aux Etats

A l'inverse, le moindre geste de la BCE est interprété positivement. Le prêt de 1.000 milliards d'euros aux banques européennes avait ainsi réussi à détendre les "spreads" (écarts de taux) espagnols et italiens pendant plusieurs semaines. "Les réformes de 2012 porteront peut-être leurs premiers fruits en 2013. Alors la situation s'apaisera. Mais pour cela, il faut que l'Espagne tienne jusque là sans encombre. La BCE doit par son action garantir à l'Espagne un sursis auprès des marchés en 2012 en créant une confiance artificielle", préconise Daniel Pingarrón, chez IG Markets. Parmi les recettes avancées, figure la possibilité pour le superviseur de prêter directement aux Etats. Les propositions de François Hollande vont dans ce sens. Il plaide pour une révision des statuts de la BCE et pour la mise en place de politiques de croissance. Nicolas Sarkozy s'est finalement rallié à cette idée, mais sa fiabilité est mise en question.

Merkel seule aux manettes

Or, l'Allemagne est réfractaire à cette option. Et l'Espagne est convaincue qu'Angela Merkel est seule aux manettes de l'UE, la France ayant renoncé à jouer son rôle de contre-pouvoir au sein de l'Union. "Sarkozy a cédé sur tous les points à Merkel. S'il est réélu, il faudra qu'il se tienne à ce qu'il a proposé en campagne", prévient Pingarrón. Toutefois, "il se peut que l'arrivée de Hollande aide à recomposer les équilibres en place au sein de l'UE", avance quant à lui Calixto Rivero, journaliste au quotidien financier Expansión. Ce, d'autant plus que "l'Espagne essaie de faire retarder les objectifs de stabilité", précise-t-il.

La capacité de la France à imposer ses vues à l'Allemagne laisse sceptique de l'autre côté des Pyrénées. Néanmoins, le pouvoir d'influence de Hollande, s'il est élu, pourrait augmenter grâce aux échéances électorales de 2013 outre-Rhin. D'aucuns estiment que Merkel pourrait en effet avoir à c?ur de dialoguer avec Hollande pour prouver son ouverture d'esprit dans la perspective d'une grande coalition entre son parti (CDU) et les sociaux-démocrates allemands après les législatives de 2013. Mais rien n'est sûr d'autant que Merkel n'a pas daigné recevoir le socialiste pendant la campagne. Et Calixto Rivero d'avertir : "Si finalement l'arrivée de Hollande signe la rupture de l'axe franco-allemand, ce serait la fin des bribes d'équilibres qui demeurent encore en Europe".

Crainte des conséquences pour l'Espagne

Enfin, l'élection de François Hollande peut aussi susciter l'inquiétude. "Tout changement de parti en France créera de l'incertitude sur les marchés à court terme", rappelle Soledad Pellón, chez IG Markets. Les analystes espagnols craignent que le socialiste ne pratique pas assez l'austérité et que la situation de la France s'aggrave sur les marchés, ce qui se répercuterait négativement sur les spreads espagnols, peut-être jusqu'à des niveaux insoutenables.