6 mai : le jour où...la Grèce pourrait remettre le feu

Par Romaric Godin  |   |  1154  mots
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Le scrutin grec, qui aura lieu le même jour que le second tour de la présidentielle française, apparaît comme d'autant plus indécis qu'il n'y a plus de sondages autorisés depuis deux semaines. Mais son enjeu est déterminant : le maintien ou non de la Grèce dans la zone euro.

La frénésie quotidienne de l?élection française l?a un peu fait oublier. Mais le 6 mai, une autre élection, celle du parlement grec, la Vouli, décidera de l?avenir de la zone euro. Peut-être même beaucoup plus que celle de la France. Car, malgré le succès de la restructuration de sa dette, la Grèce est loin d?être tirée d?affaire. Le montant de sa dette publique est encore considérable : le FMI prévoit de la ramener en 2020 seulement à 120,5 % du PIB. Mais pour parvenir à cette situation qui reste peu peu enviable, il faudra poursuivre des efforts budgétaires considérables tout en dégageant une croissance moyenne annuelle de 4,5 % à partir de 2014.

Ce sont rappelons-le, les conditions fixées par la troïka formée du FMI, de la BCE et de la Commission européenne. A ceci s?ajoute la difficile tâche de la recapitalisation des banques. 22 milliards d?euros ont déjà été mis à la disposition d?Athènes pour restructurer les quatre premiers établissements du pays. Il faudra ensuite liquider le reste du secteur avec une somme équivalente qui sera mise à disposition. « C?est un processus très lourd et complexe qui sera délicat à réaliser avec un gouvernement faible », estime Dominique Daridan, directeur de la recherche crédit chez Aurel BGC. Enfin, Athènes ne vit que des aides européennes, elle n?a pas accès au marché pour se financer et ne l?aura sans doute pas avant longtemps.


Des divisions profondes entre trois camps
La Grèce a donc encore besoin d?un gouvernement. Or, il n?est pas certain qu?il y en ait encore au soir du 6 mai prochain. La loi grecque sur les sondages est encore plus stricte qu'en France : il n?est plus possible de publier de nouvelles enquêtes deux semaines avant le scrutin. Depuis ce week-end, on se sait donc rien officiellement de l?évolution des rapports de force politiques. Mais une chose est sûre, les divisions au sein de la politique grecque demeurent profondes.

 

32 partis se répartiront les choix des électeurs. Schématiquement, l'espace politique grec est actuellement divisé en trois camps : celui du « oui » aux mesures d?austérité, représenté par le Pasok social-démocrate et la Nouvelle Démocratie (ND) conservatrice. Vient ensuite le camp du « non » de gauche représenté par la gauche démocratique, modérée mais farouchement hostile à l?austérité, Syriza, qui représente une gauche plus dure et le parti communiste KKE, marxiste orthodoxe. Le camp du « non » de droite est constitué des « Grecs Indépendants », transfuges de la Nouvelle Démocratie opposés à l?austérité et de deux partis d?extrême droite : le Laos, qui avait fait un bref passage au gouvernement Papadémos et l?Aube Dorée, parti ouvertement fascisant.

Pas de tradition de coalitions

Une alliance entre ces trois camps semble donc impensable. Mais même à l?intérieur de ces ensembles, les divisions sont profondes. L?Aube Dorée est totalement infréquentable et le KKE refuse toute alliance avec le reste de l?extrême gauche jugée « sociale traître ». Enfin, entre le Pasok et la ND, constituer une alliance ne sera pas chose aisée. « La Grèce est un pays très profondément divisé entre gauche et droite depuis la guerre civile de 1942-1949 et n?a pas de tradition de coalition gouvernementale », rappelle Dominique Daridan.

Pasok et ND sur le fil du rasoir

Il en faudra pourtant bien une. Les derniers sondages étaient très différents, mais tous convenaient qu?aucun parti ne serait capable d?obtenir la majorité absolue. Les conservateurs pourraient obtenir entre 104 et 112 des 302 sièges de la Vouli. Il leur faudra donc trouver un allié qui ne pourrait être que le Pasok si la ND veut appliquer le programme européen. Cette « grande coalition » s?annonce difficile à constituer et à maintenir. Mais pire, il n?est pas certain qu?elle puisse obtenir la majorité absolue. Le 20 mars, la « grande coalition » obtenait dans les sondages entre 138 et 154 sièges. Au mieux, donc, deux voix de majorité. Voilà qui est bien précaire quand on songe que Pasok et ND ont, au cours de la législature précédente perdu de nombreux élus qui ont refusé de voter les mesures de rigueur. Bref, même si le 6 mai, cette majorité existe, elle sera très fragile.

Vers un blocage ?

Et si elle n?existe pas ? La Constitution grecque, dans son article 37-3 précise que le Président de la République doit successivement demander aux chefs des trois premiers partis représentés à la Vouli de former une équipe gouvernementale majoritaire. Si ces « mandats exploratoires » de trois jours au plus échouent, alors il doit convoquer de nouvelles élections. On comprend alors que la Grèce serait concrètement sans vrai gouvernement et que les mesures imposées par l?Europe seraient alors suspendues.

Danger et attentisme

Mais, comme le souligne Dominique Daridan, « l?enjeu de cette élection, c?est le maintien de la Grèce dans la zone euro ». Le pays est en effet dans une spirale infernale. « On demande aux Grecs de se serrer la ceinture, mais la baisse des salaires conduit à une baisse du PIB qui rend la consolidation budgétaire encore plus difficile », résume Dominique Daridan. Ceux qui veulent briser ce cercle vicieux en ne respectant plus le programme européen n?auront pas d?autre choix que de dévaluer la monnaie. Et si aucun gouvernement ne parvient à émerger, la troïka pourrait suspendre le plan d?aide.

La situation deviendra très rapidement explosive : privé de gouvernement, le pays ne pourra sans doute plus honorer ses obligations. La faillite désordonnée et le retour à la drachme deviendront des hypothèses plus que probables. Si la confusion politique grecque émerge de cet autre 6 mai, les marchés pourraient donc réagir violemment : la dette grecque reste considérable et le précédent d?une sortie d?un pays de la zone euro serait inquiétant. Pour le moment, ni le Pasok, ni la ND ne veulent en arriver là. Les marchés jouent l?attentisme pour le moment : le taux à dix ans grec se maintien depuis une semaine entre 20,5 % et 21 % à la Bourse d?Athènes, ce sont surtout les faibles volumes qui sont remarquables.

Enjeu historique

D?une certaine façon, le scrutin grec est presque plus important que le scrutin français pour l?Europe. « Le premier déterminera le poids de la France par rapport à l?Allemagne, mais aucun des deux candidats ne remet en cause l?euro ; le second, lui, déterminera l?avenir de la Grèce dans la zone euro », conclut Dominique Daridan. Ce dimanche soir-là, une partie de l?histoire de l?Europe va sans doute se jouer.