Et si le vainqueur était... la croissance !

Par Par Philippe Mabille  |   |  1530  mots
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À sept jours du second tour de l'élection présidentielle française, la croissance revient au centre du jeu. Une initiative européenne pour relancer l'économie, par une sorte de « Plan Marshall », serait en discussion à Bruxelles. Angela Merkel a évoqué un « agenda croissance » au menu du sommet européen, fin juin. Mais les contours de cette initiative restent flous et ni l'Allemagne ni la BCE ne baissent la garde sur la nécessité de réduire les déficits. En outre, Bruxelles a démenti lundi la préparation d'un tel plan de relance européen.

En attendant sa possible victoire, le 6 mai, François Hollande a au moins déjà gagné cela : remettre la croissance au centre du jeu en Europe. À sept jours du deuxième tour, dimanche prochain, le candidat socialiste a toujours une confortable avance dans les dernières enquêtes d'opinion (54 % contre 46 % selon LH2 pour Yahoo, avec une baisse de 2 points de Hollande et une remontée équivalente de Sarkozy). Mais c'est surtout sur le terrain des idées que les lignes ont bougé, en sa faveur, en Europe.
Cela a commencé mercredi 24 avril avec les déclarations de Mario Draghi en faveur d'un « pacte de croissance » pour compléter le pacte de stabilité budgétaire en cours de ratification. Des propos ambigus, et largement commentés, dans lesquels il ne faut voir aucun recul de la part du président de la BCE quant à la nécessité d'une réduction des déficits publics. Mais le simple fait de prononcer le mot « croissance » a visiblement désinhibé l'ensemble des responsables politiques européens.

Crainte d'un défaut sur la dette espagnole

Il faut dire que l'alerte est chaude. À tous ceux qui s'inquiètent de savoir si, oui ou non, la France sera attaquée le 6 mai, la réponse est déjà venue par l'Espagne, dont la crise a connu un nouvel accès de fièvre à la faveur d'une révision en baisse de ses prévisions économiques qui ne lui permettront pas d'atteindre ses objectifs de réduction des déficits. La crainte d'un défaut sur la dette espagnole a progressé de plusieurs crans, entraînant des attaques sur ses banques à la faveur d'une nouvelle dégradation de la note du pays. Avec son chômage digne de celui des années trente aux États-Unis et son marché immobilier en berne, l'Espagne est au c?ur de la tourmente et les marchés financiers pourraient bien profiter de la concomitance des élections présidentielle en France et législatives en Grèce dimanche 6 mai pour relancer une attaque contre la zone euro.
C'est sans doute cette menace qui a fait bouger les lignes ce week-end avec l'annonce, par la chancelière allemande elle-même, Angela Merkel, d'une initiative commune pour relancer l'activité. "Nous préparons un agenda croissance pour le sommet européen de juin", a-t-elle déclaré samedi dans un entretien au quotidien allemand "Leipziger Volkszeitung".

Une rencontre des chefs d'État après la présidentielle

Programmé de longue date, ce sommet, qui se tiendra les 28 et 29 juin à Bruxelles, s'annonce comme un moment charnière, juste après les législatives françaises. La chancelière allemande se convertirait-elle à l'idée de la relance ? N'allons pas trop vite. Comme Mario Draghi, elle ne renonce en rien à l'exigence de réduction des dépenses et des déficits publics. La chancelière a réitéré qu'il "n'y (aurait) pas de nouvelles négociations sur le traité budgétaire européen". Mais dans cet entretien, elle se dit favorable à un renforcement des capacités de prêt de la Banque européenne d'investissement (BEI), à une utilisation plus flexible du Fonds d'infrastructure de l'Union européenne et à des "mesures structurelles (...) qui ne coûteraient pas d'argent". Selon Angela Merkel, ces impulsions supplémentaires pour la croissance seraient en réalité « à l'agenda dans l'UE depuis l'an passé. Plusieurs conseils européens s'en sont déjà très concrètement occupés, pour le conseil de juin nous préparons un agenda croissance".
S'exprimant lors d'un colloque à Bruxelles, le président de l'Union européenne Herman Van Rompuy avait annoncé jeudi qu'une rencontre non prévue jusqu'ici des chefs d'État et de gouvernement de l'UE pourrait se tenir avant un sommet programmé lui de longue date les 28 et 29 juin. Une réunion pour commencer à définir les contours d'une stratégie de croissance alors que les appels se multiplient pour faire redémarrer l'économie de l'Union et équilibrer l'austérité budgétaire. "Je n'exclus pas d'organiser un dîner informel des chefs d'État et de gouvernement des 27 afin de préparer le Conseil européen de juin", avait-il affirmé, sans donner plus de précision sur le calendrier. Clairement, cette réunion extraordinaire interviendrait après le deuxième tour de l'élection présidentielle, selon une source diplomatique.

"Plan Marshall" à l'échelle européenne

Pour sa part, le quotidien espagnol El Païs a évoqué dimanche une sorte de "Plan Marshall" à l'échelle européenne sur lequel travailleraient les services de la Commission européenne et qui serait capable de mobiliser 200 milliards d'euros d'investissements publics et privés pour des projets d'infrastructure, les énergies renouvelables et les technologies de pointe. À en croire le journal, cette initiative inclut plusieurs pistes déjà discutées depuis plusieurs mois par les Européens: de grands emprunts européens (sous forme d'euro-obligations), un rôle accru de la Banque européenne d'investissement (BEI) et l'intervention du Mécanisme européen de stabilité financière, une enveloppe gérée par la Commission européenne et gagée sur le budget de l'Union. Selon El Pais, l'Union européenne pourrait opter pour deux voies de financement. La plus probable passe par un "montage financier" qui s'appuierait sur la Banque européenne d'investissement (BEI) et le Mécanisme européen de stabilité financière (EFSM). Il s'agirait ainsi d'utiliser 12 milliards d'euros encore non utilisés du EFSM pour attirer des fonds privés qui viendraient renflouer la BEI et serviraient de "garantie pour lancer des projets d'infrastructures publics-privés". Pour y parvenir, le montage s'appuierait sur des "instruments financiers sophistiqués et des obligations" garanties par l'UE et servant à financer ces projets qui seraient destinés "à des fonds de pensions et autres investisseurs", poursuit le quotidien. L'autre option de financement passe par l'injection, de la part des pays membres, de 10 milliards d'euros au capital de la BEI. Une voie moins probable compte tenu de l'"asphyxie" de leurs comptes publics. Selon le quotidien, ce plan devra être présenté lors de la rencontre, non prévue jusqu'à cette semaine, des chefs d'État et de gouvernement de l'UE qui pourrait se tenir avant un sommet programmé lui de longue date les 28 et 29 juin. La Commission européenne a démenti lundi la préparation de ce "plan Marshall" pour la croissance. "Les chiffres avancés ne se fondent sur aucune réalité", a ainsi déclaré Pia Ahrenkilde, porte-parole de la Commission européenne, lors d'une conférence de presse à Bruxelles.

Merkel opposée à l'approche "keynésienne"

L'idée des eurobonds est défendue par la France de longue date, mais Nicolas Sarkozy avait renoncé à y faire référence depuis l'accord passé avec Merkel cet hiver, pour ne pas froisser l'Allemagne. François Hollande en a en revanche fait l'une de ses propositions phare pour relancer la croissance. L'une des difficultés à laquelle se heurte cet appel concerne le mode de financement de ce plan d'investissement. Pour que la BEI puisse prêter plus, il faudra en effet augmenter son capital, ce qui est difficile compte tenu de la disette budgétaire. Une des pistes envisagées consisterait à mobiliser une partie de l'argent prévu pour financer le mécanisme européen de stabilité qui se substituera en juillet au Fonds européen de stabilité financière (FESF). Mais il ne sera pas facile de convaincre les parlements des pays riches de donner au MES une telle orientation.
Sur le fond, la chancelière a réitéré son opposition à une approche "keynésienne" de relance par les dépenses publiques. "La croissance ne coûte pas forcément de l'argent" et doit passer par des "réformes structurelles", notamment en flexibilisant le marché de l'emploi, selon elle. Une approche à l'évidence à contre-courant de celle de François Hollande qui n'a pas fait campagne sur une réforme du marché de l'emploi, à la différence de Nicolas Sarkozy. Le candidat socialiste gagne néanmoins des alliés en Europe. L'italien Mario Monti a relancé lui aussi la semaine dernière le débat sur une évaluation plus différenciée des déficits publics des pays européens. À ses yeux, les pays réalisant des investissements stratégiques d'avenir devraient obtenir une certaine clémence. Il y a quelques années, au début du deuxième mandat de Jacques Chirac, la France avait milité en ce sens pour tenter d'obtenir une modification du Pacte de stabilité européen. Mais elle s'était heurtée à l'opposition catégorique de l'Allemagne. La crise est depuis passée par là et face à l'impasse économique qui est en train de l'emporter, l'Europe pourrait briser certains tabous, en se rendant à l'évidence. Comme l'a récemment écrit le prix Nobel d'économie américain Paul Krugman, la course actuelle de l'Europe à l'austérité s'apparente à un véritable « suicide collectif ». Seule une initiative de croissance, parallèle à une programmation sérieuse de réduction des déficits et de la dette, est de nature à crédibiliser les objectifs annoncés, y compris, et c'est tout le paradoxe de la situation, aux yeux des marchés financiers...