La Grèce hors de la zone euro : pas si grave ?

Par Sophie Rolland  |   |  809  mots
La sortie de la Grèce de la zone euro, un événement souhaitable et gérable? Les déclarations récentes de certains dirigeants européens - allemands, en particulier - ont contribué à renforcer cette idée. Mais certains économistes en doutent fortement...Et les chiffres semblent leur donner raison. Les détails.

Patrick Artus et Jésus Castillo, économistes chez Natixis, se disent « inquiets ». « D'abord, la sortie de l'euro et la dévaluation n'aideront pas l'économie grecque, ensuite, les pertes pour les investisseurs publics et privés ne seraient pas négligeables, enfin, la sortie de la Grèce révèlerait l'absence de solidarité dans la zone euro, et pourrait faire anticiper d'autres sorties de pays ayant des caractéristiques similaires », estiment-ils. Chez Aurel BGC, les économistes Christian Parisot et Jean-Louis Mourier ne sont pas plus optimistes.« Le choc économique d'un scénario de sortie de la zone euro serait violent pour la Grèce et l'ensemble de la zone euro. La sortie de la Grèce de la zone euro est possible mais pas facile et surtout pas n'est pas une solution idéale et sans risque pour l'Europe », expliquent-ils.

La dévaluation, une fausse bonne idée

Allant à l'encontre de l'idée selon laquelle une dévaluation monétaire permettrait à la Grèce de faire redémarrer son économie et disparaître son déficit extérieur, les économistes de Natixis soulignent que les importations de la Grèce sont beaucoup plus importantes que ses exportations. « Une dévaluation aurait comme effet dominant d'accroître le prix des importations, puisque la faible taille de l'industrie n'a qu'un faible effet sur le commerce extérieur en volume » Pour eux, une dévaluation n'attirerait pas forcément non plus beaucoup d'investissements industriels. « Aujourd'hui, le coût du travail est faible en Grèce et pourtant il y a peu d'investissement étrangers, sans doute en raison de la situation géographique défavorable, de la faible qualification de la main d'?uvre, ou encore de l'insécurité juridique », constatent-ils.

Christian Parisot et Jean-Louis Mourier soulignent quant à eux que le seul avantage de la sortie de la zone euro serait de permettre à la Grèce de créer de la monnaie pour financer son déficit budgétaire. Le pays pourrait alors payer ses fonctionnaires. Seul problème : l'inflation générée par le financement monétaire du déficit et la baisse de la devise. "Au total, pour la population grecque, le défaut de l'Etat grecque sur ce qui reste de sa dette, la nationalisation des banques, l'hyperinflation et les restrictions en termes de produits importés seraient plus dévastatrices que le plan de rigueur imposé par l'Europe à l'économie", résument-ils.

Des pertes substantielles

Une dévaluation ou un nouveau défaut sur la dette publique « conduirait encore à des pertes substantielles, en particulier pour le secteur public européen », même après la restructuration de la dette grecque de début 2012, estiment Patrick Artus et Jésus Castillo.

Détention de la dette grecque après la restructuration
  Milliards d'euros en % du total
FMI 20,1 6,5
Union Européenne 52,9 17
Banques étrangères 62 20
Banques grecques 23 7,4
BCE 45 14,5
EFSF 107,7 34,7

 Source : Natixis

Le directeur de la recherche de l'IESEG School of Management de Lille, Eric Dor, estime que les coûts directs pour l'Etat français seraient au minimum de quelques dizaines de milliards d'euros et pourraient aller jusqu'à 66 milliards, dans un scénario où le retour à une nouvelle monnaie nationale s'accompagnerait d'un défaut de l'état grec sur ses dettes libellées en euros. "Ces pertes potentielles seraient encore bien supérieures pour l'Allemagne", estime-t-il. Pour lui " sous l'hypothèse réaliste d'une dévaluation de la nouvelle monnaie nationale grecque de 50 %, les banques françaises subiraient une perte de 19,8 milliards d'euros".

Sur le point de quitter Bercy, le ministre sortant de l'Economie François Baroin a, lui, évalué le coût d'une sortie de la Grèce de la zone euro à 50 milliards "net" pour l'Etat français. A ce coût s'ajouterait la dépréciation des "titres que détiennent les banques ou les assurances dans leurs portefeuilles", a-t-il déclaré. Le risque serait "tout à fait absorbable" par les intéressées. En revanche, selon lui, la menace d'une "contagion exceptionnelle" de la crise grecque sèmerait "le doute et la défiance dans l'esprit des investisseurs".

L'attention se tournerait vers les autres pays où l'ajustement réel a un coût économique élevé

D'autres pays comme l'Italie, le Portugal ou l'Espagne, soumis à des politiques budgétaires restrictives, connaissent aussi une chute de l'activité et une forte hausse du chômage. « Les prêteurs pourraient anticiper que les mêmes causes produiront les mêmes effets, c'est-à-dire une crise politique et la sortie de l'euro, d'où le redoublement de la crise financière », préviennent Patrick Artus et Jésus Castillo. Chez Aurel BGC, les économistes admettent que la zone euro est "mieux préparée qu'il y a deux ans", mais insistent sur les "conséquences fortes" d'un tel événement, "notamment en terme de crédibilité de la pérennité de la zone euro".