Bond, appelez moi eurobond !

Par Sophie Rolland avec Florence Autret  |   |  1209  mots
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La présidence de l'Union européenne envisage désormais - depuis le sommet des 27 du 23 mai - l'introduction d'euro-obligations comme « possible », « dans un avenir dont la date n'est pas spécifiée », c'est-à-dire à long terme. Les réflexions se poursuivront sur la base du rapport que le président du Conseil de l'UE, Herman Van Rompuy, doit rendre en juin. Ce rapport portera « sur une méthode de travail pour approfondir l'Union économique et monétaire » et sera élaboré en coopération avec le président de la Commission, José Manuel Barroso, celui de la Banque centrale européenne Mario Draghi et celui de l'Eurogroupe Jean-Claude Juncker.

Qu'est ce qu'un eurobond ?

Les eurobonds, ou euro-obligations, seraient des emprunts émis en commun par les pays de la zone euro sur les marchés. Défendus de longue date par les partisans d'une Europe fédérale, ils sont au c?ur des réflexions des économistes et des responsables politiques depuis le début de la crise des dettes souveraines de la zone euro. Cette mutualisation des dettes européennes fait partie de l'arsenal de mesures envisagées pour renforcer l'intégration et protéger les pays les plus vulnérables des attaques spéculatives.

Les eurobonds permettraient aux Etats considérés comme les plus risqués par les marchés de refinancer leur dette à moindre coût. En théorie, le rendement de ces titres devrait en effet être équivalent à la moyenne pondérée des taux d'emprunt de chacun des pays.

Quelles formes pourraient-ils prendre ?

En novembre 2011, la Commission a publié un livre vert sur la faisabilité de l'introduction d'euro obligations particulières, dites « obligations de stabilité », qui seraient émises, de manière commune, par les Etats membres de la zone euro. Trois options y étaient évoquées, à partir desquelles de nombreuses idées ont pu se développer.

- La première est la plus radicale mais aussi la « plus efficace », comme le dit le texte de la Commission. Il s'agit de remplacer toutes les obligations nationales actuellement émises séparément par les 17 membres de la zone euro par des euro-obligations bénéficiant de garanties communes. Elle a peu de chance d'être mise en ?uvre en priorité.

- La deuxième créerait des euro-obligations bénéficiant également de garanties communes mais qui ne couvriraient qu'une partie des besoins de refinancement des États. Cette proposition se réfère au modèle développé par l'allemand Jakob Von Weizsäckeret et le français Jacques Delpla. Deux idées parmi les plus souvent évoquées à l'heure actuelle s'en inspirent.

  * L'une a les faveurs de l'économiste en chef du FMI : ce sont les T-bills européens. Il s'agirait de mutualiser une partie seulement du marché de la dette, celle à court terme, pour un volume de « seulement » quelques centaines de milliards d'euros. On aurait bien affaire à des émissions communes mais sur des produits relativement plus standardisés que les obligations de long terme. Le projet est soutenu par une association d'économiste, ELEC, et quelques économistes ou financiers influents comme le Français René Karsenti.
* L'autre correspond à l'idée de Pacte de rédemption présentée fin 2011 par le GCEE, un groupe d'économistes allemands de toutes sensibilités. Elle consiste à placer dans un fonds paneuropéen la partie de la dette des pays de l'eurozone excédant les 60% du PIB et de l'amortir sur une période de 20 à 25 ans. Le gouvernement allemand ne l'a pas reprise à son compte. Mais l'opposition sociale-démocrate plaide pour, d'autant qu'elle serait compatible avec la stricte doctrine de la Cour constitutionnelle allemande qui a marqué dans le passé son opposition à la mutualisation des dettes. Le centre de recherche Bruegel, à Bruxelles, travaille aussi sur un tel projet.

- La troisième option serait que les euro-obligations se substituent partiellement aux obligations nationales. Chaque Etat serait alors tenu d'apporter des garanties à hauteur de sa part de dette. C'est la seule option qui ne nécessiterait pas une modification (par définition longue et compliquée) des traités européens. L'article 125 du Traité de Lisbonne établit en effet que les Etats membres doivent assumer seuls leurs engagements financiers.

Parmi les scénarios « lights » envisagés à l'heure actuelle, l'on peut citer celui du groupe Euro 50 piloté par l'ancien ministre des finances Edmond Alphandéry. Il promeut un projet de « panier d'obligations souveraines », sur le modèle du panier de devises qui a préludé au lancement de la monnaie unique. C'est l'option la plus faisable à court terme qui permettrait, selon lui, de stopper la renationalisation accélérée des portefeuilles de souverains des investisseurs et de resserrer les écarts de taux ("spreads") entre pays européens. Pour lui, ces « eurogovies » pourraient être un produit attrayant pour des investisseurs qui veulent continuer à parier sur l'eurozone et diversifier leur risque souverain. Natixis et quelques autres ont un ?il sur le projet et seraient prêts à se lancer... sous réserve que les autorités publiques créent une incitation à investir dans un tel paquet, en limitant le montant en capital demandé aux banques pour détenir de tels actifs par rapport à des obligations purement nationales.

Qui est pour ? Qui est contre ?

La France défend l'instauration des Eurobonds. Elle est notamment soutenue par la Commission et l'Italie. L'Allemagne y est toujours farouchement opposée, tout comme les Pays-Bas et la Finlande. Ces pays, qui font partie des mieux notés, craignent de voir leurs conditions d'emprunt se dégrader. L'Allemagne a levé de la dette à deux ans à 0 % cette semaine. Le ministre allemand de l'Economie, Philipp Rösler, a encore rappelé la position allemande ce jeudi. « Les euro-obligations ne sont pas le bon instrument pour stabiliser l'Europe car elles élimineraient la pression poussant nos partenaires à mener des réformes et elles mineraient la discipline de marché », a-t-il dit.

Une finalité ou un moyen ?

Si pour certains, l'émission d'euro obligations permettrait d'atténuer les pressions qui pèsent actuellement sur la zone euro d'autres ne l'envisagent que comme le couronnement d'un processus d'intégration et de convergence des Etats à moyen, voire à long terme.

Un sondage réalisé par le CFA Institute, une association de professionnels de l'investissement, montre qu'une majorité des professionnels de marché estime qu'une émission commune d'euro-obligations permettrait de « réduire l'ampleur de la crise de la dette souveraine » (55%) et de « renforcer la stabilité financière de la zone Euro » (52%). Plusieurs éléments leur apparaissent comme des conditions préalables essentielles, et notamment une intégration renforcée des Etats (86 %), ainsi qu'une « surveillance accrue et intrusive de l'élaboration et la mise en place des politiques fiscales nationales (88 %).

Les autres moyens envisagés pour doper les investissements européens

Il faudra sans doute attendre longtemps avant la mise en place des premiers eurobonds. En revanche, fin juin, les Européens devraient arriver à un consensus sur plusieurs mesures destinées à encourager les investissements :

- Le renforcement du capital de la Banque européenne d'investissement (BEI), bras financier de l'UE, qui peut notamment venir en aide aux PME. Il serait augmenté de dix milliards d'euros.

- Une meilleure "mobilisation" des fonds structurels, souvent bloqués car ils nécessitent un cofinancement par les Etats. L'idée serait de limiter ce cofinancement et de les réorienter dans les domaines les plus porteurs.

- Des "project bonds": il s'agit d'emprunts destinés à financer des grands chantiers d'infrastructures. Une phase pilote devrait être lancée pour un montant global espéré de 4,5 milliards d'euros. Leur fonctionnement est très différent de celui des euro-obligations - ce ne sont pas, contrairement à ce que l'on croit parfois, des embryons d'eurobonds - , puisque dans ce cas précis, l'Union européenne devra s'appuyer sur une enveloppe de départ de 230 millions d'euros du budget européen, pour lever, via la Banque européenne d'investissement et des capitaux privés, jusqu'à 4,5 milliards d'euros.