Pourquoi est-il si difficile de privatiser en Grèce ?

Par Elisa Perrigueur, à Athènes  |   |  1037  mots
Manifestation à Athènes en juin 2011des employés de LARKO, la compagnie publique de métallurgie grecque, contre sa privatisation Copyright Reuters
Au début du mois de juillet, le gouvernement Samaras a annoncé un programme de 28 privatisations. Mais son application risque d'être un parcours du combattant.

Le 20 juillet, Costas Mitropoulous, responsable du programme des privatisations, démissionne. « Le gouvernement ne nous apporte pas le soutien dont nous avons besoin », résume-t-il pour justifier sa décision. Cet abandon de poste embarrasse. En effet, les 28 privatisations grecques sont considérée comme une priorité pour engranger des recettes. L'objectif est de réaliser 15 milliards d'euros d'économie,d'ici 2015. On trouve de tout dans les entreprises qui composent la liste : un centre commercial, des golfs ou des casinos sur les îles, la compagnie d'électricité (DEI ou PPC), les chemins de fer, le gaz naturel (Depa) ou le terrain d'Hellinikon (base de l'ancien aéroport international).

Deux privatisations seront réalisées en 2012

Parmi les intéressés, on compte des investisseurs chinois, russes, français, allemands... «Il n'y a pas encore de calendrier précis et de repreneurs annoncés », reconnaît Areti Skafidaki, première secrétaire pour les Affaires économiques au ministère des Affaires étrangères. « Mais cela ira vite,en raison de la pression financière et de l'Europe », assure-t-elle.
Au grand dam de la troïka des bailleurs internationaux (Commission européenne, Banque centrale européenne et FMI), qui attend ces réformes, la Grèce progresse lentement. Le programme a déjà trois mois de retard, en raison des troubles politiques, le pays ayant été obligé de voter deux fois pour élire un parlement et dégager une majorité. Aussi, le gouvernement a prévenu : seules deux opérations seront réalisées en 2012. Les cessions de la loterie nationale et de l'ex-centre international de presse olympique, qui feront gagner 3 milliards d'euros à l'Etat en crise.

Le rôle des syndicats

En Grèce, les privatisations relèvent en effet du défi plus qu'ailleurs. «Le pays possède une vision socialiste de ses activités, les privatisations sont contraires à notre approche », rappelle Evangelos Venetis, de l'Institut de recherche hellénique (Eliamep). Entre 1981 et 1985, le Premier ministre Andreas Papandreou (Pasok) a nationalisé près de 230 entreprises, mettant en place une économie étatique. Conséquence, de 32 % du PIB en 1981, la dette publique est montée à 85 % en 1987.

Le service public, grâce à un tel poids (40% du PIB, 785.000 salariés en 2011), est doté d'avantages sociaux et salaires supérieurs au privé. Parallèlement, les principaux syndicats, le Gsee (pour les employés des entreprises et secteurs sous contrôle public et privé) et l'Adedy (qui représente tous les fonctionnaires) deviennent des acteurs stratégiques. «Andreas Papandreou a donné le pouvoir aux syndicats, ils l'ont encore aujourd'hui dans les décisions, constate Evangelos Venetis. « Face aux organisations, les gouvernements sont faibles, et ils les soutiennent de peur de perdre leurs voix », déplore-t-il.

Blocage historique

Aussi, chaque tentative de privatisation est marquée par une fronde syndicale. Ce fut le cas en 1992, lorsque Constantine Mitsotakis, Premier ministre, membre de la Nouvelle Démocratie, annonce une vague de privatisations. « Il a essayéde céder la société des bus d'Athènes, se souvient Evangelos Venetis. Les syndicats ont acheté des véhicules pour assurer le transport public et empêché les chauffeurs de travailler. » Comment le conflit s'est-t-il terminé ? «L'armée a dû intervenir pour conduire les bus ! La privatisation a échoué. Le gouvernement n'a pas été réélu. »

Crise actuelle oblige, les réactions syndicales sont plus que jamais à l'ordre du jour. Selon Antonis Kefalas, économiste à SEV (Fédération des entreprises helléniques), « les syndicats de la DEI (qui alimente 69% du pays) ont menacé de couper l'électricité en cas de privatisation.» « Comment les syndicats vont réagir à ces nouvelles privatisations? », s'interroge Evangelos Venetis, pour qui « l'évolution de la situation dépend d'eux. »

Les privatisations à marche forcée des années 2000

Après la tentative sans lendemain de 1992, un nouveau sursaut apparaît chez les politiques en 1995. La candidature de la Grèce vient d'être acceptée pour intégrer l'Union économique et monétaire (UEM). Les gouvernements cèdent les entreprises au compte-goutte. Des participations de plusieurs sociétés sont vendues : OTE (organisation hellénique des télécommunications) en 1996, OPAP la société de paris de football en 2001, la Banque nationale de Grèce en 1998, la Bourse d'Athènes en 1997...Entre 1990 et 2006, la Grèce a mené 61 privatisations pour 20 milliards de dollars. « C'est plus que n'importe quel pays d'Europe, à l'exception du Portugal !», s'emporte Georges Stathakis, économiste et député Syriza (gauche radicale).

Pour Evangelos Venetis, « il y a bien eu des privatisations, mais elles prennent énormément de temps. » L'économiste Antonis Kefalas renchérit : « Les gouvernements (y compris Nouvelle Démocratie) ne veulent pas vraiment mener ses privatisations à bout. Ils ont trop d'intérêts dans ce système actuel. »

L'opinion publique partagée

« Alors que l'idée est d'ouvrir le marché, tout le monde voit la privatisation comme une perte de pouvoir, juge Antonis Kefalas. Les privatisations sont nécessaires, même si je ne sais pas comment nous réussirons à vendre certains biens. » D'après ce dernier, la société de chemin de fer par exemple, qui se trouve « dans un état déplorable », perd « 800 millions d'euros par an.» En 2011, la compagnie d'électricité a enregistré 149 millions d'euros de bénéfices contre 555 millions l'année précédente.

Dans l'opinion publique grecque, les privatisations divisent. Pour Daphnée, artiste athénienne, «les privatisations peuvent être dangereuses, les prix augmentent.» Elle avoue toutefois : « Malheureusement, je suis en faveur de privatisations en Grèce aujourd'hui, mais pas sans réserve. » « Nous n'avons plus le choix. Il y a urgence.»

Le député Georges Stathakis estime qu' « on demande trop d'un coup ! » « Les expériences prouvent que les privatisations sont inefficaces. » Il précise : « Les conditions de travail sont critiquables, comme chez Cosco (Le groupe chinois qui a repris une partie du port du Pirée. NDLR).»

Vassilis, salarié dans une société privée, commente : « Les compagnies doivent être sous le contrôle du gouvernement, sinon les patrons font ce qu'ils veulent. » Dans son entreprise de construction, Vassilis ne vient plus qu'un jour par semaine. Il n'est plus payé. Comme lui, 400.000 employés du secteur privé travaillent aujourd'hui sans salaire, en moyenne de un à cinq mois, selon le ministère du Travail grec.