Pour sauver l'euro, coupez-le en trois

Par Romaric Godin  |   |  985  mots
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Un économiste allemand propose de créer trois zones monétaires au sein de la zone euro qui correspondraient aux trois types d'économies de la région. Une analyse salutaire qui s'inspire de trois exemples contemporains de zones monétaires sans gouvernements.

La zone euro doit-elle éclater? Faut-il créer une nouvelle «zone mark»? Doit-on, pour sauver l'euro, créer un gouvernement de la zone euro? Toutes ces questions ne cessent d'être posées alors que s'éternise, malgré les annonces rassurantes des uns et des autres, la crise de la dette en zone euro.

La solution fédéraliste n'est pas une voie de sortie de la crise

Un économiste allemand, Martin Skala, des universités de Francfort et Osnabrück, apporte sur le site Ökonomenstimme et dans le quotidien autrichien Die Presse, une réponse originale: il faut couper la zone euro en trois, tout en conservant une seule banque centrale! Selon lui, l'erreur fondamentale de la construction de la monnaie unique réside dans les divergences fondamentales de nature des économies réunies sous la coupe de l'euro. Et pour lui, l'exigence d'une politique économique commune et d'un gouvernement commun n'est pas la solution que les «fédéralistes» présentent souvent.

Martin Skala présente pour cela plusieurs arguments. D'abord, il est impossible de mener «une dévaluation interne par de nouvelles structures bureaucratiques ou des transferts infinis». Sans compter, ajoute-t-il, que «une réelle surveillance des budgets nationaux de l'extérieur n'est ni réalisable, ni démocratiquement souhaitable.» Enfin, il n'est pas possible de mettre en place un contrôle autoritaire des salaires qui serait cependant nécessaire.

Des unions monétaires sans Etat qui fonctionnent

Surtout, l'économiste bat en brèche une idée reçue selon laquelle il ne peut y avoir de monnaie unique sans gouvernement unique de la zone monétaire. Dans Le Point du 13 septembre dernier, Bernard-Henri Lévy titrait, par exemple, son «Bloc-Note»: «Faire l'Europe politique ou mourir.» Martin Skala affirme pourtant que rien n'est plus faux. Il existe en effet trois unions monétaires aujourd'hui qui durent depuis fort longtemps et dont les gouvernements ont une large autonomie économique.

Il s'agit de l'Union économique et monétaire ouest africaine (UEMOA) qui regroupe huit pays, de la Communauté économique et monétaire d'Afrique centrale (Cemac) qui compte six membres et l'Union monétaire des Caraïbes orientales (ECCU) qui rassemble également huit pays. Ces trois unions monétaires n'ont pas, selon Martin Skala, «la profondeur institutionnelle de l'Union économique et monétaire» et pourtant, elles existent depuis 52 ans pour les deux premières et depuis 77 ans pour l'ECCU. L'économiste rappelle d'ailleurs que ces unions ont su surmonter des crises graves où des garanties immenses ont été prises par certains pays. Le Burkina Faso a ainsi accepté de prendre une garantie de 200% de son PIB pour sauver le Niger. Pourquoi une telle résistance? «Des économies de même nature peuvent prendre part à une union monétaire» alors qu'en zone euro, les économies des Etats membres sont bien trop hétérogènes.

L'Europe en trois

Quelle solution? Martin Skala estime que l'UEM est constitué de trois groupes d'économies:

1/ Les économies «N» (pour «nordiques») au taux de croissance potentiel bas, produisant un faible taux de hausse des prix. La monnaie de ce groupe doit être stable.

2/ Les économies «EM» (pour «émergentes») au taux de croissance potentiel fort s'accompagnant d'un taux d'inflation élevé pendant plusieurs décennies. Ces économies sont souvent basées sur la demande extérieure. La monnaie de ce groupe a un potentiel de réévaluation au fur et à mesure que les économies mûrissent. L'Irlande, la Slovaquie et l'Estonie pourraient en faire partie.

3/ Les économies «S» (pour «sudistes») au taux de croissance potentiel intermédiaire avec une forte inflation en raison d'une préférence pour une croissance basée sur la demande intérieure. La monnaie de ce groupe a une tendance à la dévaluation.

Trois monnaies, une banque centrale

Martin Skala propose alors de créer, à partir de l'euro, trois monnaies différentes, toutes trois gérées néanmoins par la BCE: le Nuru pour le premier groupe, l'Emru pour le second, le Suru pour le troisième. Pour Martin Skala, le cas de la Banque de France qui est responsable de cinq monnaies différentes (euro, deux francs CFA, franc pacifique et franc comorien) prouve qu'une gestion multiple par une banque centrale est possible.

De nombreux avantages

L'économiste égrène alors les avantages potentiels de sa solution. D'abord, chaque monnaie pourra répondre adéquatement aux besoins de chaque zone. Les réévaluations et dévaluations pourront prendre place dans des systèmes d'ancrages ajustables adaptés aux circonstances. Une solution qui aurait permis de donner un peu d'air à l'économie grecque par exemple. De même, les critères d'entrée dans chacune des zones monétaires seraient adaptés et permettraient d'accueillir des pays qui, par exemple, ont un peu plus d'inflation. La Lituanie pourrait ainsi entrer dans l'Emru, alors que son taux d'inflation l'empêche pour le moment de viser l'euro. Globalement, l'UEM y gagnerait de la crédibilité. Surtout, la politique monétaire serait mieux ajustée et freinerait l'émergence de «bulles» comme ce fut le cas en Irlande ou en Espagne au début des années 2000.

Un projet réalisable ?

Cette proposition mérite l'intérêt et semble sensée, mais elle risque d'être difficilement acceptable au niveau politique. Ces trois zones ne seraient-elles pas trois «divisions» et les pays du Suru ne risqueraient-ils pas de devenir les derniers de la classe? Dans ce cas, tout le monde cherchera à rejoindre au plus vite, le Nuru, la monnaie d'excellence. On risque alors de se retrouver avec les mêmes tares que l'euro: la volonté, pour des raisons politiques, de faire entrer dans le Nuru le plus de pays possible, sans se soucier des réalités politiques. Dans une Europe où l'on prend le chemin d'une «voie unique», cette proposition n'en est pas moins salutaire, même si aucune volonté politique ne semble devoir la soutenir.