Comment l'Irlande a liquidé son fardeau bancaire en une nuit

Par Romaric Godin  |   |  744  mots
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Dublin a vécu une nuit folle pour régler son problème bancaire. Un mouvement qui a conduit le pays à contraindre la BCE à accepter ses conditions.

Il y a eu cette nuit un parfum de crise de la dette à Dublin. Le gouvernement irlandais a lancé une procédure accélérée pour liquider l'Irish Bank Resolution Corporation (IBRC), qui regroupe les reste des banques Anglo Irish Bank et Nationwide qui avait été nationalisées en 2009 et 2010.

Une nuit pour agir

Vers 17 heures, mercredi, les agences Reuters et Bloomberg commencent à évoquer une possible liquidation de la banque. Michael Noonan, le ministre irlandais des Finances, prend alors peur. Si cette nouvelle se répand, les déposants à l'IRBC vont vider leurs comptes et les détenteurs des obligations émises par l'IRBC vont chercher à solder leurs positions. La valeur de la banque risque de s'effondrer et le projet de liquidation en douceur, prévue selon lui depuis septembre, risque d'échouer.

En début de soirée, Michael Noonan lance donc le processus. Il faut parvenir à achever le processus avant l'ouverture des guichets, et des marchés. En début de soirée, les dirigeants de l'IRBC sont remerciés et le contrôle de la banque est confié au cabinet KPMG. Vers 20h30, un projet de loi de 52 pages est présenté au conseil des ministres. Il prévoit le transfert de tous les actifs de l'IRBC à la banque publique NAMA et l'émission par cette dernière d'obligations pour payer les créanciers. Le projet est présenté en urgence au Seanad, le Sénat irlandais, qui l'adopte, puis, vers 3 heures du matin, au Dail, l'assemblée nationale, qui l'accepte aussi. Aucun amendement n'était toléré. Vers 6 heures du matin, le président irlandais, Michael Higgins, revenu précipitamment de Rome, promulgue la loi. L'IRBC a cessé d'exister.

Le règlement du différend avec la BCE

L'affaire ne s'arrête pas là. Cet après-midi, le gouvernement annonce avoir trouvé un accord avec la BCE sur le règlement de la « reconnaissance de dettes » (promissory notes) de 30 milliards d'euros signée par l'Etat irlandais à l'IRBC en 2010 afin que cette dernière puisse se refinancer auprès de la BCE. Cette reconnaissance de dettes obligeait Dublin à rembourser chaque année en mars 3 milliards d'euros à l'IRBC afin que cette dernière puisse ensuite rembourser les sommes levées à la BCE. Evidemment, une fois IRBC liquidée, la question de cette procédure se pose. En réalité, Dublin a clairement piégé la BCE en la contraignant à trouver un accord alors qu'elle rechignait depuis des mois à conclure.

L'accord avec la BCE met fin au paiement annuel de 3 milliards d'euros. La reconnaissance de dettes du gouvernement irlandais envers l'IRBC est remplacée par le versement direct à la BCE d'une obligation d'Etat irlandaise de 40 ans de maturité et portant intérêt à 3%. Ceci fera économiser, selon le Taoiseach (premier ministre irlandais) Enda Kenny, un milliard d'euros par an au budget. « Ce sera autant de taxes et de coupes budgétaires en moins », a conclu le Taoiseach.

Fin d'un dossier empoisonnant

Avec ce mouvement précipité, l'Irlande en finit avec un dossier qui empoisonnait son retour sur les marchés. Désormais, l'ex-«tigre celtique» peut envisager l'avenir avec plus de confiance. D'autant que le rapport de la troïka publié ce jeudi ne tarit pas d'éloges sur le pays. Reste cependant deux questions. D'abord, l'économie de l'Irlande reste fragile. Elle repose uniquement sur les exportations, la demande intérieure restant des plus faibles. Mardi, les constructions de maisons neuves ont atteint le plus bas niveau depuis 1970. Pas sûr, donc, que l'Irlande puisse être un modèle pour le reste de l'Europe. Ensuite, l'accord trouvé avec la BCE pose problème : la BCE ne doit pas acheter directement des dettes émises par les Etats de la zone euro. Certes, ici, il s'agit d'une conversion d'une dette bancaire. Mais ceci a furieusement le goût d'un renflouement direct. Il est vrai que les dirigeants européens et la BCE avaient déjà affirmé voici quelques semaines que « l'Irlande était un cas particulier. » Comme la Grèce. De plus en plus, donc, l'Europe devient donc une addition de « cas particuliers » qui permettent aux dirigeants européens d'éviter leurs propres engagements.le principal enseignement de cette "folle journée" restera cependant que, pour la première fois depuis le début de la crise, un pays a fait céder ses créanciers et la BCE dans un mouvement rapide et inédit. C'est peut-être la plus belle réussite irlandaise.