"Margaret Thatcher n'a pas fait de véritable réforme de l'Etat"

Par Propos recueillis par Jessica Dubois  |   |  650  mots
Margaret Thatcher, Premier ministre britannique de 1979 à 1990. Copyright Reuters
Margaret Thatcher a rompu avec la logistique inflationniste de ses prédecesseurs et bien sûr renvoyé aux oubliettes l'idée que le secteur public devait être une composante importante de l'économie de son pays, explique Jean-Marc Daniel, professeur à l'ESCP-Europe. En revanche, elle ne s'est pas attaquée à un certain nombre de profondes réformes structurelles.

LaTribune.fr : Dans quel état était l'économie britannique à l'arrivée de Margaret Thatcher au pouvoir et comment était-elle lorsqu'elle a quitté le 10 Downing street ?

Jean-Marc Daniel, professeur à l'ESCP-Europe et économiste à l'Institut de l'entreprise : A la fin des années 1970, l'économie britannique avait trois problèmes.Tout d'abord elle avait accumulé les déficits extérieurs. A l'époque, le Royaume-Uni menait une politique de "stop and go" :  le "go" c'était les politiques de relance qui accumulaient de la dette publique, creusait les déficits extérieurs et entretenait l'inflation. Cela conduisait au "stop", c'est à dire des politiques d'austérité pour essayer de limiter les déficits publics et extérieurs. En 1976, le Royaume-Uni est arrivé au bout de cette logique. Il s'est trouvé dans l'incapacité de rembourser ses dettes extérieures, et a du faire appel au FMI qui lui impose un politique d'austérité violente. Ensuite, sa croissance était inférieure à celle de ses concurrents européens. Enfin, le secteur public britannique était très développé depuis les nationalisations de 1945/1946, et ce secteur était peu productif.

En arrivant au pouvoir, Margaret Thatcher a commencé par conduire une politique monétaire restrictive pour se défaire de l'inflation. Elle a privatisé pour rembourser la dette publique. Et elle a libéralisé l'économie pour accroître la concurrence. En réalité, ce travail de libéralisation et d'ouverture à la concurrence avait déjà débuté sous le gouvernement de son prédécesseur travailliste James Callaghan.

Son bilan, c'est que le Royaume-Uni a connu une période de récession au début des années 1980, due en particulier à une appréciation très rapide de la livre sterling. Mais le déficit extérieur s'est progressivement réduit car le pays était devenu exportateur d'énergie, au moment même du deuxième choc pétrolier. A la fin des années Thatcher, la croissance repart. Mais les effets des réformes seront véritablement visibles sous les gouvernement de John Major et Tony Blair.

En outre, il y a eu le "big bang financier" de 1986. Celui-ci a réalisé une spécialisation de l'économie britannique qui a pris le relais de l'industrie.

LaTribune.fr : Qu'a-t-elle durablement et culturellement transformé dans l'économie britannique?

Jean-Marc Daniel : Elle a opéré une vrai rupture avec la culture d'inflation instaurée après la Seconde Guerre mondiale. Une inflation qui permettait au Royaume-Uni de se débarrasser de sa dette accumulée au cours de la guerre. Sous Thatcher, l'inflation n'est plus un outil. C'est une véritable rupture avec la tradition keynesienne qu'on ne connaitra pas avec Reagan.

Ensuite, elle rompt avec l'économie dirigée. Par les privatisations mais aussi par un changement des rapports de force. Auparavant, les syndicats étaientt associés à la gestion des entreprises. L'idée désormais est qu'une bonne régulation ne passe pas par la négociation mais par la concurrence. Enfin, elle enterre la logique de nationalisation. Avant elle, les travaillistes nationalisaient quand ils étaient au pouvoir. A l'arrivée de Tony Blair, il y a eu une acceptation par tout le monde que la privatisation serai un bon moyen de gérer l'économie.

LaTribune.fr : Quelle image a-t-elle laissé en Grande-Bretagne, dans les milieux économiques ?

Jean-Marc Daniel : Ils lui sont reconnaissants d'avoir brisé les syndicats et remis l'entreprise au centre du jeu économique. Mais son intransigeance passe plus mal. Pour un Anglais, un gentleman ne se comporte pas comme ça ! C'est ce que lui dit par exemple Harold Mac Milan, un ancien premier ministre conservateur.

En outre, aujourd'hui, le Royaume-Uni est obligé de mener une politique d'austérité, il a toujours besoin de réformes structurelles. Thatcher n'a pas fait de véritable réforme de l'Etat. Et elle a profité des facilités dues à la manne pétrolière qui est aujourd'hui épuisée.