Enrico Letta sera-t-il l'homme qui a fait bouger Angela Merkel ?

Par Romain Renier  |   |  874  mots
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Mariano Rajoy et Enrico Letta se sont entendus sur la mise en place d'une "task force" commune en vue de présenter un plan de sortie de crise à la zone euro au sommet européen de juin prochain. A la suite de sa tournée européenne, le chef du gouvernement italien a su réunir derrière lui un front en vue de présenter une alternative à la gestion de la crise par Angela Merkel. Pour le chef du gouvernement italien, qui risque gros sur le plan interne, l'enjeu est majeur. Reste à convaincre une chancelière allemande en pleine campagne électorale de faire un geste.

Objectif : le sommet européen de juin. A peine entré en poste, Enrico Letta multiplie les rencontres de dirigeants en vue de la prochaine réunion du Conseil européen. Lundi, c'était au tour du Premier ministre espagnol Mariano Rajoy, après les rencontres avec Angela Merkel, François Hollande et le Belge Elio di Rupo. Officiellement, aucun front uni n'est en train de se former contre la gestion de la crise européenne par Berlin. D'ailleurs, lors de sa rencontre avec son homologue espagnol, le chef du gouvernement italien n'a pas manqué, comme il l'avait fait avec François Hollande la semaine dernière lors d'une conférence de presse commune à Paris, de préciser qu'il n'y avait pas de tension entre la chancelière allemande et les dirigeants du sud de l'Europe.

Une "task force" commune pour une alternative à Berlin

Mais dans les faits, Enrico Letta cherche bel et bien à préparer l'alternative à la politique européenne menée par l'Allemagne depuis le début de la crise. Lui et son homologue, pourtant de sensibilités politiques différentes, ont multiplié les signes d'entente. Mais surtout, ils se sont accordés sur la mise en place d'une "task force" commune aux deux pays pour présenter en juin au Conseil européen une position commune en vue de relancer la croissance et surtout l'emploi.

Mariano Rajoy, le conservateur, a souligné à ce sujet que la croissance soutenable et l'emploi étaient les "éléments fondamentaux" d'une Europe qui tient dans la "sociale-démocratie" son identité commune. La raison de ce positionnement tient à un constat simple : l'économie espagnole est à l'arrêt, et après les cures d'austérité successives, la confiance a disparu. Face à des difficultés internes de premier ordre, au rang desquels un taux de chômage des jeunes qui est le plus élevés d'Europe, Mariano Rajoy a tout intérêt à profiter de ce nouveau vent qui souffle sur le continent. D'autant plus qu'il va devoir faire face à une échéance politique importante pour l'avenir de l'Espagne : le référendum sur l'indépendance de la Catalogne prévu en 2014.

L'importance de parler des mêmes choses

Est-ce à dire que tout est gagné pour les tenants de "la croissance et de l'emploi", le nouveau moto des dirigeants européens ? On n'en est pas encore là. D'abord, il faudra s'entendre sur le fond. Car il est important de savoir ce que l'on met derrière l'expression. Une chose est sûre, les deux dirigeants disent ne pas vouloir remettre en cause la rigueur budgétaire. Sur ce point, ils ont obtenu des signes encourageants de la part de la Commission européenne en fin de semaine dernière. Les deux ans de délai accordés à l'Espagne par Bruxelles leur permettraient d'éviter des nouvelles coupes pour un montant de 18 milliards d'euros. Et tous deux n'entendent pas non plus revenir sur les réformes structurelles déjà mises en place dans les deux pays. "Nous voulons rester crédibles" afin que personne ne puisse dire que "nous sommes les mauvais élèves", ont affirmé les deux hommes.

En fait, ce qui se dessine, c'est un nouveau pacte pour la croissance et l'emploi après celui obtenu par François Hollande il y a un peu moins d'un an, et dont les effets sur le tissu économique de la zone euro se font toujours attendre. A cette époque, le président français avait commis l'erreur de faire cavalier seul pour négocier avec la chancelière allemande. Depuis, même si le président français s'est montré très enthousiaste à la suite de sa rencontre avec Enrico Letta la semaine dernière, Paris vogue entre deux eaux, évitant coûte que coûte de froisser Berlin. Aujourd'hui à la manoeuvre, Enrico Letta cherche des alliés. Il a d'ailleurs clairement évoqué mardi la nécessité d'une "stratégie commune". Pour éviter la division, l'Espagnol et l'Italien ont tenu bon de préciser que la gestion des problématiques de l'emploi et de la croissance au niveau interne ne serait pas l'objet de la "task force" et resterait du ressort de chacun.

Enrico Letta joue la survie de son gouvernement

Pour le président du Conseil italien, la réussite de ce sommet de juin est capitale. Il y va en effet de la survie de son gouvernement. Assis sur une coalition des plus fragiles, il se doit de convaincre les Italiens dont le coeur balance entre l'eurosceptique Beppe Grillo sur sa gauche et Silvio Berlusconi sur sa droite. En ce sens, une avancée sur le plan européen à mettre à son actif lui serait des plus précieuses. Les dirigeants européens, pour qui Enrico Letta constitue la seule alternative sérieuse en Italie, le savent. La montée des populismes dans la péninsule est en cela un argument de poids pour le transalpin.

La difficulté sera évidemment de convaincre Angela Merkel, qui, en pleine campagne électorale en Allemagne a malgré tout intérêt à se montrer ferme aux yeux de son électorat. Pour elle, il vaudrait mieux bouger en septembre, après les élections allemandes.

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