La social-démocratie, un mythe bien français

Par Romaric Godin  |   |  1623  mots
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Alors que François Hollande va fêter les 150 ans du SPD à Leipzig, il rechigne encore à s'avouer social-démocrate, malgré les sollicitations des analystes politiques. Pourtant, une telle « conversion sémantique » serait loin d'être la panacée.

C?était inévitable. A peine le micro fut-il tendu aux représentants des médias lors de la conférence de presse de François Hollande le 16 mai que « la » question tombe. « Etes-vous social-démocrate ? » Réponse un peu gênée du président français : « Je suis un socialiste qui veut faire avancer la France. » Et les commentateurs de gloser sur ce refus du président d?enfin s?assumer « moderne. » Cette scène est un grand classique de la vie politique française. Le terme de « social-démocratie » est le piège classique de l?intervieweur chevronné hexagonal face au centre-gauche, tandis qu?il est le fameux sein que le Tartuffe socialiste français ne veut pas voir.

Une injure pour la gauche ?

Pourtant, ce jeudi, François Hollande et Harlem Désir, le patron du PS, iront fêter avec Angela Merkel à Leipzig les 150 ans du parti social-démocrate allemand, le SPD. Là encore, le président français a montré un peu de gêne et a dû se justifier en affirmant que le SPD est « un grand parti. » Comme si, en France, le terme de « social-démocrate » relevait de l?injure pour la gauche. Ce dont jouent évidemment les commentateurs. Mais, en réalité, tout ceci ressemble à un débat vain et creux. A deux niveaux au moins. D?abord, parce qu?il semble inutile sur le plan théorique. Ensuite, parce qu?il n?a plus de sens dans la situation actuelle.

Le PS a fait son aggiornamento idéologique

Sur le plan théorique, d?abord. Le Parti socialiste a désormais abandonné toute référence au marxisme. Dans sa déclaration de principe qui fait partie de ses statuts, le PS s?affirme ouvertement comme un « parti réformiste » (article 14) qui veut changer « la vie et la société par la loi et le contrat. » Et s?il « porte une critique historique du capitalisme » (article 6), il se veut partisan « d?une économie sociale de marché » et d?un « secteur privé dynamique. » Une notion créée, rappelons par un chrétien-démocrate allemand, Ludwig Erhard, mais qui figure au c?ur du programme de Hambourg du SPD de 2007, le dernier en date (chapitres 26 à 29).


Certes, le SPD va un peu plus loin en proclamant que « l?économique ne doit pas être soumis au politique » (article 4), mais il prévient également que le « marché a besoin d?un cadre politique » (article 28), ce qui fait écho à « l?économie de marché régulée par la puissance publique » des principes du PS. Du reste, les deux partis posent les mêmes limites au marché. Le PS affirme « que certains biens et services ne doivent pas relever du fonctionnement du marché quand ils concernent les droits essentiels », tandis que le SPD proclame que le « politique doit s?assurer que ce qui n?est pas une marchandise ne le devienne pas : le droit, la sécurité, la santé, la culture, l?environnement. »

Des divergences terminologiques

Au final, les différences entre les programmes des deux partis sont surtout terminologiques. Le SPD assume mieux les termes de « marché » et « d?entreprise » que le PS. Mais la différence est surtout une différence de forme, pas réellement de fond. Elle est en grande partie liée à l?histoire. Le SPD a lutté de front contre les Communistes, entre les deux guerres, puis lorsque l?Allemagne était divisée en deux. Il n?a pas eu, comme feu la SFIO ou le PS, affaire avec un parti communiste fort jusqu?au milieu des années 1980.

La preuve par l?exemple

Par ailleurs, le PS a, depuis 1983 et le « grand tournant de la rigueur », fait la preuve de sa capacité à réaliser une politique de l?offre. Sa politique économique s?est fortement « recentrée » depuis cette date. Ce sont ainsi les gouvernements PS qui ont mené la grande libéralisation des marchés financiers dans les années 1980. Depuis le fameux « ni, ni » (ni privatisations, ni nationalisations » de François Mitterrand en 1988, les nationalisations ne font plus partie depuis longtemps de la méthode PS, même si parfois, certains de ses dirigeants peuvent l?évoquer. Le gouvernement Jospin a pratiqué des privatisations partielles, et celui de Jean-Marc Ayrault l?évoque également. On notera également qu?un mouvement « révolutionnaire » ne pourrait guère faire voter le « crédit impôt compétitivité emploi » qui prévoit de distribuer 20 milliards d?euros aux entreprises ou de défendre l?idée d?une maîtrise des dépenses. Certes, le PS n?a pas fait un « agenda 2010 » comme l?a fait Gerhard Schröder. Mais ses adversaires conservateurs l?ont-ils fait davantage ? En réalité, la différence entre le PS et le SPD relèvent moins de la nuance théorique et pratique que des différences culturelles propres aux réalités françaises et allemandes. Appeler le PS « parti social-démocrate » ne changerait vraisemblablement rien à cela.

Le réformisme européen : un succès ?

Reste une question. Si le PS recentrait son discours comme semblent le souhaiter les observateurs politiques français, serait-il plus fort ? Rien n?est moins sûr. En réalité, ce que ces fins analystes semblent ignorer, c?est que la social-démocratie européenne est en crise profonde. Le réformisme est en déroute un peu partout.

La défaite du PD italien

En Italie, les ex-communistes ont tellement voulu apparaître comme centristes qu?ils ont supprimé d?abord le terme « social », puis le terme « gauche » dans leur dénomination pour ne devenir que le « parti démocrate. » Mais, électoralement, ils ne parviennent plus à apparaître comme une alternative. Leur discours est inaudible. Lors des élections de février 2013, le PD est certes arrivé en tête, mais il a en réalité subi une défaite cinglante au profit du « Mouvement 5 Etoiles. » Aujourd?hui, le PD est à nouveau dépassé par la droite berlusconienne dans les sondages.

Les difficultés scandinaves

Dans les pays scandinaves, longtemps considérés comme des modèles de social-démocraties, ce sont les partis conservateurs libéraux qui ont le vent en poupe. Au Danemark, les Sociaux-démocrates sont arrivés au pouvoir en 2011 en enregistrant un plus bas historique et ils ont dû s?allier à leurs dissidents de gauche. Les sondages leur sont très défavorables. En Suède, les Sociaux-démocrates sont exclus du pouvoir depuis 2006 et ont atteint en 2010 leur plus faible score depuis 1914, menaçant de passer sous les 30 %. Même situation en Finlande, où les Sociaux-démocrates sont passés pour la première fois de l?histoire politique du pays sous les 20 %. Aux Pays-Bas, les travaillistes ont connu une embellie lors des élections de 2012, mais ils sont fort éloignés, à moins de 25 %, de leurs niveaux des années 1980.

Enfin, en Espagne, le PSOE est menacée de passer sous les 20 %, tandis que le PASOK grec est désormais un parti de deuxième rideau. Partout, les partis sociaux-démocrates sont menacés à leur droite par les partis populistes anti-européens (Démocrates Suédois, Vrais Finlandais, Parti de la Liberté néerlandais, Parti populaire au Danemark) ou sur leur gauche par des partis plus radicaux (Liste d?Union au Danemark, Gauche socialiste en Suède, Parti socialiste néerlandais). Globalement, le recentrage des partis sociaux-démocrates a surtout profité aux partis de droite qui ont pu se présenter comme plus authentiques que ces « nouveaux convertis » au libéralisme.

La déroute du SPD

Nul exemple n?est plus frappant de ce point de vue que celui du SPD. Depuis le « recentrage » de Gerhard Schröder, le parti a perdu une grande partie de son appui populaire. En 1998, il avait réuni 40,9 % des voix. En 2009, il n?en a recueilli que 23 %. Cette érosion considérable s?explique en partie par les réformes Schröder qui ont éloigné vers Die Linke (le parti de gauche d?Oscar Lafontaine) ou vers l?abstention (qui a progressé de plus de 12 points sur la même période) une partie de son électorat. Mais l?électorat centriste qui avait pu voter Schröder par lassitude pour Helmuth Kohl en 1998 ou par crainte du très conservateur Stoiber en 2002 est désormais séduit par la modérée Angela Merkel et n?envisage plus guère de se tourner vers un parti dont l?image vieillit considérablement. Les Jeunes de centre-gauche préfèrent désormais largement les Verts au SPD. Résultat : le SPD ne parvient pas à décoller, il est donné par le dernier sondage Forsa publié ce mercredi à 26 % contre 41 % à la CDU.

Bateau ivre de la politique allemande, le SPD, dont les commentateurs français font tant l?éloge tente de « gauchiser » un peu son discours, s?inspirant notamment de son voisin français, ce qui n?est pas le moindre des paradoxes. Mais dans une Allemagne très peu sensible à ce type de discours et qui regarde l?expérience Hollande avec un brin de mépris, les gains de ce mouvement stratégique sont faibles, voire inexistants. Les chances du SPD lors de l?élection fédérale du 22 septembre prochain sont donc très faibles. Tout juste peut-il espérer un blocage parlementaire qui lui ferait entrer en tant que partenaire minoritaire dans une « grande coalition » avec la CDU.

On voit donc combien la « social-démocratie » est loin d'être la panacée universelle que présentent les analystes politiques français. Du reste, une grande partie des difficultés actuelles du PS sont assez communes à ceux des autres partis sociaux-démocrates européens.

 

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