La BCE agira en juin, mais a minima

Par Romaric Godin  |   |  1365  mots
La BCE devrait baisser ses taux encore en juin et instaurer un taux de dépôt négatif
La BCE va agir le 5 juin, mais sans doute sans grande conviction : une baisse des taux et un taux de dépôt négatif. Juste de quoi montrer sa volonté d'action. Mais l’efficacité de ces mesures restera faible.

Cela semble désormais acquis et certain : la BCE agira le 5 juin, mettant fin à une inaction de huit mois pendant laquelle l'inflation de la zone euro est restée entre 0,5 % et 0,8 %. Mario Draghi et les siens n'ont pas ménagé leurs efforts pour envoyer des messages dans ce sens depuis la dernière réunion, le 8 mai. D'abord, il y a eu cette déclaration de l'Italien, le 8 mai précisément, se disant « à l'aise » avec une action en juin. Cinq jours plus tard, le Wall Street Journal affirmait que la Buba avait donné son feu vert à une telle action, puis, le lendemain, Reuters confirmait que la BCE travaillait à un « paquet de mesures. » Cela ne fait donc pas l'ombre d'un doute : le 5 juin, la BCE va passer à l'offensive. Elle a, il est vrai, d'excellentes raisons pour cela.

L'échec de la politique attentiste

La principale, c'est que sa politique a échoué. Après la baisse du taux principal de refinancement d'octobre à 0,25 %, Mario Draghi a joué la montre. Il a attendu la fameuse « accélération de la reprise » que tous les experts lui promettaient pour la zone euro. Mais cette accélération n'a pas eu lieu. Certes, les effets de la politique monétaire se sont fait sentir en Allemagne où la demande intérieure a profité de ces taux bas. Mais la première économie de la zone euro est devenue une exception. Partout ailleurs, l'activité s'est ralentie ou a rechuté. Les chiffres de croissance du premier trimestre 2014 l'ont confirmé. L'absence d'effet d'entraînement de l'économie allemande, l'absence de crédit, le manque de dynamisme de la demande externe, la faiblesse des prix et la persistance d'un euro fort ont réduit à néant le « scénario central » des économistes.

Du coup, l'attente devenait impossible pour la BCE : sans dynamisme économique, les prix doivent continuer à s'affaisser. Pendant les premiers mois de 2014, Mario Draghi et les siens ont pu penser qu'ils pourraient agir par la parole. En menaçant d'agir, ils espéraient redonner de la confiance et faire reculer l'euro. Mais l'euro est fort pour des raisons structurelles, parce que la zone euro, soumise à une austérité persistante, dégage désormais un excédent courant de 3 % du PIB. Les paroles de Mario Draghi n'ont donc eu que peu d'effets. Et progressivement, l'objectif d'un taux d'inflation à moyen terme « proche des 2 %, mais sous les 2% » s'est éloigné. Le 5 juin, les équipes de la BCE devraient encore réviser à la baisse leurs prévisions d'inflation.

Le risque de l'inflation faible

Or, cette « période durable d'inflation faible » est très risquée. Si elle agit sur les anticipations d'inflation à moyen et long terme, elle va agir sur les prévisions de rentabilité et donc sur l'investissement. Progressivement, la désinflation va devenir déflation. Et il ne faut pas oublier que les Etats de la zone euro sont très endettés : un ralentissement ou une baisse des prix provoque un renchérissement de facto du stock de dette. Il risque de contraindre les Etats de la région à renforcer leurs consolidations budgétaires (puisque c'est la seule option que leur laisse la nouvelle architecture institutionnelle de la zone euro). On se retrouvera alors au seuil d'une nouvelle récession proche de celles des années 2011-2013. Il faut donc contenir l'incendie. C'est ce que va tenter de faire le 5 juin la BCE. Mais comment ?

Une action a minima

L'économiste en chef de la BCE, Peter Praet va, selon le Spiegel de ce lundi, proposer deux actions,: une baisse du taux directeur à 0,15 % et un taux négatif pour la facilité de dépôt à -0,1 %. Deux mesures qui confirment les attentes majeures de la plupart des économistes, par exemple ceux de Merril Lynch Bank of America qui indique que, même en cas de mesures supplémentaires, « ces mesures seront limitées. » Pour quelle portée ? Il faut l'avouer : ces mesures, sans être totalement inutiles, auront un impact des plus réduits. Qui peut croire qu'un taux de refinancement à 0,15 % plutôt qu'à 0,25 % aura un vrai impact sur l'activité ? La question n'est pas dans le coût du financement de l'économie, mais dans la distribution du crédit. Même remarque sur le taux de dépôt négatif. En théorie, ceci libère 30 milliards d'euros actuellement placés sur la facilité de dépôt de la BCE. Mais là encore, retirer cet argent de ce compte ne signifie pas l'investir dans l'économie. Les banques peuvent le placer en « billets de banque », sur leurs comptes courants de la BCE, qui sont un dépôt qui rapporte 0 %. La zone euro ne souffre pas de manque de liquidités, elle souffre d'une mauvaise utilisation de cette dernière. Or, sans reprise de l'activité qui garantira les crédits accordés, l'effet sera limité.

Pourquoi cette pusillanimité ?

La politique de la BCE restera celle de la pusillanimité. L'action du 5 juin sera donc une action a minima, une action de réponse aux attentes. Mais une action qui, clairement, ne sera pas à la hauteur de l'enjeu. Comme le soulignent les experts de la société de gestion suisse Pictet, « la BCE a clairement une préférence pour l'inaction (…) au risque de laisser la zone euro glisser sur la pente inquiétante de la déflation. » Mais comment expliquer cette crainte de l'action ?

La réponse à cette question reste à chercher du côté de la Bundesbank. Cette dernière se montre très souple en apparence. En réalité, elle lâche du lest d'un côté pour verrouiller toute action de l'autre. Le 13 mai, elle a prévenu : il n'y aura pas de rachat massif d'actifs, ni publics, ni privés. Selon Der Spiegel, Peter Praet ne proposera donc aucun assouplissement quantitatif à l'américaine à la BCE. Pourquoi cette réticence ?

L'inquiétude de la Bundesbank

D'abord parce que la Buba redoute une « surchauffe » d'une économie allemande qui repose désormais sur sa demande interne et sur l'envolée de l'immobilier. A Francfort, on veut éviter toute bulle et toute dégradation excessive de la compétitivité. On refuse donc toute expansionnisme monétaire massif.

L'impasse de la BCE

Reste qu'au-delà du jeu allemand, la BCE est dans une impasse pratique et théorique. Une action massive serait loin d'être couronnée de succès. Un rachat de dettes publiques serait risqué alors même que se dessinent des bulles sur la dette périphérique fortement sous-évaluée. Elle serait contraire à l'exigence de consolidation budgétaire que défend la BCE.

A Francfort (à la BCE comme à la Buba), on redoute « l'aléa moral » et certains pays pourraient être tentés de « réduire leurs efforts » si la BCE rachète leurs dettes. Surtout, l'efficacité de ces rachats reste à démontrer alors que spreads et taux se sont fortement réduits. La BCE aurait voulu financer les PME par le rachat de dette titrisées, les fameux « ABS », mais leur marché n'existe plus. Et il faudra trop de temps pour le faire renaître. La BCE voudrait faire baisser l'euro, mais elle promeut une politique qui le soutient. La réalité, c'est qu'elle semble incapable de contrer les effets déflationnistes des politiques d'austérité qu'elle défend par ailleurs. C'est pourquoi elle choisit une voie minimale.

La crainte inflationniste

Surtout, la BCE craint l'inflation autant que la déflation. Elle redoute de devoir faire face aux effets à moyen terme d'une politique expansionniste. Elle refuse de prendre le risque de combattre la déflation par une politique inflationniste. C'est le fruit de sa culture fondamentale, celle qui est issue de la Buba des années 1980 et 1990 et qui l'a déjà amené à relever par deux fois, en pleine crise, en juillet 2008 et en juillet 2011, ses taux ; celle aussi qui l'a amené à réduire son bilan au cours de ces derniers mois, malgré le risque déflationniste. Là encore, cela joue en faveur d'une politique attentiste.

L'ennui, c'est que la BCE joue à présent avec le feu déflationniste. Et que cette flamme est particulièrement dangereuse pour l'avenir de l'économie de la zone euro et même pour son existence.