Avant sa réunion, la BCE reste sous la pression allemande

Par Romaric Godin  |   |  1015  mots
Mario Draghi doit mener une politique en équilibre précaire. /Reuters
La Banque centrale européenne (BCE) devrait agir le 5 juin, mais sans conviction. L'Allemagne conteste à nouveau sa politique accommodante.

C'est une semaine cruciale qui va s'ouvrir pour la politique monétaire de la zone euro. Jeudi 5 juin, le conseil des gouverneurs de la BCE devrait agir pour contrer le risque de déflation. Il s'agit bien d'utiliser le conditionnel, car, pour le moment, la doctrine officielle établie par Mario Draghi le 8 mai est celle d'attendre les projections d'inflation des équipes de la BCE. Si ces dernières révisent encore une fois à la baisse ses prévisions d'inflation pour 2014 et 2015, alors le Conseil agira pour éviter que le cercle vicieux de la déflation.

Les conditions de l'inflation faible

Il paraît cependant évident que ces projections seront à nouveau revue en baisse. La dynamique économique semble toujours aussi faible. Les économies de la zone euro, désormais centrées sur la recherche de leur compétitivité externe, ne peuvent guère en profiter puisque la croissance mondiale demeure sans entrain. Les deux économies qui se sont le mieux comportées en zone euro au premier trimestre sont l'Allemagne et l'Espagne et, dans les deux cas, c'est la demande intérieure qui a tiré l'économie. Mais partout (sauf en Allemagne), l'austérité demeure la règle. Et la distribution de crédit continue à se contracter. Certes, en avril, cette contraction était moins forte (-1,5 % sur un an contre -2 % en mars), mais on reste largement en territoire négatif. Et ceci ne peut contribuer à soutenir l'investissement et l'emploi.

Inflation en baisse à nouveau

Sans croissance, l'inflation ne pourra reprendre. Aussi voit-on les chiffres de l'inflation en mai montrer une nouvelle faiblesse après la faible reprise d'avril. En Belgique, le taux annuel selon le calcul national est passé en un mois de 0,62 % à 0,36 %. En Italie, l'inflation annuelle en calcul européen harmonisée a reculé de 0,1 point en mai, passant de 0,5 % à 0,4 %. Même mouvement en Espagne où le taux annuel en calcul national est passé en mai de 0,4 % à 0,2 %. Selon les équipes de Barclays, le taux de la zone euro pourrait reculer de 0,7 % à 0,6 % en mai. Ce sera le huitième mois sous les 1 %. Il est toujours possible de relativiser en mettant en avant les effets de l'énergie et de l'alimentation, mais le risque que cette faible inflation passe dans les anticipations des agents économiques demeure entier. Et dans ce cas, la faible reprise de la zone euro n'y résisterait pas.

On voit donc mal comment la BCE pourrait ne rien faire. D'autant que les marchés attendent une action de la banque centrale. Les décevoir pourrait induire une réaction très vive et amener les agents économiques à considérer que la banque centrale n'est pas déterminée à lutter contre la déflation. Du coup, rien ne les empêchera plus d'anticiper une chute des prix. Évidemment, Mario Draghi ne peut prendre un tel risque.

Résistances allemandes contre l'achat de dettes publiques

Mais le président de la BCE n'a pas les coudées franches. L'Allemagne veille toujours. Certes, la Bundesbank a plusieurs fois répété qu'elle était prête à soutenir une politique accommodante pour contrer la déflation. Mais pas à n'importe quel prix. Pas question d'un assouplissement quantitatif à l'américaine (QE) et de l'achat de dettes publiques. La limite de l'action de la BCE, l'Allemagne la voit toujours dans cette obsession de l'aléa moral : la BCE adoucirait par son action la volonté de « réforme » des pays de la zone euro.

C'est l'argument depuis des années des économistes ordolibéraux outre-Rhin comme Hans-Werner Sinn, le patron de l'Ifo qui a prévenu qu'il porterait plainte devant la cour de Karlsruhe en cas de QE. Ce catéchisme du « moral hazard » a été répété ce jeudi par Wolfgang Schäuble, le ministre fédéral allemand des Finances dans une tribune publiée dans Die Welt. « Il faut prendre garde que la volonté de réforme ne s'affaiblisse pas », a-t-il prévenu avant de souligner que les « temps exceptionnels » de la politique monétaire devaient rester « exceptionnels » et « finir par cesser. »

Action minimaliste de la BCE

Du coup, la marge de manœuvre de la BCE est faible. Elle l'est d'autant plus qu'elle comptait pouvoir s'appuyer sur la relance de la titrisation de la dette des PME, les fameux Asset-Backed Securities (ABS). Ce vendredi, elle a encore publié un rapport sur le sujet. Mais rien ne semble se faire et annoncer un rachat massif d'ABS n'aura guère d'impact dans l'immédiat. Mario Draghi devrait donc annoncer une action a minima : une baisse du taux directeur de 0,15 point à 0,1 % et le passage du taux de la facilité de dépôt dans le négatif à - 0,1 %. A priori, ces mesures devraient être plus symboliques que directement efficaces, mais la BCE peut espérer un effet sur le taux de change qui redonnera un peu de force à l'inflation.

L'équation impossible de la BCE

Désormais, la BCE va marcher sur un fil. L'Allemagne montre à nouveau les dents. Décalée dans son cycle conjoncturel et dans la nature de sa reprise du reste de la zone euro, la première économie d'Europe craint à nouveau l'inflation et l'euro faible. Ses politiques, échaudés par les bons score des eurosceptiques d'AfD dimanche (7,5 %), reprennent la croisade de défense de l'intérêt du contribuable contre des pays du sud encore suspects de ne pas « vouloir les réformes. »

Bref, l'Allemagne semble moins que jamais prête à mutualiser les investissements et à soutenir les efforts des autres pays par une stimulation de la demande, pourtant nécessaire. Pire, elle continue à s'enfermer dans sa logique de « réformes à tout prix » dont on constate les dangers chaque jour. L'ennui, c'est que ce comportement ne permet pas le soutien dont aurait besoin la BCE pour sortir la zone euro de l'ornière et qu'il empêche même Mario Draghi de donner toute la mesure de ses moyens. Alors, comme toujours depuis son arrivée en 2011, l'Italien va faire ce qu'il peut : gagner encore du temps en attendant que la reprise se renforce. Mais en gagnant du temps, on risque in fine d'en perdre beaucoup…