Europe : Berlin caresse Londres pour contrer Rome et Paris

Par Romaric Godin  |   |  928  mots
Le ministre des Finances allemand juge "inimaginable et inacceptable" une sortie du Royaume-Uni de l'UE
Le ministre allemand des Finances a insisté sur ce qui rapproche l'Allemagne et le Royaume-Un dans une interview au Financial Times. David Cameron n'est peut-être pas le grand perdant du sommet de la semaine dernière comme on l'a cru un peu vite...

A lire les commentaires de la presse continentale depuis vendredi, on a le sentiment que David Cameron est le grand perdant du choix de Jean-Claude Juncker comme président de la Commission européenne. Et pourtant, l'interview que le ministre allemand des Finances Wolfgang Schäuble a donnée au Financial Times  et qui a été publiée ce lundi donne une autre image de la situation.

Points d'accord avec Londres

Le ministre allemand se trouve en effet plein de sollicitude à l'égard du Royaume-Uni. « Le Royaume-Uni est une composante essentielle, indispensable de l'unité européenne et l'UE sans lui est absolument inimaginable et inacceptable. Nous devons donc tout faire afin que les intérêts et la position du Royaume-Uni soit suffisamment représentés dans la politique européenne », explique Wolfgang Schäuble. Autrement dit, Berlin ouvre la voie à un compromis avec Londres afin d'apaiser la colère britannique issue du vote en faveur de Jean-Claude Juncker.

Très clairement, l'Allemagne entend appuyer sur les points d'accord avec le Royaume-Uni. Wolfgang Schäuble pave la route à un futur accord entre les deux pays pour « réformer » l'économie européenne. Cette réforme se fera sur la question de la subsidiarité, sur « l'utilisation plus efficace des fonds structurels » et sur les réformes « économiques » : « Nous sommes d'accord avec Londres sur le fait que l'Europe ne peut se permettre de faire du surplace durant la prochaine législature et que nous devons nous attacher à accélérer les réformes structurelles nécessaires à dynamiser la croissance. »

Donner à David Cameron une Europe à sa façon

On comprend donc la stratégie que veut désormais jouer Berlin : réconcilier David Cameron avec l'UE en lui donnant des gages économiques : plus de libéralisme et moins de dépenses européennes. Ceci pourrait signer une véritable défaite pour le camp social-démocrate qui n'a, rappelons-le, obtenu vendredi, que des mots concernant « l'équilibre nécessaire entre consolidation budgétaire et croissance. » Il convient de ne pas oublier que la dernière fois que Londres et Berlin se sont entendus, c'était lors de la détermination du cadre budgétaire européen. Les deux pays avaient alors obtenu une baisse globale de l'enveloppe budgétaire de l'UE, bloquant toute véritable capacité d'action économique de l'union.

Le Royaume-Uni en force à la Commission ?

Quelle forme prendra cet accord ? Le Financial Times de vendredi évoquait un Britannique à la tête de la direction économique de la Commission. On voit mal comment Jean-Claude Juncker et Angela Merkel pourrait refuser une telle demande alors qu'ils tentent d'empêcher le premier ministre britannique de faire campagne contre l'UE en cas de référendum outre-Manche. Mais alors, la fameuse flexibilité budgétaire pourrait rapidement être oubliée. De même que les investissements européens destinés à relancer la croissance et qui n'ont pas été détaillés. L'Europe voulue par les Tories est une Europe plus économe, donc qui investit moins. Elle a des points communs avec celle rêvée par Wolfgang Schäuble.

Flexibilité budgétaire aux abonnés absents

Du reste, dans cette interview au FT, Wolfgang Schäuble a martelé à nouveau un discours extrêmement ferme sur la question budgétaire : « Nous ne devons pas parler d'ajustement dans les règles, nous devons faire ce qui est fixé par ces règles. » Bref, rien ne change. Il affirme qu'il n'a jamais entendu « ni le premier ministre italien, ni personne d'autres » réclamer plus de flexibilité dans l'application du pacte de stabilité... Voici comment cette flexibilité présentée vendredi soir par Matteo Renzi est déjà devenue lettre morte.

Berlin annonce une réforme de la zone euro

Pire même, Wolfgang Schäuble annonce que l'Allemagne va reprendre sa demande de changements institutionnels pour la zone euro. Il évoque des changements « limités » des traités. On pense évidemment aux fameux « contrats de compétitivité » défendus depuis près d'un an par Angela Merkel où les Etats seraient liés par contrat à une politique de compétitivité externe qui serait appliquée par la Commission. Le ministre évoque plus de pouvoir pour la Commission avec des « décisions liantes » pour les Etats. Et il s'appuie sur David Cameron pour justifier cette demande ! Une alliance germano-britannique pourrait donc se former pour contraindre les « mauvais élèves » français et italiens à se « réformer. »

David Cameron en position de force

David Cameron est donc très courtisé pour un perdant ! En réalité, sa politique de fermeté sur l'affaire Juncker l'a mis en position de force face à l'Allemagne qui, pour éviter de voir le Royaume-Uni quitter l'UE appuie sur ce qui les lie. Même le vice-chancelier social-démocrate Sigmar Gabriel a plaidé pour des concessions envers Londres. David Cameron pourra pour obtenir ce qu'il veut agiter la menace du référendum. Mais ni Matteo Renzi, ni François Hollande n'ont cette possibilité. En ayant cédé trop facilement sur Jean-Claude Juncker comme sur les investissements économiques, ils ont perdu toute capacité à peser réellement. Leur victoire était une victoire à la Pyrrhus.

La fermeté paie face à Angela Merkel

 Preuve est encore faite que, face à Angela Merkel, la fermeté paie davantage que le « consensus. »En juillet 2012, déjà, la BCE avait pu lancer son programme « OMT » après une menace explicite de Mariano Rajoy et Mario Monti de quitter le sommet européen. A cette époque, François Hollande s'était contenté d'un fantomatique « pacte de croissance » qui est resté un simple concept. Deux ans après, il n'a toujours rien appris...