Pourquoi la nomination de Pierre Moscovici est un mauvais choix

Par Romaric Godin  |   |  1145  mots
Le choix de l'ancien ministre des Finances pour la Commission européenne est contestable
François Hollande a tenu sa promesse de nommer son ancien ministre des Finances à Bruxelles. Mais est-ce un bon choix ?

Le choix pour représenter la France dans la future Commission européenne s'est donc porté sur Pierre Moscovici. Ce choix a été pris en dépit des résistances en Europe et en France et en dépit de l'existence d'une alternative, celle d'Elisabeth Guigou, qui aurait sans doute redoré le blason d'un pays passablement terni dans l'Union européenne. Mais ce choix s'appuie sur une justification qui, en France, est irrésistible : le fait du prince.

La promesse

Lorsque, après la cuisante défaite aux municipales, François Hollande a été contraint de remanier son gouvernement, il s'est séparé de son ministre des Finances. Mais comme aux temps de l'ancienne monarchie, on ne remercie pas en France un favori sans le couvrir de bienfaits. Le Château a donc promis à son ministre limogé un poste à Bruxelles. Il tient aujourd'hui cette promesse personnelle. Tout est perdu, fors l'honneur, aurait-on dit jadis. Décidément, les institutions françaises continuent de s'enfoncer dans une logique d'ancien régime qui, cependant, au niveau européen, risque de se payer fort cher.

L'échec économique de Pierre Moscovici

En image d'abord. Le bilan ministériel de Pierre Moscovici est assez désastreux. Sa politique d'austérité et sa tentative de consolider rapidement le budget par des hausses massives d'impôts a lamentablement échoué. Non seulement les partisans de l'orthodoxie budgétaire peuvent souligner qu'il n'a pas su ramener - comme il l'a maintes fois promis - le déficit français dans les clous, mais ceux qui favorisent la croissance peuvent constater que sa politique a ruiné la confiance des agents économiques et a pesé sur l'investissement et le pouvoir d'achat. On a donc eu un exemple absolu - malgré l'existence de preuves éclatantes de l'échec de cette politique dans les pays périphériques - de ce qu'il ne faut pas faire. Les électeurs qui ont lourdement sanctionné cette politique en mars et en mai ne s'y sont pas trompés.

La récompense de l'échec

François Hollande aurait dû s'interroger sur la nature du message qu'il envoyait à la France et à l'Europe. Non seulement le double échec de Pierre Moscovici, démocratique et économique, est récompensé, mais encore on envoie ce dernier à la Commission. Signe que, vu de l'Elysée, Bruxelles n'est toujours rien d'autres qu'une belle retraite pour des politiques disqualifiés en France, mais dont on veut saluer la fidélité. Alors que l'on nous promet une autre Europe, plus fondée sur la compétence et la légitimité démocratique, ce message est désastreux.

Le camouflet à Juncker

Il l'est d'autant plus que le nouveau président de la Commission, Jean-Claude Juncker, avait clairement demandé un effort aux pays membres. Il avait notamment réclamé plus de femmes commissaires afin de satisfaire à un des leitmotivs des campagnes du parti socialiste européen, la parité (ou - du moins - une meilleure égalité). La France, toujours prompte à donner des leçons et qui disposait d'une candidate, n'aura pas jugé bon de se soucier de cette demande du nouveau président « élu » de la Commission. Il était bien nécessaire de fustiger David Cameron pour son manque de sens démocratique lorsqu'il ne voulait pas de Jean-Claude Juncker pour finalement faire aussi peu de cas des demandes de ce dernier.

L'homme de l'oubli des promesses

Du reste, la nomination de Pierre Moscovici est doublement une pierre dans le jardin du Luxembourgeois. En tant que ministre des Finances, il est l'artisan de l'abandon des promesses de campagne du candidat Hollande, notamment sur la loi bancaire. Un ouvrage récent a montré avec éclat combien il avait contribué - souvent en laissant faire son administration - à réduire à néant cette loi bancaire française. Pierre Moscovici est celui qui a conduit ce déni démocratique et, à l'heure où l'on se méfie des promesses de Jean-Claude Juncker, c'est de bien mauvais augure pour l'action de la future Commission.

L'homme de la relance ?

Pierre Moscovici pourrait être, dans la Commission, en charge du fameux plan de « relance » de 300 milliards d'euros promis par Jean-Claude Juncker. L'opposition allemande lui a barré la route du prestigieux commissariat aux affaires économiques et monétaires. Il a fallu se contenter d'un lot de consolation. L'ennui, c'est que l'ancien locataire de Bercy manque entièrement de crédibilité à ce poste. D'abord, parce que, on l'a vu, il est un spécialiste de l'oubli des promesses électorales, mais aussi parce que, en tant que membre de l'Eurogroupe de 2012 à 2014, il a contribué à l'enterrement de première classe du fameux « pacte de croissance » lancé par François Hollande en juillet 2012. Or, le principal danger qui guette le plan Juncker, c'est celui de n'être qu'une coquille vide destinée surtout à donner des arguments de communication. Bien des raisons déjà peuvent le laisser penser, et l'échec patent du « pacte de croissance » n'est pas la moindre d'entre elles. En donnant la charge de ce plan à Pierre Moscovici, Paris et Jean-Claude Juncker placeraient un lien explicite entre les deux plans. Ce sera du plus mauvais effet.

Surtout que, lorsqu'il était membre de l'Eurogroupe, Pierre Moscovici n'a jamais cherché à faire contrepoids à son « ami » Wolfgang Schäuble. Il a accompagné les choix de l'Allemagne, contribuant là encore, à abandonner la promesse électorale de François Hollande d'un « rééquilibrage » de la politique économique de la zone euro. En nommant Pierre Moscovici, la France choisit donc un partisan de l'austérité et de la politique menée depuis 2010 pour diriger un « plan de relance. » Il y a là une incohérence qui ne conduit qu'à affaiblir encore la crédibilité de ce plan.

Une promesse respectée au prix de l'affaiblissement

Le résultat de tout ceci, c'est que la France ressort fortement affaiblie de cette nomination. Pour satisfaire aux promesses du Prince, on a nommé un homme qui n'a guère convaincu dans le passé ni en France, à Bruxelles lorsqu'il était ministre (on se souvient de son « assoupissement » en pleine crise chypriote) en charge d'un plan de relance qui ne pourrait bien n'être que poudre aux yeux.

L'Allemagne ne voulait pas d'un Français aux affaires économiques et monétaires. La position de Berlin est logique et cohérente. C'était alors l'occasion pour Paris de changer de stratégie et de proposer une femme, Elisabeth Guigou, à un poste non économique. Certes, sa nomination comme Haut Représentant aux Affaires étrangères posait un problème à l'Italie. Mais la candidate italienne ne faisait pas l'unanimité et Paris aurait pu négocier avec Rome, notamment sur le fond et sur un « front commun » contre l'Allemagne sur la question de la flexibilité du pacte de stabilité. Au final, la France en serait sortie renforcée. Mais dans notre république, la promesse d'un président vaut plus que l'intérêt du pays...