Séparation bancaire : la défaite de la démocratie

Dans un ouvrage paru récemment, trois auteurs dévoilent les ressorts de la loi bancaire fantoche adoptée par le gouvernement français. Un cas d’école sur les rapports entre pouvoir démocratique et pouvoir financier.
L'exécutif français a cédé devant le lobby bancaire. Mais comment ?

Le conflit entre les choix politiques et les intérêts économiques a pris une nouvelle dimension avec la crise financière, puis économique, qui a débuté en 2007. Pressés par le poids de la dette, par le chômage et par le constat de leur propre impuissance, les politiques ont montré une volonté de « moraliser le capitalisme » comme en son temps Nicolas Sarkozy, autrement dit de faire revenir à plus de raison la « finance casino. » Face à ces manœuvres des politiques, le monde financier, qui a subi lui aussi son lot de misères dans la crise, s'est cabré en arguant de son rôle dans « l'économie réelle », dans la création d'emploi et dans le financement des entreprises.

Récit d'un renoncement

C'est une bataille de cette guerre entre le pouvoir démocratique et le pouvoir économique que décortiquent avec beaucoup de minutie trois auteurs, Mathias Thépot (journaliste à La Tribune), Frank Dedieu et Adrien de Tricornot, dans leur ouvrage* "Mon Amie, c'est la Finance". Cette bataille est celle qui a conduit l'exécutif français issu des élections présidentielles de mai 2012 à adopter une législation bancaire qu'il faut bien qualifier de « pacotille. » Du discours du Bourget de François Hollande avec son fameux slogan « Mon ennemi, c'est le monde de la finance » jusqu'aux pressions sur les députés socialistes pour faire adopter une loi fort au goût du lobby bancaire, on suivra avec amusement et souvent avec désolation l'histoire d'un renoncement et d'un reniement.

Une réforme nécessaire

Les auteurs soulignent combien la proposition - formulée au Bourget - d'une séparation des activités bancaires entre banque de dépôts et banque d'investissement, autrement dit entre la finance « réelle » et la finance « casino », semblait appropriée. Avec justesse, ils pointent comment le fameux modèle de la « banque universelle » protège la finance « folle. » Car pour ne pas provoquer de pertes pour les déposants, autrement dit pour les électeurs, l'État apporte sa garantie implicite à l'ensemble des activités de la banque. On l'a vu en 2008-2009 : les États se sont précipités pour « sauver les banques » mises à mal par leurs activités de marché. Les déficits ont gonflé et la crise de la dette a suivi. Quoi de plus normal alors que l'État se protège en isolant l'activité qui l'intéresse, celui des dépôts garantissant les prêts à l'économie réelle.

Battre en retraite avant de combattre

C'était déjà l'esprit du fameux Glas-Steagall Act qui, aux Etats-Unis, a imposé cette division entre les années 1930 et 1999. C'est aussi - en beaucoup plus modéré - l'esprit du rapport rendu en 2012 par le gouverneur de la banque de Finlande Erik Liikanen. Cette semaine, Michel Barnier a également présenté un projet plus ambitieux que celui de la loi qui a été adoptée en France. François Hollande n'était donc ni illégitime ni irresponsable en proposant cette séparation. Mais il engageait un combat avec le secteur bancaire français, tant attaché au modèle de la banque universelle. Ce combat s'annonçait rude. En réalité, et c'est ce que montre fort bien cet ouvrage, il n'a pas été livré. Le candidat devenu président a rapidement - presque immédiatement - battu en retraite, ne cherchant qu'à ménager les apparences en faisant adopter une loi qui contraint les banques françaises à filialiser une partie infime de leurs activités.

Plongée dans les causes du renoncement 

L'ouvrage - et c'est son intérêt principal - va cependant plus loin que le simple récit de la pression du lobby bancaire sur un gouvernement dépassé par ses propres promesses. Il souligne les causes de cet échec et analyse les ressorts et la dynamique du reniement des promesses. Le premier de ces ressorts, c'est l'aspect technique du sujet. On découvre ainsi un Pierre Moscovici effrayé par l'âpreté du sujet et, de ce fait, souvent soucieux d'en finir le plus vite possible. Pour le lobby bancaire, cette pusillanimité est une bénédiction. Les banques vont s'engouffrer dans les détails techniques pour désamorcer la loi et décourager les politiques.

« La pensée Trésor »

En cela, les banques seront soutenues par un allié puissant : le Trésor. C'est le second ressort du renoncement, là encore fort bien analysé par les auteurs : « la pensée Trésor. » Cette « pensée » est un mélange d'ultralibéralisme issu des années 1980 et d'opportunisme. Les hauts fonctionnaires du Trésor deviennent volontiers des cadres dirigeants du secteur bancaire. Ils ont donc à cœur de protéger les intérêts de leurs futurs employeurs. Devant des politiques terrorisés par la difficulté du sujet, rien n'est donc plus aisé à ces fonctionnaires qui préparent la loi que de convaincre les élus qu'ils se doivent de faire preuve de la plus grande prudence et de la modération la plus avisée. Et les élus veulent bien le croire.

L'arme de la dette

Pourquoi ? Parce que les banquiers usent d'une arme décisive dans le contexte actuel : celui de la dette. C'est là le dernier ressort du renoncement. Si l'État cesse de garantir implicitement les activités de marché des banques universelles, le secteur bancaire menace le gouvernement d'une hausse des taux. Les auteurs montrent combien cette menace est illusoire, mais avec l'appui du Trésor, elle a fait mouche sur des politiques terrorisés à l'idée que l'Hexagone devienne le prochain « domino » de la zone euro. Voici comment on obtient un pouvoir démocratique docile aux intérêts financiers.

Cas d'école pour la démocratie

Cet ouvrage met en évidence avec brio un cas d'école. Sa lecture est d'autant plus recommandée qu'elle ouvre de nouvelles perspectives sur la nature du pouvoir démocratique aujourd'hui. Ce livre est celui de la démocratie désarmée et impuissante. Aussi est-il un ouvrage salutaire qui met à jour deux cruelles vérités sur l'état de notre régime.

La première, c'est évidemment la « servitude volontaire » dans laquelle le pouvoir élu se tient face aux puissances financières. Une servitude fondée sur la peur, l'ignorance et la prédominance de la logique financière. Dans sa passionnante préface, l'économiste Gaël Giraud souligne combien « un peuple qui agonise sous les dettes de ses banques n'a plus le loisir de résister au chantage politique de ses créanciers. »

Une cinquième république peu adaptée aux défis de la démocratie

La seconde vérité est sans doute plus proprement française. Ce livre fait le récit des pressions de l'exécutif sur les parlementaires français pour qu'ils ne gênent pas le faux compromis avec le secteur bancaire bâti par le Trésor. Là encore, cette « économie de la peur » domine les choix d'un parlement français réduit plus que jamais à celui d'une chambre d'enregistrement des décisions du prince. Certaines scènes ne manquent pas de piquant, comme lorsque cette députée socialiste attaque l'ONG Finance Watch - qui lutte contre les excès de la finance - en l'accusant de soutenir le « modèle Goldman Sachs. » L'esprit de cour ne connaît pas de limite. Au final, on perçoit combien la structure institutionnelle de notre pays est peu adaptée aux défis démocratiques de notre temps.

Comment alors s'étonner que la démocratie, faisant ainsi la preuve de son inutilité, ne devienne elle-même la cible des citoyens ? Comment s'étonner alors que ceux qui entendent la mettre à bas soient davantage écoutés ? Le livre de Mathias Thépot, Frank Dedieu et Adrien de Tricornot invite à ces réflexions salutaires. Il appelle à un sursaut démocratique sans doute bien plus nécessaire que les « réformes structurelles » dont on nous rebat chaque jour les oreilles.

* Adrien de Tricornot, Mathias Thépot, Franck Dedieu, Mon Amie, c'est la Finance, éditions Bayard, 195 pages, 17 euros.

 

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Commentaires 17
à écrit le 01/01/2015 à 10:55
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Les politiques ont tellement plombé la 5ème République avec des lois faites pour un petit nombre de gens très riches , qu'il devient inévitable que le peuple reprenne ses droits plus , pour une fois des opportunités vont se présenter à très bref déla...

à écrit le 24/02/2014 à 9:57
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Les banquiers français sont bien gentils, mais ils ont pété les plombs depuis longtemps : a) ils ne jurent que par la "banque universelle", alors que ce terme est un abus de langage en soi : il ne décrit que le modèle franco-français de banque chou-c...

à écrit le 19/02/2014 à 16:47
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En quoi la collusion entre les banquiers et l'état serait de "l'ultra libéralisme" ???? ce mot est complétement vide de sens ... Merci à l'aueur de le définir s'il le peut, ce qui est parfaitement impossible...

à écrit le 11/02/2014 à 9:09
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Le problème est celui de la souveraineté des Etats et de ce qu'ils sont prêts à engager pour assumer leur souveraineté, donc leur indépendance. Un Etat souverain frappe sa monnaie et se finance sans avoir recours au marché. Réformer, c'est bien, m...

le 19/02/2014 à 16:39
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Dis, JB38, au lieu de ressortir toujours la même annerie sur la loi de 1973, si tu allais te renseigner enfin ??? Cette loi imposait juste au gouverneemnt d'avoir l'accord du parlement pour avori recour à la banque centrale. Ce qui étais impossible a...

à écrit le 08/02/2014 à 23:50
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Parce qu'on veut nous faire croire que l'État ne peut pas se désengager complètement de la Dette ? Mais c'est un mensonge ! Un mensonge d'État ! On en sort si on le veut. Mais on veut pas. On a forcément des intérêts là dedans. Ce serait un comble ...

à écrit le 07/02/2014 à 0:29
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La loi de 2012 était très édulcorée et en retrait par rapport à la séparation bancaire qui avait été envisagée et qui avait eu cours aux Etats-Unis jusqu'à la fin des années 70. Je l'aurais personnellement acceptée quand même s'il s'était avéré qu'il...

à écrit le 04/02/2014 à 13:06
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Beau article, à vrai dire, on connaît le remède mais on préfère faire souffrir, plus cynique que cela, il n y en a pas. Retirez votre argent des banques, on ne descendra pas plus bas.

à écrit le 02/02/2014 à 16:20
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En France, nous avons des hommes politiques d'une qualité exceptionnelle et des citoyens qui, de même, brillent par leur sérieux, leur modération et leur souci de se tenir informés de la manière la plus exacte possible des grands problèmes du monde. ...

à écrit le 02/02/2014 à 11:12
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Rien de neuf d'écrit, on disait déjà tout ceci, et bien plus, sous l'ère Sarkozy. On en vient à espérer du mal pour son pays( comme une chute de sa notation) pour que les politiciens changent et fassent enfin leur boulot. Comme en Ukraine, le peuple...

à écrit le 01/02/2014 à 15:25
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excellent article

à écrit le 01/02/2014 à 2:33
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La productivité est devenue trop grande, à partir des années 70, pour que l'économie "réelle" se suffise à elle-même. Il suffit de regarder la Chine : 22% de chômage, ça donne 78% de la population active au travail. Or, ces 78% suffisent à assurer un...

le 01/02/2014 à 13:55
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Analyse (de productivité) défendable pour les produits et services manufacturés ou potentiellement manufacturables... Accepteriez-vous de vous faire couper les cheveux par une machine ? Et une heure de massage par une machine ? Un pansement, une piq...

le 04/02/2014 à 13:17
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On peut toujours dire que les machines détruisent les emplois. C'est logique. Mais c'est peut-être complètement faux : il faut bien constater que les deux pays en Europe qui ont le plus fort secteur industriel, et la plus forte proportion d'emplois i...

le 19/02/2014 à 13:49
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>Asimon Votre paradoxe serait amusant si la Suisse et la Suède était des pays autarciques. Malheureusement, ce n'est pas le cas: ces deux pays exportent...

le 19/02/2014 à 16:45
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pour ce genre de raisonnements économiques à courte vue, il vous faut lire ou relire Frédéric Bastiat : ce qu ise voit et ce qui ne se voit pas (l'innovation c'est la hausse de la productivité) tous ces sujets sont parfaitement expliqués depuis 150 a...

le 06/03/2017 à 19:55
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quoi quoi quoi 0,5% des français veulent la fin du capitalisme ? Imaginons que 100% des français apprennent ce qu'est le capitalisme, ses dévastations, ses limitations, ses fuites en avant, ses dominations, ... et qu'ensuite on leur propose des alt...

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