L'Europe, vrai enjeu du remaniement français

Par Romaric Godin  |   |  1185  mots
Le départ d'Arnaud Montebourg est un gage donné à Berlin par l'Elysée
Les choix européens sont les vraies causes du limogeage d'Arnaud Montebourg. Pour l'Elysée, il s'agit de donner un gage de plus à Berlin de sa fidélité.

Un des aspects les plus oubliés de la révolution de palais que connaît actuellement la France, c'est l'aspect européen. Pourtant, si l'on observe les divergences de choix économiques françaises entre le clan Montebourg et celui de Manuel Valls, on n'y trouvera que d'infimes différences. Un léger accent sur les ménages dans le premier cas, un désir affiché plus que réel de combler les vœux des entrepreneurs dans le second cas. Pas de quoi quitter un gouvernement avec fracas et provoquer une crise politique.

L'essentiel : la politique européenne

C'est qu'en fait, la politique française ne compte guère dans cette affaire. L'essentiel concerne la politique européenne. La critique des politiques d'austérité que soulève Arnaud Montebourg  ne concerne pas tant la France que l'Europe. Car en faisant le choix, dès 2010, de mener des politiques d'austérité simultanées, en gravant dans le marbre institutionnel cette stratégie par le Two-Pack, le Six-Pack et le Semestre européen, en refusant toute coordination par une politique de relance dans les pays à faible déficit, les dirigeants européens ont conduit à la situation actuelle : une baisse générale de la demande et une déflation qui menace.

Les ravages de l'austérité en Europe

Ce fait n'est plus guère niable : Mario Draghi lui-même l'a reconnu ce vendredi à Jackson Hole et ses actions répétées depuis un an sont bien la preuve qu'il existe une menace déflationniste au niveau européen. Même Jean-Claude Juncker veut bien l'accepter puisqu'il promet un vaste plan d'investissement. La question n'est donc pas de savoir si l'austérité du gouvernement français fait du mal à l'économie française. Mais de savoir comment stopper une logique austéritaire généralisée en Europe qui, elle, assurément, sape les bases de la croissance française, mais aussi allemande et italienne. Les partisans de la politique de l'offre en France ont beau jeu de dire qu'il n'y a pas vraiment d'austérité en France. Mais ils seraient bien en peine de garantir qu'une politique de l'offre puisse, à coup sûr, renforcer la croissance française. Car la meilleure offre du monde ne saurait séduire une demande qui n'existe pas. Voyez les Allemands dont les exportations, pourtant fort compétitives, sont actuellement bien en peine de trouver clients.

Blocages allemands

Le problème de l'Europe, c'est que le gouvernement allemand refuse toute prise de conscience. Le ministre des Finances d'Angela Merkel, Wolfgang Schäuble, est le gardien du temple de la doctrine. Pour lui, point de salut en dehors de la baisse du coût du travail et de l'assainissement des finances publiques. Ce sont, ne cesse-t-il de marteler, les conditions d'une « croissance saine. » Cette idéologie a un fondement : l'intérêt allemand. Le vieillissement rapide de la population allemande annoncée dans les années 2020 oblige le pays à réduire rapidement son endettement. Par ailleurs, la réduction du coût du travail et la déflation des pays fournisseurs de la zone euro permet à l'industrie allemande de bénéficier d'importations européennes très bon marché. L'Allemagne agit en réalité comme si elle ne souhaitait accepter que les avantages de l'euro, sans ses inconvénients.

Pas question donc, pour Berlin, de revenir sur cette doctrine et sur cette politique. Du coup, l'Europe continue de souffrir de l'apathie de sa demande et rien ne semble devoir changer. Aucune perspective ne permet aux entreprises d'investir - quand bien même on leur offrirait des réductions de charges mirifiques. La déflation se fait de plus en plus menaçante puisque, désormais, les anticipations d'inflation à 5 et 10 ans ont décroché. Même l'économie allemande en subit les conséquences.

La vraie question pour Paris : que peut la France en Europe ?

Face à cette situation, que peut faire la France ? C'est sur ce point que divergent notablement Arnaud Montebourg et Manuel Valls. Le second demeure sur la position adoptée dès le début de son quinquennat par François Hollande : on fera céder l'Allemagne par des concessions mutuelles. En donnant de gages de bonne conduite à Berlin, on n'obtiendra sa bienveillance. Le premier, lui, estime qu'il faut engager une épreuve de force, forcer l'Allemagne à cesser de ne penser qu'à ses intérêts nationaux pour « penser européen. »

L'échec de la stratégie de François Hollande

Qui a raison ? La stratégie de François Hollande est un échec évident. L'Allemagne n'a guère changé de ligne. Les déclarations répétées en juillet de Wolfgang Schäuble sur la nécessité de la priorité à la réduction de la dette l'ont montré. Qu'a obtenu Paris avec cette stratégie ? Des délais supplémentaires pour parvenir à un objectif de déficit à 3 % du PIB ? Mais ces délais étaient inévitables, puisque causés par la faiblesse de la croissance causée par les politiques d'austérité. Un « pacte de croissance » accepté certes en 2012, mais déjà aux oubliettes ? La nomination de Pierre Moscovici à la Commission de Bruxelles ? Pourtant, le prix de cette stratégie a été considérable : la ratification du pacte budgétaire, la passivité de la France dans les sommets européens, l'extension du risque de déflation...

La France peut-elle peser ?

Certes, les choix prônés par Arnaud Montebourg ne sont pas sans risques. L'Allemagne peut se raidir. L'alliance avec l'Italie n'est pas certaine, la France peut s'isoler en Europe. Mais ces risques sont-ils plus graves que la situation actuelle ? Du reste, on écarte sans doute un peu trop vite dans une France très versée dans la haine de soi le poids d'une France plus active en Europe. La France n'est pas Malte ou l'Estonie. Elle est le deuxième pays de l'UE par sa population et son économie. Il serait d'autant plus difficile de l'isoler que, désormais, la BCE convient que la logique actuelle est intenable. L'Allemagne n'a plus le monopole du « sérieux » et l'étendue de ses erreurs commence à apparaître.

Gage de fidélité à Berlin

Ce n'est cependant pas le choix qui a été fait par l'Elysée. En se débarrassant du Bressan, François Hollande a donné un gage de fidélité supplémentaire à Angela Merkel et Wolfgang Schäuble. La France restera l'alliée fidèle de l'Allemagne en Europe. Sans doute François Hollande continuera-t-il à vouloir la « croissance » et froncera-t-il des sourcils avant les sommets européens. Mais le limogeage d'Arnaud Montebourg assure à Berlin que, comme auparavant, ces mots n'auront pas de conséquences concrètes. Matteo Renzi, qui a fait l'expérience amère lors du sommet des 27 et 28 juin de cette fidélité, est désormais plus que jamais isolé. Et rien ne pouvait complaire davantage au gouvernement allemand qui s'est montrée fort irrité par ce trublion florentin. C'est sans doute ici la principale leçon de ce remaniement : la France a une nouvelle fois refusé de peser dans le débat européen.