France-Allemagne : le dialogue de sourds va continuer

Par Romaric Godin  |   |  995  mots
François Hollande entend "convaincre" Angela Merkel d'agir
C'est désormais clair : la France, avec le gouvernement Valls 2, adopte un ton plus conciliant pour convaincre l'Allemagne de relancer la demande européenne. Mais c'est méconnaître l'étendue du fossé entre les deux pays.

En 1970, Michel Audiard réalisait son premier film, « Elle boit pas, elle fume pas, elle drague pas, mais... elle cause. » Bernard Blier y joue le rôle d'un employé de banque qui se voit adresser ce reproche par Monsieur Grusson, son caissier principal : « Lorsque vous m'adressez une supplique concernant votre avancement, soyez assez aimable de ne rien "soumettre à mon équité", mais de "solliciter de ma haute bienveillance." J'aimerais ne pas avoir à vous le redire. » Toute la crise du gouvernement français pourrait se résumer à la résolution des deux possibilités présentées par le caissier principal. Arnaud Montebourg souhaitait être légèrement plus ferme avec l'Allemagne que Manuel Valls sur la question de la relance européenne.

Le Premier ministre l'a confirmé mercredi lors de l'université d'été du Medef  : il demande aussi à l'Allemagne d'agir sur la demande, mais il le fait sans « montrer du doigt » ce pays. Il entend la convaincre par la méthode douce. « Solliciter de la haute bienveillance » de Berlin une action européenne, en somme... Voici donc la question de forme réglée. Mais pour le fond, rien n'a réellement avancé.

Poursuite de la stratégie menée depuis 2012

Car s'il y a un « tournant » dans le langage du gouvernement français vis-à-vis des entreprises, il n'y en a aucun sur la question franco-allemande. Cette clarification est en fait une confirmation de la ligne menée depuis 2012 et qui consiste à donner des gages de bonne volonté à l'Allemagne pour obtenir au mieux une action de relance, au pire sa simple tolérance sur la question des déficits.

Réformer pour séduire Berlin

Or, le bilan de cette action est évident. Depuis 2012, François Hollande n'a guère obtenu de sa stratégie européenne que des délais pour réduire le déficit. Son « pacte de croissance » de juin 2012 a fini sa vie dans les placards poussiéreux de Bruxelles. Il n'y a pas eu de relance et, du reste, l'économie de la zone euro demeure sous la menace de la déflation, faute de demande. C'est qu'en réalité, le « couple franco-allemand » ne se comprend guère et parle deux langages différents. De ce côté-ci du Rhin, on estime que l'Allemagne, impressionnée par la volonté de réforme du gouvernement, va aider la France à retrouver la croissance en stimulant la demande.

L'Allemagne ne veut pas de relance

Mais de l'autre côté du Rhin, on estime, comme le précisait le ministre fédéral des Finances Wolfgang Schäuble en juillet, que la France souffre de deux maux : une crise de confiance et une crise de compétitivité. Pour dépasser ces deux crises, il faut des « réformes structurelles » et une réduction du déficit. C'est uniquement ainsi que, dans la logique allemande, la France retrouvera la croissance, la « vraie », celle qui doit « durer. »  Or, en Allemagne, on craint que toute relance « artificielle » (entendez fondée sur une action de l'État) ne vienne ralentir - en faisant revenir la croissance - la volonté réformatrice de la France. C'est la fameuse peur de « l'aléa moral. » Celle qui a conduit aux politiques d'austérité des pays périphériques depuis 2010. A Berlin, on fait ce constat : la stagnation de l'économie française a du mal à convaincre Paris d'agir. Que sera-ce si la croissance revient ? Dans la logique économique ordolibérale, la récession a une fonction, celle de conduire à la correction. Et c'est ce que l'on refuse de voir en France où l'on pense que l'Allemagne ne peut se permettre une récession française...

Fossé entre deux logiques

On comprend donc le fossé entre les deux logiques : d'un côté, on veut faire des réformes pour obtenir une relance. De l'autre, on refuse toute relance qui freinerait les réformes. Au final, on n'avance donc pas. Ou plutôt, on avance dans le chemin tracé par les institutions européennes, celui du Semestre européen. Or, ce chemin, qui n'offre  à la France que d'obtenir plus ou moins de temps, ne permet pas de sortir de l'ornière du risque déflationniste qui menace de plus en plus la zone euro. L'impuissance de la BCE à contrer ce risque, l'apathie de la croissance européenne, l'affaissement des taux d'inflation, tout montre qu'il faudrait un choc de demande. Mais le blocage franco-allemand le rend impossible. En réalité, ce bocage permet aux institutions européennes issus de la crise d'assurer le maintien de la logique "allemande" et de rendre la relance au mieux limitée au pire illusoire.

Pas de contrepoids à l'Allemagne

D'autant qu'il existe un autre inconvénient à la stratégie choisie par Paris, celui de l'absence de résistance réelle à l'Allemagne au sein de la zone euro. Matteo Renzi, le président du conseil italien, qui était prêt au printemps à montrer de la fermeté vis-à-vis de Berlin, et qui, en juillet, pouvait lancer à la tribune du parlement européen un « pas de leçons » à un député conservateur allemand qui réclamait plus de réformes dans son pays, est désormais isolé. Lors du sommet européen des 28 et 29 juin, il n'a obtenu sur la question de la flexibilité des règles budgétaires qu'un rappel des traités. Lâché par la France et les sociaux-démocrates allemands, il en est réduit désormais ou à entrer seul en conflit avec Berlin, ce qu'il ne peut se permettre, ou à s'aligner sur la stratégie française dont on a vu les tares. Parallèlement, Berlin renforce ses positions en resserrant ses liens avec Madrid. Autrement dit, il ne faut rien attendre de l'initiative franco-italienne « contre l'austérité » qu'on annonce à Bruxelles. Pas davantage que du nouveau sommet européen sur le sujet demandé par François Hollande lors de la Conférence des ambassadeurs jeudi. La zone euro est encore dans l'ornière pour longtemps...