Mario Draghi en conflit ouvert avec Angela Merkel

Par Romaric Godin  |   |  814  mots
Mario Draghi veut désormais faire céder Angela Merkel
Si Mario Draghi a été assez dur avec la France et l'Italie dans ses propos, ses actes sont des provocations contre l'Allemagne. Pour la forcer à agir sur la demande européenne.

Ce jeudi, Mario Draghi est clairement entré en guerre contre les gouvernements de la zone euro. « La politique monétaire ne peut pas seule faire remonter l'inflation », a-t-il admis. Un aveu d'impuissance qui renvoie clairement les gouvernements à leurs responsabilités. Derrière les mesures annonces, le lancement d'un vaste rachat de dette privée et le nouvel abaissement des taux à 0,05 %, il y a un défi lancé aux dirigeants européens.

Des mots contre la France et l'Italie

A tous ? Officiellement oui. Mario Draghi a été assez explicite envers la nécessité de réformes en France et en Italie. « Certes, il y a un coût à faire des réformes, mais l'absence de croissance n'est-elle pas un coût ? », a-t-il ainsi demandé. Les partisans de ces réformes en feront sans doute leurs gorges chaudes. Mais il faut être clair : ce ne sont là que des mots. En réalité, la BCE n'exerce aucune pression concrète sur la France et l'Italie. Pour exercer une pression, il faudrait remonter les taux pour étrangler le financement de ces pays et les contraindre à se réformer. Or, la BCE va dans le sens inverse. Le taux français réel à 2 ans est passé en territoire négatif après le discours de l'Italien. La BCE n'a pas intérêt à ce que la France et l'Italie entre de plain-pied dans une politique déflationniste.

Provocation contre Berlin

Le vrai défi, la vraie guerre, oppose en fait Mario Draghi au gouvernement fédéral allemand. En abaissant les taux et en lançant un vaste programme de rachat d'actifs quatre jours après le succès du parti eurosceptique AfD, qui critique la politique d'argent facile de la BCE, aux élections régionales de Saxe, Mario Draghi met Angela Merkel et les conservateurs allemands dans un embarras certain. Dès l'annonce connue, économistes et banquiers ont poussé des cris d'orfraies. Dans la pensée libérale allemande, celle qu'incarne désormais AfD, la BCE prend le risque de faire revenir l'inflation et mutualise l'argent allemand pour relancer l'économie des pays qui ne réforment pas. C'est du pain béni pour les eurosceptiques qui vont pouvoir faire campagne en Thuringe et au Brandebourg, où vont bientôt se dérouler les élections régionales.

La BCE a clairement fait dans la provocation face à l'Allemagne. Mario Draghi est passé outre l'opposition de la Bundesbank, au moment même où le changement de mode de vote au sein de la BCE est très critiqué outre-Rhin parce que, précisément, elle ôte une fois sur quatre le droit de vote à la Bundesbank. Il a nié les plaintes des banques allemandes et des épargnants allemands en abaissant les taux. Il a annoncé un rachat de titres immobiliers, alors même que la Buba et beaucoup d'économistes craignent une bulle en Allemagne. Tout semblait être fait pour indigner Berlin.

Utiliser tous les leviers

Mario Draghi l'a dit clairement à Jackson Hole, il l'a redit ce jeudi : il faut utiliser tous les leviers pour relancer la machine économique européenne. Or, cette machine est bloquée par l'absence de demande et de perspectives de demande. Les politiques d'austérité rendent les investissements très risqués, car les entrepreneurs savent que les débouchés vont rester durablement faibles. Il faut donc utiliser les leviers disponibles. Donc utiliser la politique budgétaire, soit en abaissant les impôts, soit en réalisant des projets d'investissement public. L'Allemagne, à l'équilibre sur le plan budgétaire, peut le faire. Mais elle ne le veut pas car le ministre des Finances Wolfgang Schäuble et son entourage font de la réduction de la dette une priorité absolue. Mario Draghi a décidé cet été de les pousser dans leurs derniers retranchements. C'est ce qu'il a fait ce jeudi.

La menace du QE

Désormais, l'Italien dispose d'une menace concrète contre Berlin : le lancement d'un assouplissement quantitatif qui inclurait le rachat de dette publique. Autrement dit, la BCE mutualiserait de facto, sans l'accord de Berlin, les risques budgétaires. Ce serait clairement une provocation à l'opinion et au gouvernement allemand. Un tel QE mettrait Angela Merkel dans une situation très délicate. Soutenir la BCE reviendrait à abandonner son credo adopté en 2012 qui vise à ne plus faire payer les Allemands. Elle serait alors une cible aisée pour la droite de la CDU, les Libéraux et AfD. Mais entrer en conflit avec la BCE signifierait affaiblir l'existence même de l'euro, ce qui serait un reniement de sa politique.

La lutte est donc désormais ouverte. Pour faire simple, Mario Draghi tente de sauver l'Europe de l'inflexibilité allemande. Certes, il ne soutient pas clairement les prétentions de Matteo Renzi et François Hollande, mais dans les faits, il est clair qu'il tente lui aussi de faire céder Berlin.