Pierre Moscovici aux affaires économiques : une victoire à la Pyrrhus pour Paris ?

Par Romaric Godin  |   |  916  mots
Pierre Moscovici aura peu de marges de manoeuvre.
La nomination de Pierre Moscovici au poste de commissaire aux affaires économiques semble être une victoire du gouvernement français. Mais rien n'est moins sûr.

A priori, la nomination de Pierre Moscovici au poste de Commissaire aux Affaires économiques élargi à la fiscalité et aux douanes est une victoire pour le gouvernement français. Paris a su venir à bout des réticences de Berlin et le fait est suffisamment rare pour le souligner. Mais que faire à présent de cette victoire ?

« Chasser le diable avec Belzébuth »

Pourtant, l'Allemagne ne voulait pas d'un Français à ce poste crucial, chargé de la surveillance budgétaire des Etats. On se souvient du mot cruel de Norbert Barthle, un député conservateur réputé proche d'Angela Merkel, qui, mi-septembre, avait estimé que nommer un Français à ce poste revenait à « chasser le Diable avec Belzébuth. » Quelques jours plus tard, le ministre fédéral allemand Wolfgang Schäuble avait évoqué un « mauvais signal » au cas où un Français prenait ce poste. En ajoutant cependant cette précision prémonitoire : « ceci ne vaut pas pour Pierre Moscovici. »

Pierre Moscovici, le seul Français acceptable par Berlin à ce poste

Le nouveau commissaire français était donc, d'emblée, le seul à disposer du soutien de Berlin. Certes, il existait des raisons personnelles à cette bienveillance allemande. Lors du passage de Pierre Moscovici à Bercy, le Franc-Comtois s'était montré un allié indéfectible de Wolfgang Schäuble. Cet alignement sur le pacte budgétaire, sur la crise chypriote, sur la taxe sur les transactions financières, sur la séparation bancaire et sur la question de la relance avait permis à Paris d'obtenir - moyennant tout de même une politique fiscale très agressive - une certaine tolérance agacée de l'Allemagne sur la situation budgétaire de la France.

Une nomination rassurante pour Berlin ?

Wolfgang Schäuble et Angela Merkel pouvaient donc avoir confiance en Pierre Moscovici. Mais ils ont sans doute dû recevoir des assurances de la part de Paris. Ces concessions concernent sans doute « l'indépendance » du futur commissaire vis-à-vis de « son » pays, la France. Le ministre allemand des Finances n'a eu de cesse de répéter que « de nouveaux délais ne servaient à rien » et que « les règles doivent être respectées. » Michel Sapin, dans une interview accordée en commun avec Wolfgang Schäuble aux Echos le 20 juillet, relevait que « ce qu'on me dit parfois en France (...), c'est que ça pourrait être dangereux pour la France qu'un Français occupe cette position car il voudrait être encore plus irréprochable et encore plus dur avec la France. Et donc d'un certain point de vue, cela pourrait rassurer l'opinion allemande. » Paris a pu être tentée d'appliquer cette théorie en promettant une certaine « sévérité » du nouveau commissaire à son égard.

Des « clusters » pour placer les commissaires sous contrôle

Du reste, Berlin a pris des précautions. Jean-Claude Juncker a décidé de modifier le fonctionnement de la Commission qui, désormais, travaillera en « clusters » ou en secteurs. Ces sept clusters seront dirigés par des vice-présidents. Pierre Moscovici n'a pas rang de vice-président. Il devra donc, selon la lettre de mission envoyée par Jean-Claude Juncker, « travailler étroitement » avec le vice-président en charge de l'emploi, de la croissance, de la compétitivité, le Finlandais Jyrki Katainen et avec le vice-président pour l'euro et le dialogue social, le Letton Valdis Dombrovskis. Dans les deux cas, il s'agit de commissaires proches d'Angela Merkel et réputés pour leur orthodoxie budgétaire. Bref, l'ancien ministre français sera « sous contrôle. » De plus, c'est Jyrki Katainen, commissaire sortant aux Affaires économiques et monétaires, qui examinera le projet de budget 2015 avant l'entrée en fonction de Pierre Moscovici.

Une architecture qui laisse peu de marges de manoeuvre

Au-delà même de cette nouvelle organisation, le think tank londonien Open Europe rappelle que « Pierre Moscovici aura une marge de manœuvre particulièrement limitée. » Il rappelle avec raison que l'architecture économique de la zone euro et le cadre de contrôle budgétaire est « particulièrement étroit. » Autrement dit, le semestre européen, le Two Pack et le Six Pact étant ce qu'ils sont, les possibilités de donner plus d'air aux budgets européens seront très faibles pour le Français. Du reste, cette architecture pourrait à nouveau être renforcée puisque la vieille proposition de Berlin de « contrats de compétitivité » pourrait renaître de ses cendres.

Double discours allemand

Au final, ce n'est pas un hasard si Pierre Moscovici a hérité d'un portefeuille « élargi. » Son rôle sera sans doute nettement plus important dans le domaine de la fiscalité commune et des douanes que dans celui du contrôle budgétaire. Paris gagnera donc sans doute bien peu de chose à cette nomination, sinon le sentiment même de la victoire. Mais cette nomination traduit surtout la nouvelle stratégie de Berlin : avoir l'impression de céder et, en réalité, ne rien céder. Ainsi, mardi 9 septembre, alors que l'Allemagne et la France annonçaient en grande pompe « leurs propositions pour la croissance », en réalité une quasi-redite des propositions du plan de relance de Jean-Claude Juncker, Wolfgang Schäuble présentait un budget fédéral allemand à l'équilibre. Et douchait tout vrai espoir de relance : « c'est une illusion de croire que creuser les déficits peut créer plus de croissance », a-t-il martelé. Il y a donc peu de chance que l'Allemagne participe directement à la relance européenne. Pierre Moscovici n'ouvrira donc sans doute pas une nouvelle ère en Europe.