La Bulgarie, entre déprime économique et instabilité politique

Par Romaric Godin  |   |  1256  mots
Les Bulgares sont souvent descendus dans la rue ces deux dernières années. Ils se sont aussi souvent rendus aux urnes.
Les Bulgares sont appelés à voter dimanche 5 octobre pour la troisième fois en deux ans. Mais le pays semble enfermé dans un cercle vicieux...

Dimanche, pour la troisième fois en deux ans, les Bulgares vont être appelés à renouveler leur Parlement. Et ce pourrait être une élection pour rien. La situation politique du pays le plus pauvre de l'Union européenne reste en effet désespérément inextricable. Les sondages les plus récents donnent le parti conservateur GERB en tête, loin devant le parti social-démocrate, le BSP, qui menait jusqu'ici la coalition gouvernementale. Le BSP était pourtant arrivé au pouvoir après les émeutes de l'hiver 2013 contre la corruption et la pauvreté qui avaient emporté le gouvernement de Boïko Borisov, le leader du... GERB.

Situation politique

Boïko Borisov pourrait pourtant avoir du mal à constituer une majorité pour gouverner. La scène politique bulgare est assez éclatée. Outre les trois principaux partis, GERB, BSP et le Mouvement des Droits et Libertés de la minorité turque (qui représente un peu plus de 10 % de l'électorat), quatre à cinq autres partis pourraient entrer au parlement en dépassant les 3 % nécessaires. Et aucun ne semble être un allié suffisamment stable pour assurer à Boïko Borisov une majorité durable. Son allié le plus probable, le Bloc réformiste (BR), est une formation très instable qui a été incapable de trouver un leader pour la campagne. Bref, Boïko Borisov pousse pour obtenir une majorité absolue en mettant en garde : s'il ne peut pas gouverner, on revotera début 2015...

Cercle vicieux

La Bulgarie semble enfermée dans un cercle vicieux que l'adhésion à l'Union européenne en 2007 n'a pas brisé. Son économie patine, ses politiques sont incapables de trouver une issue, le mécontentement populaire s'amplifie, la politique est paralysée et l'économie patine à nouveau... Ajoutez à cela une corruption et un manque de transparence qui continuent à grever le bon fonctionnement de l'économie bulgare et vous aurez un pays bloqué dans sa pauvreté.

La crise bancaire de juin 2014

Le cas de la crise bancaire de juin dernier est venu illustrer avec éclat cette situation. En juin, des rumeurs avaient créé des doutes sur la solidité du système bancaire bulgare. Cela avait produit une ruée aux guichets de la population. Le gouvernement de coalition dirigé par le BSP, lui-même en voie de dissolution suite à des dissensions internes sur l'attitude à adopter face à la Russie, avait été incapable de gérer cette crise. C'est donc la banque centrale, puis la Commission européenne, qui éteignirent le feu. La banque centrale a gelé les avoirs de la principale banque touchée, la Corpbank, et l'UE a ouvert une ligne de crédit de 1,7 milliard d'euros pour contenir la crise.

Une lutte d'oligarques en toile de fond

Or, la toile de fond de cette crise bancaire semble être la rivalité entre deux oligarques, le propriétaire de Corpbank, Tsvetan Vasiliev, et son ancien partenaire, Delyan Peevski, tous deux députés. Ce sont des rumeurs de malversations du premier qui sont à l'origine de la première ruée sur les guichets de Corpbank. Certains pensent que ces rumeurs auraient été téléguidées et Tsvetan Vasiliev s'est constitué prisonnier en Serbie à la mi-septembre.

Une crise typique

En attendant, malgré l'aide de l'UE, les comptes des déposants de Corpbank sont restés gelés. La banque centrale attend, avant de les libérer, une solution pour renflouer ou mettre en faillite la banque. Or, cette solution tarde à venir. La campagne électorale et l'attente d'un rapport a conduit à un immobilisme qui laisse en difficulté plus d'un ménage bulgare. La Commission européenne et l'Autorité bancaire européenne ont même engagé des procédures contre Sofia. Mais, faute de gouvernement réellement au travail et de vraies méthodes dissuasives, rien ne s'est fait... Corruption, imbrications des intérêts, impuissance des politiques et de l'UE, désintérêt pour les ménages : tout dans cette crise résume les maux de la Bulgarie.

L'impossible croissance

Mais l'incapacité du pays à retrouver le chemin de la croissance est bien la source de tous les maux du pays. Depuis la crise de 2009, la Bulgarie ne parvient plus à générer de la croissance. Après un recul de 5,5 % en 2009, le PIB bulgare n'a progressé que de 0,4 %, 1,8 %, 0,6 % et 0,9 %. Cette année, elle ne dépassera pas 1,5 %. Ce sont des taux de croissance bien trop faibles pour un pays dont le PIB par habitant ne représente que 47 % de la moyenne européenne.

Le problème de la « stabilité »

Quel est le problème de la Bulgarie ? Principalement l'incapacité de ses politiques à définir un modèle de croissance pour le pays en dehors de la « stabilité financière. » Après la grave crise financière de la fin des années 1990, le pays a attaché sa monnaie, le lev, à l'euro. Cette stabilité monétaire est devenue une doctrine non discutable. Dans un premier temps, le pays a profité de cette stabilisation de la monnaie, les investissements étrangers sont arrivés, la dette s'est réduite. Mais cette source de financement s'est tarie avec la crise européenne. Et comme, pour maintenir la stabilité monétaire, il a fallu tenir sous contrôle les revenus, accélérer le désinvestissement de l'Etat et réduire la dépense publique. Du coup, la demande intérieure n'a pas pu prendre le relais. La Bulgarie s'est donc enfoncée dans une apathie économique que même les taux très bas de la Banque centrale ne sont pas parvenus à briser.

L'enjeu énergétique

Le niveau de vie des Bulgares ne s'est donc pas amélioré. La stabilité monétaire appliquée dans un pays avec un niveau de vie si faible est devenue nécrosante. Ainsi la question des prix de l'énergie est devenue centrale et est au cœur de la campagne électorale, mais Sofia n'a guère de prise sur ces prix, politique de lev fort oblige. D'autant que la Bulgarie dépend à 89 % du gaz russe et que si Bruxelles a exigé que Sofia rompe les négociations avec Moscou sur le gazoduc Southstream, l'UE est incapable de proposer une alternative si la Russie décide d'utiliser l'arme du gaz pour contrer les sanctions européenne.

Impuissance politique

Devant une telle situation, la colère des Bulgares ne pouvait que s'aggraver. D'autant que la corruption a continué de ronger l'économie. Surtout, aucun politique n'est capable de proposer une politique économique digne de ce nom puisque le développement de la demande intérieure qui a eu lieu dans des pays qui, comme la Pologne ou la République tchèque ont su utiliser le facteur monétaire n'est pas possible en Bulgarie. Quant à l'UE, elle semble tout aussi incapable de donner à la Bulgarie l'impulsion qui avait été celui d'autres pays candidats auparavant. Il semble en réalité que les nouveaux États membres de l'UE profitent bien moins de leur adhésion que ceux qui étaient entrés avant 2004. Le cas bulgare, mais aussi ceux de la Roumanie et de la Croatie le montre clairement.

Rien d'étonnant alors à ce que les Bulgares se détournent de leur classe politique. Le cercle vicieux bulgare se referme alors sur lui-même : la population se détourne des élections et cherche des solutions dans la rue. Depuis le début 2013, les manifestations sont récurrentes dans le pays. Tout ceci renforce l'instabilité politique et n'est guère en mesure d'attirer des investisseurs étrangers. Le seul avantage d'une monnaie stable devient alors caduc et l'économie végète....