Ce que la France risque en cas de rejet de son budget par la Commission

Par Romaric Godin  |   |  825  mots
La France pourrait devoir "corriger" son budget
La Commission européenne pourrait demander à la France de revoir son budget, ou même lui infliger une amende de 4 milliards d'euros... Une première application des nouvelles procédures du Two pack et du Six Pack.

Les signaux semblent converger. Plusieurs informations de presse, la dernière en date venant du Wall Street Journal, indiquent que la Commission rejetterait le projet de budget français pour 2015. Dans le viseur de Bruxelles: la question du déficit structurel. Ce déficit - fort difficile à calculer - définit l'évolution du solde des administrations publiques indépendamment de l'évolution conjoncturelle. Or, la France s'était engagée auprès de Bruxelles à réaliser un « ajustement structurel » de 0,8 point de PIB et le projet de budget ne prévoit qu'un ajustement de 0,2 point de PIB, le déficit revenant à 2,2 % de la richesse nationale. Même en prenant en compte l'ancienne méthode de calcul française, l'ajustement prévu en 2015 n'est que de 0,6 point.

Pas de « flexibillité » sur le déficit structurel

Cette question du déficit structurel est une question épineuse, car la « flexibilité » du pacte budgétaire ne s'y applique précisément pas. Cette « flexibilité » rappelée par le Conseil européen de juin dernier ne prend en compte que l'évolution du déficit réel, qui lui est impactée par les effets de la mauvaise conjoncture. Le déficit structurel, lui, est censé être « neutre » en termes d'effets conjoncturels. Bruxelles serait donc en droit de rejeter le plan français comme insuffisant, puisque l'effort structurel de la France ne permettrait pas, une fois le beau temps conjoncturel revenu, de faire baisser suffisamment le déficit réel pour entrer dans les clous du pacte budgétaire.

La nouveauté du Six Pack et du Two Pack

Selon la procédure définie par le Two Pack, la Commission peut donc demander à la France, avant le 30 novembre et en tout état de cause avant le vote du budget, de corriger le tir et de lui présenter un « plan révisé. » Selon le Six Pack, si la France persiste dans son refus de rentrer dans les clous définis par la Commission, cette dernière pourra proposer au Conseil d'affliger une sanction pécuniaire à la France. Cette sanction peut aller jusqu'à 0,2 % du PIB, soit dans le cas français 4 milliards d'euros. En théorie, le parlement français continue d'exercer sa souveraineté budgétaire, mais à prix d'or. Dans les faits, Paris aura du mal à ne pas tout faire pour éviter une sanction.

Des sanctions inévitables

Car la nouveauté introduite par le Six Pack, c'est que cette sanction ne peut être rejetée par le Conseil des chefs d'État et de gouvernement qu'à la majorité qualifiée inversée. Concrètement, ceci signifie que la majorité qualifiée des deux tiers des voix pondérées, autrement dit 255 voix sur 345, sont nécessaires pour bloquer le projet de sanctions de la Commission. La France, comme l'Allemagne, l'Italie, le Royaume-Uni et l'Italie, ne dispose que de 29 voix. Empêcher la sanction sera donc très difficile. Si l'Allemagne et ses alliés proches (Pays-Bas, Autriche, Pays Baltes, Finlande et Espagne) décident de soutenir cette sanction, ils totaliseront 101 voix, assez pour sanctionner la France. Compte tenu de la faiblesse de l'influence française et de la force de l'influence allemande, la sanction serait quasiment une chose acquise aujourd'hui. La chancelière a toujours affirmé qu'elle « suivra la décision de la Commission. »

Détermination de la nouvelle Commission à « faire respecter les règles. »

Selon le Wall Street Journal, l'Italie serait aussi dans le viseur de la Commission. La nouvelle équipe Juncker semble donc décidée à ne pas fléchir et à montrer sa détermination à « lutter contre les déficits » en s'appuyant sur les nouveaux moyens issus de la crise. Les officiels cités par le WSJ insistent beaucoup sur leur volonté de prouver la « crédibilité des nouvelles règles. » Mais ils jouent avec le feu. Au moment où la BCE a demandé une inflexion budgétaire et où l'économie européenne ralentit rapidement, insister sur la consolidation budgétaire et forcer la France à couper dans ses dépenses ne peut avoir qu'un effet récessif au niveau de l'ensemble de la zone euro. Le « déficit structurel » est un concept dangereux, car « l'ajustement structurel » peut aussi avoir des effets conjoncturels négatifs. Toute l'histoire de la zone euro depuis 2010 le prouve.

Logique institutionnelle

On mesurera, avec cette détermination à imposer les règles, la vérité de la volonté affichée par la Commission de relance de l'UE et le manque d'écoute qu'a reçu l'appel de Jackson Hole de Mario Draghi. En réalité, la structure institutionnelle de la zone euro imposée par l'Allemagne en 2011-2012 ne permet plus qu'une seule politique économique: celle de la baisse des déficits et de l'amélioration de la compétitivité externe. Toute contestation de cette logique est désormais vouée à l'échec. Reste une question : comment la France, lorsqu'elle aura payé 4 milliards d'euros d'amende sera-t-elle plus apte à réduire son déficit public ?