L'été pourri de l'économie allemande

Par Romaric Godin  |   |  1382  mots
La production industrielle allemande a lourdement chuté en août
Le mauvais chiffre de la production industrielle est venu confirmer le ralentissement de l'économie allemande. Le Fonds monétaire international (FMI) ne table plus que sur une croissance de 1,4% du PIB cette année, soit 0,5 point de moins qu'en juillet. Explications.

C'est un chiffre qui inquiète beaucoup sur l'état de l'économie allemande. Ce mardi 7 octobre, l'Office fédéral des Statistiques Destatis a indiqué que la production industrielle sur le mois d'août avait reculé de 4 % par rapport à juillet. Certes, le mois d'août est traditionnellement faible, mais une telle chute mensuelle ne s'était pas vue depuis cinq ans. Elle ramène le niveau de la production industrielle allemande en août à 5,94 % en deçà de son niveau d'août 2013.

Mauvaise nouvelle

Ce chiffre est évidemment une mauvaise nouvelle pour une économie allemande qui dépend beaucoup de l'industrie. D'autant que la catégorie de biens qui décroche le plus, c'est celle des biens d'équipement, le fleuron de l'industrie d'outre-Rhin, dont la production recule de 8,8 % sur un mois. Désormais, il semble que seul un miracle qui prendrait la forme d'une très bonne surprise en septembre pourrait permettre une croissance de l'industrie au troisième trimestre.

Pas de rebond en vue

Or, les carnets de commandes n'incitent guère à l'optimisme. Les carnets de commande dans l'industrie manufacturière ont reculé en mai et en juin. Elles ont connu un rebond en juillet (+4,9 %) qui a été effacé en août par un fort recul de 5,7 %. L'indice des carnets de commandes industriels est inférieur de 1,11 % à celle du mois d'août 2013. Autrement dit, l'avenir de l'industrie allemande semble encore troublé. Ce mardi, encore, le Fonds monétaire international (FMI) a indiqué qu'il ne tablait plus que sur une croissance de 1,4% du PIB cette année, soit 0,5 point de moins qu'en juillet.

Nouvelle récession

Avec ce décrochage industriel, l'Allemagne est menacée d'une nouvelle récession, définie par deux trimestres consécutifs de décroissance. Après un premier trimestre en forte croissance de 0,7 %, l'économie allemande s'était contractée de 0,2 % au deuxième trimestre. Beaucoup alors avaient cru à une simple correction technique s'expliquant par un hiver doux. Puis est venue l'explication de la crise en Ukraine. Mais en réalité, le ralentissement est plus général. Le moteur externe, le seul capable historiquement de porter l'Allemagne vers une croissance robuste, semble montrer quelques signes de faiblesse.

Incertitudes internationales

Certes, l'Ukraine n'y est pas pour rien. Les sanctions contre la Russie, la riposte de Moscou et les incertitudes sur la situation en Ukraine ont ralenti l'activité allemande dans la région. Mais le phénomène est plus large. Depuis 2006, l'Allemagne réalise l'essentiel de sa croissance grâce au développement industriel des pays émergents. Cette manne s'essouffle. Brésil, Turquie, Inde subissent les contrecoups du durcissement monétaire de la Fed, tandis que la Chine réoriente son économie vers les services et, partant, a bien moins besoin des biens d'équipement allemand. Enfin, pour couronner le tout, la zone euro, région qui ne représentait guère une zone de croissance pour l'Allemagne, mais où se trouve encore la majorité de ses clients, peine à se redresser. Certes, le mois de juillet a encore été un record pour les exportations allemandes. Mais une hirondelle ne fait pas le printemps. Les incertitudes sur la demande externe est forte. En août, les commandes industrielles en provenance de l'étranger ont reculé de 8,4 %, effaçant la hausse de 7,5 % de juillet. Elles avaient aussi chuté en mai et juin.

Ralentissement du mouvement d'investissement

Face à cette incertitude, les industriels allemands vont être tentés de freiner leur mouvement de reprise de l'investissement qu'ils ont entamé depuis deux trimestres, après pas moins de sept trimestres consécutifs de désinvestissement. Déjà au deuxième trimestre, les investissements d'équipement n'avaient progressé que de 2,1 % contre 6,9 % au trimestre précédent. Les incertitudes sur le carnet de commande, mais aussi la hausse des salaires négociés et l'entrée en vigueur du salaire minimal unique au 1er janvier 2015 pourraient encore ralentir le phénomène. Dans sa récente note de conjoncture, l'institut IW de Cologne, réputé proche du patronat, a prévenu que le développement des investissements se fera « selon un rythme plus faible » et « avec beaucoup de prudence. » Chez Allianz, on évoque des « incertitudes » qui pourraient freiner les investissements. Si, grâce au bon premier trimestre, les investissements devraient progresser sur l'année, leur évolution trimestrielle est bien plus incertaine.

La consommation s'améliore, mais lentement

L'Allemagne se retrouve donc en cette fin d'année 2014 comme voici un an. Réduite à compter, pour sa croissance, sur la consommation des ménages et sur la construction. Or, en 2013, ces deux moteurs s'étaient révélés tout juste suffisants pour maintenir stable le niveau du PIB allemand. La croissance en 2013 outre-Rhin n'a été que de 0,1 %. Certes, la consommation est en hausse constante depuis 2008 outre-Rhin, tirée par les bons chiffres de l'emploi. Mais, comme le souligne les économistes d'Allianz, « la croissance de la consommation est trop faible. » En 2014, l'assureur l'estime à 1,1 % contre 0,7 % en 2012 et 0,8 % en 2013. Compte tenu de la très forte décrue du chômage outre-Rhin, on peut parler d'un résultat médiocre. Mais c'est aussi le fruit d'une précarisation de l'emploi et d'une modération salariale qui reste la norme. Le salaire réel a reculé, rappelons-le, en 2013 de 0,1 % et sa croissance avait ralenti entre 2012 et 2010 de 1,5 % à 0,5 %. Autrement dit, en Allemagne, plus le chômage baisse, plus la hausse des salaires ralentit...

En 2014, la faiblesse de l'inflation devrait permettre une légère hausse du salaire moyen, mais comme, selon les banques mutualistes, le taux d'épargne est légèrement remonté au premier semestre de 9,2 % à 9 %, il ne faudra pas compter sur une forte impulsion de la consommation. Le chiffre des ventes au détail d'août est néanmoins assez encourageant, avec une progression sur un mois de 2,5 %. Mais en juillet, elles avaient reculé de 1,1 %.

La construction toujours solide

L'Allemagne pourrait-elle alors voir son salut dans la construction ? Malgré une correction au deuxième trimestre, c'est peut-être le seul secteur qui dispose des plus sûres perspectives compte tenu d'une part de la faiblesse des taux réels et de la volonté des Allemands d'investir et, d'autre part, des faibles rendements dans la pierre. En août, le secteur de la construction est le seul secteur industriel à progresser avec l'énergie et sa hausse mensuelle est de 2 %. La banque Helaba estime que la croissance de la construction pourrait atteindre 4 % cette année, Allianz la voit à 3,8 %. Mais IW Cologne considère que ce mouvement pourrait se tarir à 2,75 % en 2015.

Croissance plus faible que prévue en 2014

Au final, le rêve que tous les économistes agitaient en début d'année d'une croissance de 2 % en 2014 semble désormais inatteignable. La plupart des économistes, comme ceux d'Allianz ou de Helaba, prévoit une croissance de 1,5 % cette année. C'est évidemment beaucoup mieux que le reste de la zone euro, mais c'est en réalité une croissance encore bien faible, incapable de véritablement faire de l'Allemagne ce rôle de « locomotive » qu'elle ne cesse de revendiquer. D'autant que les perspectives ne sont guère réjouissantes. La plupart des économistes prédisent, au mieux, le maintien de la même situation en 2015 avec une croissance égale. Allianz prévoit même un léger recul du rythme de croissance l'an prochain à 1,4 %.

Besoin de relance

Deuxième leçon de cette situation : l'Allemagne serait aussi une perdante d'un ralentissement de la zone euro que les économistes ne prennent pas en compte aujourd'hui. Une nouvelle alerte sur la demande extérieure viendrait réduire encore l'investissement. Or, ce ralentissement est en cours, tous les indicateurs avancés en font foi. La République fédérale aurait donc un vrai besoin de relance. Non seulement pour doper les économies des autres pays de la zone euro, mais encore pour la sienne propre. Le sous-investissement public, notamment sur les infrastructures, et privé - le niveau d'équipement de l'économie allemande est le même qu'en 2009, au creux de la crise, permettrait une vraie relance. De même, la faiblesse de la consommation compte tenu de la baisse du chômage pourrait être corrigée. Mais le gouvernement de Berlin continue de baser sa politique sur le seul moteur externe de l'économie. Un pari qui pourrait s'avérer une lourde erreur...