Vie et mort du pacte budgétaire

Par Romaric Godin  |   |  1451  mots
Le pacte budgétaire européen est en vigueur depuis le 1er janvier 2013. Ce pacte avait été imposé en décembre 2011 par Angela Merkel à un Nicolas Sarkozy alors dans sa période de germanophilie inconditionnelle.
La Traité sur la stabilité, la coopération et la gouvernance en Europe n'est pas réellement appliqué. La faute à ses défauts de conception...

Le « pacte budgétaire », officiellement appelé « Traité sur la stabilité, la gouvernance, la coopération » (TSCG), avait été la grande affaire de l'année 2012. Ce pacte avait été imposé en décembre 2011 par Angela Merkel à un Nicolas Sarkozy alors dans sa période de germanophilie inconditionnelle. Adoptée le 2 mars 2012 par le Conseil européen, le TSCG a finalement été ratifié par 25 Etats membres de l'UE (seuls manquent à l'appel le Royaume-Uni, la Croatie et la République tchèque) et est entré en vigueur le 1er janvier 2013.

Qu'est-ce que le pacte budgétaire ?

En quoi consiste ce « pacte budgétaire » ? C'est un renforcement du pacte de stabilité et de croissance du Traité de Maastricht qui introduit deux nouvelles obligations. La première fixe la limite de déficit public structurel (calculé sur la croissance potentielle du PIB à moyen terme) à 0,5 %. Le pacte de stabilité fixait cette limite à 1 %. Deux exceptions sont reconnues : les « circonstances exceptionnelles » et un niveau de dette publique inférieure à la limite des 60 % du PIB fixée par le Traité de Maastricht. Dans ce cas, les Etats peuvent afficher un déficit structurel de 1 %.

Deuxième nouveauté du TSCG : un « frein à l'endettement » Les Etats dont la dette publique est supérieure à 60 % du PIB doivent réduire l'écart de dette entre cette limite et leur niveau actuel d'un vingtième par an calculé sur une moyenne de trois ans. Dans le cas de la France, par exemple, la dette était de 92,2 % du PIB en 2013. Il faudrait donc, en théorie, que le pays réduisent sur ratio d'endettement public de 1,61 % du PIB par an (un vingtième des 32,2 % de PIB d'écart avec la règle), soit environ 32 milliards d'euros, entre 2014 et 2017.

Un contrôle renforcé

A ces deux nouvelles règles, le TSCG a imposé des mesures de contrôle renforcée. La première, c'est l'introduction de « mesures de corrections automatiques » qui, à l'image par exemple de ce qui se passe outre-Atlantique, « bloquent » les dépenses publiques en cas de dépassement du schéma tracé par le traité. La deuxième, c'est l'établissement de conseils d'experts indépendants chargés de tracer et de rétablir le « bon chemin. » La troisième, c'est la possibilité pour les Etats contractants de saisir la Cour de Justice de l'UE pour imposer des sanctions en cas de refus des Etats de se soumettre au traité. En théorie donc, ce traité avait pris toutes les précautions nécessaires pour faire revenir les Etats - notamment ceux de la zone euro - dans les clous de Maastricht. En théorie seulement.

Un traité qui n'est pas respecté

Car, en un an et demi, le pacte budgétaire s'est fracassé sur le mur des réalités. Concrètement, à ce jour, il semble que l'Italie et la France ait clairement décidé d'abandonner le rythme imposé par le TSCG. Dans le cas italien, le chemin imposé de réduction de la dette a été abandonné. C'est aussi le cas du Portugal et de la Grèce. Dans le cas français, la trajectoire de réduction du déficit structurelle est désormais en dehors des clous fixés par la loi de programmation budgétaire, qui est la loi d'application du traité et qui a défini une trajectoire des déficits structurelle. Cette loi prévoit un déficit structurel de 1,1 % en 2015, comme le rappelle le site contrelacour.fr, très complet sur ce sujet. Or, le projet de loi de Finances pour 2015 fixe à 2,2 % le déficit structurel prévu. La France reviendra dans les clous du TSCG pas avant 2019.

La difficulté de calcul de la croissance potentielle

Le TSCG n'est, en l'état, pas applicable. Pour au moins trois raisons. La première est technique. Le calcul a priori et sur une longue période de la « croissance potentielle » nécessaire au calcul du solde structurel est bien difficile. Récemment, dans une note sur les moyens de relever cette croissance potentielle en France, le Conseil d'Analyse Economique, avait ainsi renoncé ouvertement à le fixer. Il existe évidemment un lien étroit entre le structurel et le conjoncturel, notamment en période de crise. C'est, du reste, ce qu'avance la Commission des Finances de l'Assemblée nationale française, là encore cité par contrelacour.fr, qui a estimé que « la loi de programmation budgétaire est caduque », précisément parce que la croissance potentielle française de 1,5 % fixée en 2012 ne semble plus d'actualité. Les Etats vont ainsi sans doute réviser cette croissance potentielle et donc les trajectoires budgétaires pour éviter les « corrections automatiques. » Bref, les objectifs risquent d'être fort mouvants, rendant ce traité assez difficile à appliquer.

L'impossibilité de réduire le ratio de dette selon le TSCG

Deuxième raison : l'application stricto sensu de ce traité est impossible, notamment en ce qui concerne les règles d'endettement. En effet, on commence à prendre en compte ce fait qu'exiger une réduction un ratio de dette d'un vingtième par an n'a en réalité aucun sens dans le contexte actuel. Pour parvenir à une telle réduction, il est nécessaire que la croissance du PIB soit supérieure à celle du nouvel endettement contracté. Dans ce cas, le ratio dette sur PIB se réduit de lui-même. Mais si la croissance n'est pas au rendez-vous et qu'elle est faible, les obligations du TSCG obligent les Etats à réagir avec vigueur, soit en réduisant les dépenses, soit en augmentant les impôts. Evidemment, cet effort à des conséquences sur la croissance, donc sur le ratio. En voulant le réduire « mécaniquement », on obtient donc souvent l'effet inverse. Et plus « l'écart » entre les 60 % et la dette publique est forte, plus cet effet contre-productif est fort.

L'Italie est bien placée pour le savoir : depuis vingt ans, le pays dégage des excédents primaires (hors services de la dette), mais il ne parvient pas à réduire sa dette qui atteint désormais 132,6 % du PIB contre 104 % voici dix ans. Le seul effet qu'a obtenu la Péninsule par cette politique économique, c'est une croissance faible, voire négative et donc un alourdissement du poids de la dette et de son déficit structurel... Bref, un cercle vicieux que le TSCG, aveuglé par l'idée que la baisse des dépenses amène une hausse de la croissance potentielle, ne prend pas en compte. Du reste, la « coordination » annoncée dans l'intitulée du traité n'est qu'un mot. Il n'existe aucune obligation de coordonner la politique de croissance européenne dans le traité, ce qui pourrait (en théorie) compenser cet effet pervers. C'est justement ce que François Hollande lui reprochait durant la campagne présidentielle de 2012...

Le risque économique

Troisième élément d'échec, qui est une conséquence des deux autres, celui des effets de l'application de ce pacte. Si la France décidait de revenir dans les clous de sa trajectoire budgétaire, si elle mettait en place les corrections automatiques et qu'elle décide de rejoindre la trajectoire autorisée, il lui faudrait trouver en 2015 6 milliards d'euros d'économies supplémentaires, soit 0,3 point de PIB. Dans un pays où la croissance est déjà nulle, l'effet sera donc sans doute d'abord une contraction du PIB. Une telle contraction rendrait l'application du pacte de stabilité (le traité de Maastricht) encore plus difficile. Il faudrait donc encore serrer les vis et entrer dans un cercle récessif. Là encore, l'aspect croissance est oublié parce que le traité estime, comme ne cesse de le rappeler Wolfgang Schäuble, le ministre allemand des finances, que la croissance doit venir « après. » Aujourd'hui, compte tenu de la situation politique et économique de plusieurs pays européen, l'application de ce TSCG relèverait du suicide. Il est donc mis en sourdine. Du reste, on remarquera que la Commission européenne n'entend pas réellement, dans l'immédiat faire respecter ce TSCG.

Une épée de Damoclès

Au regard du très haut niveau de dettes publiques dans la zone euro, notamment dans les pays périphérique, ce traité est un remède qui aggrave le mal. Il est non seulement inutile, mais peut, s'il était appliqué, devenir nuisible. Cette copie de la règle d'or allemande est en réalité fondée sur des préjugés théoriques qui ont été prouvés inexacts par les faits. L'ennui, c'est que ce traité est en application et, un jour ou l'autre, il existe le risque que Bruxelles, sous la pression de Berlin, exigera la mise en application de ce traité qui a très largement les moyens potentiels de replonger l'Europe dans la crise.