Pourquoi la question catalane est loin d'être refermée

Par Romaric Godin  |   |  949  mots
Le président de la Generalitat de Catalogne, Artur Mas.
Le président de la Generalitat, Artur Mas, a annoncé qu'il renonçait à son décret de convocation du référendum sur le futur statut de la Catalogne. Mais le débat n'est pas terminé.

C'est donc officiel. Lundi 13 décembre au soir, le président de la Generalitat de Catalogne - le gouvernement régional - Artur Mas, a annoncé qu'il annulait son décret du 25 septembre convoquant une consultation sur l'existence et l'indépendance d'un Etat catalan, « faute de garanties légales suffisantes. » Artur Mas n'a donc pas voulu franchir le Rubicon et entamer une épreuve de force avec Madrid, alors que l'inconstitutionnalité de ce décret et de la loi de convocation semblaient ne plus faire de doutes.

« Consultation citoyenne »

La question est désormais de savoir ce que va faire la Generalitat. Artur Mas pourrait proposer ce mardi matin une « consultation citoyenne » le 9 novembre, une forme donc de référendum officieux, pour évaluer le sentiment des Catalans. Mais évidemment une telle consultation n'aura aucune valeur légale et pourra être largement contestée par Madrid dans son résultat.

Succès pour Mariano Rajoy

La voie dans laquelle Artur Mas s'est engagée est évidemment une très bonne nouvelle pour Mariano Rajoy qui y voit la victoire - pour l'instant - de sa stratégie de ne rien lâcher sur cette question du référendum catalan. Le premier ministre espagnol pourra donc rassurer sur l'unité nationale du pays les investisseurs et ses partenaires européens. Mais, pour être définitive, cette victoire ne devra pas contribuer à radicaliser et à renforcer le camp indépendantiste. L'attitude future des partis catalans et de Madrid seront donc déterminantes.

Recomposition politique en Catalogne

Quant à Artur Mas, il ouvre avec ce choix une possible recomposition du paysage politique catalan. Certes, avec cette décision, il entend aussi sauver sa propre coalition, Convergence et Union (CiU). Cette alliance, formée du parti du président de la Generalitat, le CDC, devenue indépendantiste et de l'UDC, un parti chrétien-démocrate moins radical, était en effet très divisée sur la question de l'indépendance. Mais CiU ne dispose que de 50 des 135 sièges de l'assemblée régionale catalane, autrement dit Artur Mas va avoir bien du mal à continuer à gouverner.

Jusqu'ici, il pouvait s'appuyer sur Esquerra Republicana Catalana (ERC), la Gauche républicaine, un parti indépendantiste qui est arrivé en tête du scrutin européen sur le territoire de la Generalitat en mai dernier. Or, cette alliance n'était qu'une alliance de circonstance liée à l'organisation de la consultation du 9 novembre. Une fois cette consultation abandonnée, ERC devrait rapidement cesser de soutenir Artur Mas. D'autant que ce dernier a pris la décision de suspendre le vote du 9 novembre avant même la décision du Tribunal constitutionnel espagnol. Dès lundi soir, ERC a crié à la trahison et a demandé une déclaration « unilatérale » d'indépendance. Il y a donc fort à parier qu'une simple « consultation citoyenne » pour remplacer la consultation officielle n'apaise pas ERC, surtout si cette « consultation citoyenne » n'est qu'indicative et n'engage pas la Catalogne dans un processus de séparation d'avec l'Espagne.

Vers des négociations avec Madrid ?

Artur Mas va-t-il alors tenter de sauver son fauteuil en se tournant vers les socialistes catalans qui, comme le parti national, se sont montrés fort opposés à la consultation du 9 novembre ? Une telle alliance pourrait certes permettre d'engager des négociations avec Madrid sur le statut de la Catalogne. Mariano Rajoy avait indiqué que la suspension du projet de consultation était un préalable à toute discussion. Dans ce cas, le gouvernement espagnol pourrait-il proposer un nouveau statut à la région, proche de celui qui, en 2010, avait été censuré par le Tribunal constitutionnel ? C'est possible, mais une telle stratégie sera difficile à tenir pour Artur Mas qui, après avoir brandi le drapeau de l'indépendantisme deviendrait le champion de l'unionisme. Une grande partie de l'opinion catalane et de la base de la CDC pourrait mal accepter ce « retournement des alliances. » D'autant qu'elle est loin d'être couronnée de succès : le Parti populaire de Mariano Rajoy est réputé très opposé au nationalisme catalan et la promesse du premier ministre est loin d'être assurée. Dans sa conférence de presse de mardi matin, Artur Mas a exclu cette option.

Des élections plébiscitaires ?

Le président de la Generalitat a évoqué des « élections plébiscitaires » (où le seul sujet de campagne serait celui de l'indépendance). Il a indiqué qu'il faudra des élections "normales" dans lesquelles le pays prendra partie pour l'indépendance. Cela suppose qu'Artur Mas accepte la dissolution de CiU et que la CDC s'allie avec la gauche souverainiste (ERC et les trotskistes de la CUP) pour défendre un seul programme dans la campagne : l'indépendance. Or, on l'a vu, la décision d'Artur Mas ouvre une divergence forte avec ERC qui y voit un refus de fait d'entrer dans la voie de l'indépendance. Les tensions entre ERC et CDC ne seront donc pas simples. Néanmoins, le leader d'ERC Oriol Junqueras a clairement indiqué que désormais « il faudra construire une majorité en faveur de l'indépendance unilatérale. » Un pôle radical risque donc de se former.

Les choix des Catalans

La balle est donc désormais dans le camp des Catalans. S'ils refusent au camp indépendantiste la majorité, les "unionistes" devront s'unir pour se lancer dans une négociation avec Madrid et tenter d'amadouer Mariano Rajoy. S'ils soutiennent le camp indépendantiste, au contraire, on risque de se retrouver avec un nouveau dialogue de sourds entre Madrid et Barcelone. Et alors, la victoire de Mariano Rajoy sera bien fragile, car la majorité catalane se jugera apte à prclamer unilatéralement et inconstitutionnellement l'indépendance. La question catalane n'est sans doute pas encore close.