La Cour de Karlsruhe s'attaque à la "colonne vertébrale" de l'économie allemande

Par Romaric Godin  |   |  703  mots
La Cour de Karlsruhe a censuré l'impôt sur les successions.
En rejetant les exemptions fiscales sur les successions dont bénéficiaient les entreprises familiales, les juges de Karlsruhe s'attaquent au Mittelstand. Quelles en seront les conséquences ?

C'est un coup de tonnerre outre-Rhin. Ce mercredi 19 décembre, le tribunal constitutionnel de Karlsruhe a censuré la loi régissant l'impôt sur les successions dont la dernière version date de 2009. Les juges en rouge ont considéré que les avantages fiscaux dont disposaient beaucoup d'entreprises familiales dans le cadre des successions devront être entièrement supprimés au 30 juin 2016.

Le système d'exemptions

Quoique attendue, cette décision va poser un problème majeur au Mittelstand, ce réseau de grosses PME souvent familiales qui constituent l'ossature de l'économie allemande. Jusqu'ici en effet, près des trois quarts des successions d'entreprises en Allemagne bénéficiaient de très larges exemptions. Ainsi, lorsque l'entreprise est en effet détenue depuis au moins 5 ans, n'a été ni vendue, ni mise en faillite, qu'elle n'a pas de liens capitalistiques avec d'autres entreprises et que les licenciements et les baisses de salaires ont été limités, la succession n'est taxée qu'à hauteur de 15 % du taux normal. Mieux même, lorsque la détention de l'entreprise est supérieure à 7 ans et qu'il n'y a eu au cours de cette période aucun licenciement, la transmission de l'entreprise peut être intégralement exemptée d'impôts. Cette dernière exemption est devenue de plus en plus courante. Selon les chiffres de Der Spiegel, les transmissions d'entreprises non imposées sont passées de 3,4 milliards d'euros en 2003 à 25 milliards d'euros en 2013. En tout, près de 105 milliards d'euros auraient depuis 2009 été transmis sans être concernés par l'impôt.

Socle de l'économie allemande

Mal connues à l'étranger, ces dispositions constituent un socle au moins aussi important pour l'économie allemande que les fameuses « réformes structurelles » dont on nous rabat les oreilles. C'est un des éléments centraux de la constitution du Mittelstand, ce réseau de grosses PME qui constitue l'essentiel du tissu économique allemand. A la différence de leurs homologues français ou britanniques, les chefs d'entreprises allemands n'ont en effet aucun intérêt à vendre au plus offrant ou par appartement leurs sociétés. L'argent ainsi collecté sera en effet soumis au taux normal, qu'il soit investi en titres ou dans l'immobilier. Le patron du Mittelstand a donc tout intérêt à développer son entreprise par ses propres moyens ou par le crédit bancaire afin de pouvoir transmettre ce patrimoine à moindre coût.

Protection de l'emploi

De même, la protection de l'emploi devient pour ces patrons une valeur importante : licencier à la moindre difficulté peut coûter l'exemption fiscale. Là encore, à la différence d'autres pays, on préfère utiliser d'autres moyens, notamment le chômage technique subventionné (Kurzarbeit) ou l'annualisation du temps de travail, pour sauver son patrimoine. Ceci explique en partie pourquoi en 2009, lors de la grande récession qui a suivi la faillite de Lehman Brothers, les entreprises françaises ont commencé par licencier, tandis que leurs homologues allemands préféraient jouer la montre et utiliser le Kurzarbeit massivement. Le Mittelstand représente 90 % des emplois outre-Rhin.

Risque économique

Ces dispositions fiscales ne sont donc pas anodines. Elles constituent une sorte de colonne vertébrale du modèle économique outre-Rhin. 60 % des transmissions d'entreprises bénéficient de l'exemption à 85 % et 15 % de l'exemption totale. Dans les milieux patronaux, on estime que le Mittelstand ne saurait résister à la suppression de ces privilèges fiscaux et qu'il en résulterait des faillites ou des licenciements massifs. Certains évoquent même "la destruction de l'économie allemande." Mais ces exemptions étaient jugées par beaucoup très injustes et la Cour de Karlsruhe leur a donné raison, estimant que l'égalité devant l'impôt était mise en cause, sans être - comme les exemptions familiales - justifiée par la Constitution.

Reste à évaluer l'impact de cette décision sur l'emploi et l'investissement. Les associations patronales ont largement mis en garde contre le contrecoup économique de cette décision. L'économie allemande qui souffre déjà d'un fort désinvestissement n'avait peut-être pas besoin de cette mauvaise nouvelle. Néanmoins, il reviendra au gouvernement fédéral de mettre en place une réforme « acceptable » de l'impôt sur les successions qui puisse éviter un « choc économique. »