BCE : un assouplissement quantitatif, faute de mieux

Par Romaric Godin  |   |  1555  mots
60 milliards par mois. Sera-ce assez ? (Crédits : Reuters)
Avec les mesures annoncées ce jeudi 22 janvier, Mario Draghi a pris des mesures peut-être moins ambitieuses qu'il n'y paraît.

Une fois passés l'enthousiasme et la confusion entre les montants (50 milliards de rachats mensuels de titres souverains, soit un total de 60 milliards compte tenu des opérations déjà annoncés), il convient de remettre en perspective la décision de la BCE de ce 22 janvier de lancer un programme ambitieux d'assouplissement quantitatif (QE).

Un bel exercice de communication

L'annonce de ce jeudi est un chef d'œuvre de marketing. Mario Draghi devrait absolument ne pas décevoir des marchés qui avaient beaucoup misé sur un QE d'au moins 1.000 milliards d'euros. En insistant sur le chiffre de 60 milliard d'euros mensuels, Mario Draghi a clairement donné l'impression d'un montant « gonflé » par rapport aux informations parues mercredi dans la presse anglo-saxonne de 50 milliards d'euros mensuels. En réalité, le chiffre était bien le même puisque les 60 milliards d'euros incluent les 10 milliards d'euros de rachats de crédits titrisés (ABS) et d'obligations sécurisées déjà annoncées. Les rachats supplémentaires de dettes souveraines seront donc bien de 50 milliards d'euros. Pire même, l'information du Wall Street Journal et de Bloomberg indiquait un rachat jusqu'à « fin 2016 », alors que la BCE a donné rendez-vous en septembre 2016. Certes, cette date est un rendez-vous et pourra être repoussé, mais, pour le moment, au final, le montant des rachats souverains est donc inférieur aux attentes. Tout le monde n'y a vu que du feu. Le marché a été payé sur ses attentes.

Répondre aux marchés

Or, c'était l'essentiel. Depuis 6 semaines, depuis que l'on savait que ce QE était inévitable, les marchés avaient clairement « misé » sur le QE et les taux de la zone euro (Grèce exclue) ont fortement baissé. Décevoir les marchés était donc devenu impossible pour Mario Draghi. C'était prendre le risque de voir des corrections fortes sur le marché. Il fallait donc donner ce que les investisseurs attendaient à tout prix. Mais ce fait même prouve que l'engagement de la BCE de ne pas influer sur la « formation du prix » des actifs, devenue depuis le réquisitoire de l'avocat général de la Cour de Justice de l'UE la semaine dernière, la clé de la justification légale des mesures non conventionnelles de politique monétaire, est un leurre. La BCE est déjà celle qui fixe les prix de la dette sur le marché. Et si la Cour de Karlsruhe est saisie du problème, comme cela risque d'être rapidement le cas, ce fait devrait être très sensible.

L'occasion manquée de la mutualisation

Mario Draghi le sait et c'est pourquoi il lui fallait amadouer la Bundesbank. Cette dernière a voté en faveur de la reconnaissance du QE comme « instrument de politique monétaire » : c'est un élément « essentiel », comme l'a fait remarquer lui-même Mario Draghi. Car, par cette reconnaissance, la Buba s'engage à réaliser le QE et ce sera un argument à opposer à Karlsruhe. Mais pour obtenir cet accord, le président de la BCE a dû faire une concession importante : réduire la mutualisation de la dette rachetée. Seulement 20 % des dettes rachetées seront mutualisées et encore, sur ces 20 %, 60 % de la dette mutualisée concernera la dette d'institutions européennes, donc de la dette déjà mutualisée. Bref, seulement 8 % de la dette souveraine rachetée sera mutualisée au sein de la BCE. C'est microscopique et cela doit correspondre à la partie des pertes éventuelles que la BCE peut assumer avec son fonds de réserve. Là encore, l'ombre de Karlsruhe plane : on sait que la cour constitutionnelle allemande refuse toute opération qui ferait prendre des risques non mesurable au contribuable allemand. Le fonds de réserve de la BCE (de 7,5 milliards d'euros en 2013, sans doute à présent plus élevé) peut ici couvrir une perte de 8,22 % sur le montant en dette souveraine mutualisé (hors institutions européennes) : c'est un matelas assez confortable que Karlsruhe peut juger assez sûr pour le contribuable allemand.

La mutualisation n'est pas un détail

L'ennui, c'est que le partage du risque n'est pas un détail, comme le prétend Mario Draghi. C'était l'occasion de créer de la solidarité interne au sein de la zone euro, c'était l'occasion de permettre une action plus ciblée sur les pays les plus fragiles. Dans le schéma présenté, les banques centrales des Etats membres les plus fragiles vont prendre des risques importants en rachetant leurs dettes souveraines. D'autant que ce QE a fait gonfler les prix et qu'une remontée des taux n'est pas à exclure une fois le QE terminé. N'oublions pas qu'il existe actuellement une bulle sur la dette portugaise, italienne ou espagnole et sans doute aussi sur la dette française. En cas de correction, les banques centrales auront racheté au plus haut, elles devront assumer des pertes. Et si elles sont trop importantes, ce sont les contribuables de ces pays qui devront mettre la main à la poche. Ce n'est certes pas un détail dans la situation de forts déséquilibres de la zone euro. Ce refus du partage des risques et de la mutualisation des rachats est plus qu'une occasion manquée, c'est une nouvelle prise de risque pour les pays périphériques.

L'abandon de Jackson Hole confirmé

Reste évidemment la question de l'efficacité. Ne boudons pas notre plaisir. Ce QE vaut mieux que l'attentisme qui a longtemps dominé à la BCE. Son action sur l'euro est de bonne augure et, à n'en pas douter, il y aura aussi un effet non négligeable sur la confiance des acteurs économiques. Mais c'est aussi une défaite pour Mario Draghi. Lors de la conférence de presse, il a évité la question d'un journaliste sur le programme de Jackson Hole. On le comprend. Dans ce programme, le QE avait vocation à venir en appui à une double action des Etats : une relance des pays qui le peuvent et des « réformes structurelles. » Aujourd'hui, Mario Draghi a repris ce discours en évitant de parler de relance. C'est encore un gage donné à l'Allemagne.

Sauf que ce point est essentiel : ces liquidités déversées sur le marché ne trouveront à s'employer dans l'économie réelle que s'il existe une volonté d'investir. Et pour investir, il faut avoir de la visibilité sur les marchés. La baisse de l'euro ne résout pas l'atonie de la demande mondiale, ni celui de la demande intérieure européenne. D'autant que Mario Draghi a clairement dit que le QE n'était pas une incitation à « l'expansion budgétaire. » Mais sans vraie impulsion sur la demande, la demande de crédits restera faible et ces liquidités devront trouver un autre emploi, sur quelque marché spéculatif ou dans l'immobilier allemand par exemple...

Le problème de la transmission

L'enthousiasme de cette annonce du jeudi 22 janvier ne doit pas non plus faire oublier que les précédentes mesures de la BCE ont échoué sur la question de la transmission de la politique monétaire. En zone euro, elle se fait par les banques et elle se fait mal. Le LTRO, le TLTRO et les baisses de taux n'ont pas pu redresser les anticipations d'inflation. Le problème reste entier pour le QE. En réalité, ce QE est un leurre : la liquidité ne manque pas, ce qui manque ce sont les perspectives et la confiance. Les banques hésitent certes un peu moins à prêter, mais la demande de crédits reste atone. Le QE peut contribuer en partie à redresser la confiance, mais avec la poursuite de la consolidation budgétaire et la perspective de pertes sur certaines banques centrales, cet effet pourrait faire long feu. Surtout, son action sur la demande reste à prouver.

Le problème de la répartition des rachats

Autre problème : celui de la répartition des rachats. Les dettes rachetées le seront selon la clé de répartition du capital de la BCE. La dette que la BCE achètera le plus sera donc de la dette allemande, puis de la dette française. Ce seront donc des dettes déjà très chères qui seront rachetées. Il faudra évidemment regarder quel sera l'impact de ces rachats sur les différentes économies, car les liquidités issues de la vente de dettes allemandes ne finira pas forcément en Allemagne. Mais la répartition des rachats n'est pas forcément judicieuse. Surtout, le QE abandonne le rachat de titres grecs et chypriotes. Or, on sait que ces pays auraient impérieusement besoin de la sollicitude de la BCE. Mais Francfort voulait conserver un moyen de pression supplémentaire sur le futur gouvernement grec. Cette décision est évidemment politique. Mais elle vise aussi à rassurer l'Allemagne. Au détriment de l'efficacité de la mesure.

Pas de remède miracle

La zone euro est sans doute mieux armée contre la déflation avec un QE que sans. Mais il faut se garder de tout excès d'enthousiasme. La BCE a lancé une nouvelle offensive dans la guerre des monnaies, mais elle n'a pas traité le cœur de l'atonie européenne. C'est une barrière défensive pour éviter que l'inflation faible ne se mue en déflation, mais ce n'est pas le remède miracle que l'on nous vend parfois.