Excédents primaires : le noeud gordien des négociations grecques

Par Romaric Godin  |   |  1260  mots
Les négociations entre la Grèce et la zone euro portent aussi sur les objectifs d'excédents primaires
Les objectifs d'excédents primaires sont une pomme de discorde centrale entre les Grecs et les Européens. Car l'enjeu est bien plus large.

Un des points d'achoppement de la discussion entre la Grèce et l'Eurogroupe demeure les objectifs d'excédents publics assignés à Athènes par le mémorandum. Ce dernier avait fixé un objectif pour le solde positif des finances publiques, hors service de la dette de 3 % du PIB en 2015 et de 4,5 % en 2016. En 2014, cet excédent « primaire » était de 1,5 % du PIB, ou 2,9 milliards d'euros, soit en ligne avec ce que prévoyait la troïka.

La logique de la troïka

En cherchant à « prolonger » le programme existant, les Européens veulent avant tout maintenir ces objectifs. Pourquoi ? Parce que ce niveau d'excédent primaire est censé permettre à la Grèce de disposer d'une autonomie financière sans faire appel à l'argent des mécanismes de soutien européens. En 2017, la Grèce doit rembourser à la BCE près de 7 milliards d'euros, soit 2,9 % du PIB actuel du pays. Mais il faut également prendre en compte le remboursement des intérêts de la dette qui, malgré de larges concessions sur la dette détenue par les Etats de la zone euro et sur celle de la BCE (qui reverse au budget grec sous condition les gains réalisés sur ses bons grecs) demeurait en 2014 à 2,1 % du PIB. En augmentant son excédent primaire, l'Etat grec aura moins de besoins de dette à court terme, coûteuse en trésorerie. Elle baissera donc son besoin de financement total.

En dégageant des excédents primaires, la Grèce serait ainsi censée pouvoir rembourser ses échéances et faire reculer le ratio d'endettement du pays qui devrait ainsi passer de 178 % en 2014 à 122 % en 2020. A terme, l'idée est qu'une fois cette autonomie acquise - et maintenue (l'excédent doit ensuite durablement resté à ce niveau) - la Grèce disposera à nouveau d'un accès au marché pour refinancer les dettes arrivant à échéance, notamment les dettes contractées vis-à-vis des Etats de la zone euro, du Fonds européen de stabilité financière (FESF) et de la BCE.

Déjà, le gouvernement Samaras...

Le problème est évidemment de savoir comment atteindre ces objectifs. Le gouvernement précédent avait déjà bataillé avec la troïka sur ce sujet. Le budget 2015 voté en octobre prévoyait un excédent primaire de 3 % avec une croissance de 2,9 %. Les représentants de la Commission européenne, du FMI et de la BCE avaient jugé ces prévisions trop optimistes et avaient donc demandé de nouvelles mesures budgétaires : hausse de certains impôts et nouvelle coupe dans la fonction publique. Les discussions restaient encore en suspens lorsque la Vouli, l'assemblée grecque a été suspendue. On le voit, le débat sur l'excédent primaire n'est pas né avec la victoire de Syriza. Si Antonis Samaras avait été reconduit, la même question se serait posé.

Mesurer l'effort nécessaire

En 2014, les 0,7 point de PIB de hausse de l'excédent primaire avaient été réalisés aux deux tiers par une baisse des dépenses et à un tiers par une hausse des recettes. Une accélération de la croissance et une amélioration des rentrées fiscales permettraient sans doute de compter davantage sur les recettes. Mais l'année 2015 s'annonce délicate en termes de croissance compte tenu de ce début chaotique marqué par l'incertitude. Surtout, l'effort à fournir est encore considérable. En partant de la base d'une croissance cette année de 3 % - base jugée optimiste par la troïka elle-même - il faudra améliorer l'excédent primaire de 3 milliards d'euros cette année. Difficile à réaliser sans nouvelles coupes dans les dépenses. D'autant qu'en 2016, sur la même base de croissance, l'effort supplémentaire pour atteindre les 4,5 % du PIB devra encore être de 3,2 milliards d'euros.

Un effort plus important compte tenu de l'impact sur la croissance

Ces estimations sont basées sur des chiffres de croissance très optimistes. Or, déjà, en janvier, l'Etat grec est retombé en déficit primaire de 149 millions d'euros contre un excédent de 820 millions en janvier 2013. On mesure l'impact de la conjoncture sur ces prévisions. Mais surtout on ne doit pas davantage renouveler l'erreur des années 2010-2013 et sous-estimer l'impact macroéconomique de ces ajustements. Paul Krugman, le prix Nobel d'Economie, estime qu'en prenant en compte les effets multiplicateurs (sous-estimés en 2010) sur la croissance, l'effort total que la Grèce devra fournir pour rester dans les clous tracés par la troïka sera de 7,5 ou 8 points de PIB, soit pour 2015, jusqu'à 15 milliards d'euros.

L'idée du gouvernement grec : éviter l'effet négatif sur la croissance

C'est précisément pour éviter cet effet négatif que le gouvernement grec veut revoir ces objectifs. L'idée est de réduire les exigences sur l'excédent primaire. Il s'agit de conserver le niveau actuel de 1,5 % du PIB afin de ne pas peser sur la conjoncture. Dans ce cas, les « réformes fiscales » pourraient apporter des ressources supplémentaires pour financer des plans de soutien sociaux ou d'investissement. En agissant ainsi, on permettrait au pays de retrouver plus rapidement un niveau de croissance qui réduira proportionnellement le ratio d'endettement et rétablira la confiance des investisseurs. Le nouveau gouvernement grec veut donc mettre l'accent sur la croissance pour favoriser le retour de la confiance et les rentrées fiscales, tandis que la troïka reste fidèle à la croyance que la réduction accélérée des déficits rétablira cette même confiance. C'est typiquement un nouveau round du débat entre Keynes et Ricardo.

La question de la dette se pose aussi

Le gouvernement d'Alexis Tsipras inscrit cette réduction des objectifs d'excédents dans un cadre plus large. C'est à la fois, on l'a vu, un soutien à la croissance, mais aussi un élément conduisant nécessairement à une restructuration de la dette. Avec des excédents plus faibles, il est en effet incontournable de pouvoir réduire le service de la dette et les remboursements en capital. Autrement, la Grèce serait condamnée à demander encore de l'aide aux européens puisque les excédents ne pourraient pas combler les besoins. Il faut donc accompagner la révision des objectifs d'excédents d'une solution pour faire baisser le service de la dette et réduire les remboursements en capitaux. D'où les propositions de Yanis Varoufakis : lier les remboursements à la croissance et donc ne pas faire peser sur cette dernière le poids de la consolidation budgétaire, et proposer des rentes perpétuelles à la BCE afin de se débarrasser des échéances de remboursement du capital des dettes détenues par la BCE.

Le nœud gordien des négociations

Voici donc le nœud gordien des négociations : les Grecs savent qu'en abandonnant leurs exigences sur l'excédent primaire, ils abandonnent une chance d'entrer dans des discussions sérieuses sur la restructuration de la dette et sur la remise en cause de l'austérité. Autrement dit, la négociation sur un « nouveau programme » est jouée et perdue d'avance. A l'inverse, les Européens sont parfaitement conscients qu'en cédant sur les excédents, ils ouvrent la porte à la remise en cause de la dette. D'où le blocage. La volonté de le contourner dans le projet de résolution du 16 février par le terme « excédents appropriés » n'a pas été heureuse. Et pour cause, en acceptant la « poursuite » du programme, le terme « approprié » correspondait aux choix de ce programme. Bref, le nœud des excédents est loin d'être dénoué...