Troisième anniversaire morose pour la présidence Sarkozy

Par Source Reuters  |   |  924  mots
Commentateurs et analystes se divisent en deux catégories : ceux pour qui la vie des Français s'est dégradée depuis le 6 mai 2007 et ceux pour qui elle n'a pas vraiment changé. Pratiquement personne ne pense qu'elle s'est améliorée.

Trois ans après l'élection du président Nicolas Sarkozy, qui promettait aux Français de gagner plus en travaillant plus, la France déprime sur fond de croissance molle et de crise financière européenne.

Commentateurs et analystes se divisent en deux catégories : ceux pour qui la vie des Français s'est dégradée depuis le 6 mai 2007 et ceux pour qui elle n'a pas vraiment changé. Pratiquement personne ne pense qu'elle s'est améliorée.

"On va avoir une croissance durablement bloquée autour de 1%, un endettement public autour de 100% du PIB en 2012 et un chômage revenu à 10%", explique l'économiste Nicolas Baverez.

"Tout ceci génère beaucoup d'anxiété politique et sociale et se traduit notamment par des poussées populistes et xénophobes", comme en Italie, en Autriche ou aux Pays-Bas, ajoute-t-il.

La crise économique et financière mondiale est passée par là, même si la France a mieux résisté que d'autres pays.

Cette crise a télescopé le programme de réformes de Nicolas Sarkozy, contrecarré sa promesse d'être "le président du pouvoir d'achat" et fait exploser les déficits publics.

La déception des Français est à la hauteur des espoirs placés en 2007 dans ce président hyperactif, jeune, élu avec 53% des suffrages, dont la cote de popularité planait au début de son mandat sur des cimes jamais atteintes par ses prédécesseurs.

"C'est la grande déception", souligne le sociologue Alain Touraine. "Les Français se sont aperçu que tout ce dont parlait le président était vague et confus et que le gouvernement n'avait pas prise sur l'impact de la crise."

RISQUE D'EXPLOSION

"La situation objective est beaucoup moins mauvaise que sa représentation par les Français", ajoute pourtant ce professeur de la prestigieuse Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS). "Mais il y a une perte de confiance dans le gouvernement, le président, son équipe."

S'y ajoute, selon Alain Touraine, une perte de confiance tout aussi considérable envers l'Union européenne, malgré le bon déroulement de la présidence française de l'UE en 2008.

"Le pessimisme est tel que toute réforme, toute initiative devient presque impossible", estime le sociologue.

Pour le directeur de l'institut BVA opinion, Jérôme Sainte-Marie, cette perte de confiance dans le pouvoir politique est sans doute le "principal échec" de Nicolas Sarkozy.

Il n'hésite pas à parler de "crise du sarkozysme", qui engendre, selon lui, "une crise de l'espoir politique".

Dans un rapport rendu en février, le médiateur de la République, Jean-Paul Delevoye, diagnostiquait une société "usée psychologiquement" et tétanisée par la crainte de la précarité.

Aujourd'hui, il pointe du doigt un "élargissement des fractures entre les différentes parties de la société".

Signe de cette déprime ambiante et d'une tendance au repli sur soi, les grands syndicats, avec lesquels Nicolas Sarkozy a réussi à cogérer la crise en 2009, peinent à mobiliser, comme cela s'est vu pour les défilés traditionnels du 1er mai, malgré la perspective d'une réforme des retraites hautement sensible.

Une atonie sur laquelle le chef de l'Etat peut être tenté de miser pour boucler cette réforme à l'automne, afin de pouvoir se lancer ensuite dans la campagne de la présidentielle de 2012, mais qui n'élude pas la possibilité d'une explosion sociale.

"Je ne crois pas à la possibilité d'une reprise de campagnes de revendications mais je crois à la possibilité d'une explosion", souligne ainsi Alain Touraine.

SUR LA TRAJECTOIRE DE LA GRÈCE ?

Jamais vraiment sortie de la crise des chocs pétroliers des années 1970, la France "est en pleine dépression collective", renchérit Nicolas Baverez. "Et avec la dépression collective, il y a la possibilité de la violence."

La question se pose d'autant plus que la France, selon cet économiste, n'est pas à l'abri d'un processus à la grecque si elle ne transforme pas son modèle économique et social.

"Ce qui est vraiment fondamental c'est de refaire de la France un site de production. On n'est pas au même point que la Grèce mais on est exactement sur la même trajectoire", dit-il.

"On est plus gros, on a plus de défenses mais si on continue à faire ce qu'on a fait pendant un quart de siècle, dans les dix ans qui viennent on connaîtra une crise comparable à celle de la Grèce", ajoute Nicolas Baverez.

C'est peut-être paradoxalement dans la sphère politique que se sont produits depuis 2007 les changements les plus visibles.

"Je suis frappé de voir à quel point nous avons abandonné les idées néolibérales, en France, au profit d'idées donnant beaucoup plus d'importance à l'intervention de l'Etat", explique le sociologue Michel Wieviorka, directeur d'études à l'EHESS.

L'idée écologiste de la nécessité d'un développement durable et d'une croissance verte a fait aussi son chemin, même si le report de la taxe carbone brouille le message.

Quant à la question d'une défaite de Nicolas Sarkozy en 2012, voire même d'un renoncement à briguer un deuxième mandat, elle commence à être posée, y compris dans son propre camp.

Avant la déroute de la droite aux élections régionales de mars, "personne n'envisageait vraiment l'hypothèse d'une défaite de Nicolas Sarkozy. Maintenant la question se pose", souligne Alain Touraine. "Les Français ont le sentiment de l'échec de Sarkozy et lui en veulent, y compris d'avoir cru en lui."