"Rémunérer ceux qui répondent aux sondages politiques n'est pas acceptable"

Par Propos recueillis par PIerre Kupferman  |   |  934  mots
Copyright Reuters
L'ancien patron du Credoc, aujourd'hui député européen (Modem), s'insurge contre la façon dont a procédé Harris Interactive pour ses sondages donnant Marine Le Pen en tête des intentions de vote. et notamment au principe de le loterie qu'utilise l'institut Harris Interactive. Il invite l'Etat a imposer des règles plus strictes pour les enquêtes d'opinion.

Les conditions dans lesquelles ont été réalisés les sondages publiées par Harris Interactive vous ont mis en colère. Pourquoi ?

Je leur reproche de ne pas avoir pris les précautions qui s'imposent lorsqu'on réalise un sondage d'opinion où les répondants expriment une intention de vote. A commencer par le recours à cette forme de rétribution des personnes sondées que pratique Harris Interactive. Rémunérer même de façon aléatoire des personnes qui répondent à un sondage politique, ce n'est pas acceptable.

Harris Interactive a expliqué qu'il s'agit d'une loterie s'appliquant à toutes les enquêtes menées par l'institut au niveau international. 

Le principe de la loterie qui permet d'inciter des personnes sondés à répondre à des questions ne me choque pas quand il s'agit de les interroger sur le parfum d'un yaourt ou sur le type et la marque de la voiture qu'ils conduisent. Je me souviens que dans les années 60, un institut officiel - il me semble que c'est l'Insee - avait initié ce genre de pratique en versant des billets de loterie à chaque personne interrogée, à l'époque en face-à-face. Cela n'avait néanmoins pas duré, car cette formule de rétribution avait plus d'inconvénients que d'avantages. Mais pour un sondage politique qui va avoir une répercussion médiatique de grande ampleur, cela nuit à la précision dont vous avez besoin.

En quoi ?

Parce que parmi les panélistes - ceux qui acceptent de répondre à des sondages en ligne - vous allez avoir davantage de personnes dont l'appât du gain constitue un trait de caractère fort qu'il n'en existe dans la population générale. Il va donc vous falloir redresser les résultats.

C'est ce que font les sondeurs de toute façon...

Il le font pour rectifier certains résultats qui ne leur paraissent pas refléter la réalité notamment parce que, selon eux, certains Français rechignent à se déclarer ouvertement favorable au Front National. Cela se fait néanmoins un peu au doigt mouillé. Et j'ai tendance à penser les Français expriment plus ouvertement leur envie d'accorder un suffrage à Marine Le Pen qu'ils ne l'auraient fait lorsqu'on leur demandait s'ils voteraient pour son père. Mais dans tous les cas, dès lors que les écarts d'intention de vote sont, comme on l'a vu là, inférieurs à deux ou trois points, les marges d'erreur sont trop importantes pour qu'on puisse affirmer que Marine Le Pen arrive en tête des intentions de vote. J'appelle cela de l'intox.

Mais il y a une commission des sondages qui valide leur mode opératoire...

Parlons-en. Elle est composée de juristes. Ces derniers portent donc un regard juridique. Il faudrait que des professionnels du secteur, des statisticiens, des sociologues l'intègrent. C'est ce que proposent les sénateurs Jean-Pierre Sueur (PS) et Hugues Portelli (UMP). Ils ont raison. Je suis statisticien, j'ai 35 ans de métier. Certaines choses me sautent aux yeux, que d'autres, qui ignorent tout de cette technique, ne peuvent pas voir.

Vous êtes donc favorable à la publication de sondages indiquant les marges d'erreur ?

Oui. Les Américains le font et cela ne leur pose aucun problème. Le sujet est suffisamment grave pour qu'on le prenne au sérieux. Je fais deux propositions fortes. D'abord que le nom de l'organisme ou la société qui paie le sondage soit systématiquement mentionné. Ensuite que les résultats de tous les sondages qui sont payés par des fonds publics soient publiés.

Considérerez-vous que les deux sondages Harris donnant Marine Le Pen en tête des intentions vont influencer l'opinion publique ?

Oui. C'est ce qu'on appelle l'effet de résonance. Cela fonctionne un peu comme une marée. Quand le premier apparaît, ceux qui suivent le confirment et amplifient le résultat initial. Et ce mouvement est d'autant plus puissant qu'il s'agit d'un sondage fouteur de merde. Mais comme pour toute marée, il y aura un reflux. L'effet de résonance répond à des principes mathématiques. On peut d'ailleurs imaginer que Nicolas Sarkozy qui est aujourd'hui dans ce reflux, voit sa côté de popularité rebondir pour les mêmes raisons.

Vous voyez quand même bien que Marine Le Pen réalise une vraie percée dans l'opinion publique ?

Il se passe effectivement quelque chose. Après trois ans et demi de sarkozysme, les Français ont un plus perdu confiance dans les leaders politiques qui sont au pouvoir... Au niveau national pour l'UMP et dans les territoires pour le PS. Mais intention de vote ne veut pas dire adhésion. C'est l'expression d'un ras le bol.

Mais pourquoi alors Jean-Luc Mélenchon ne parvient-il pas à faire aussi bien que Marine Le Pen ?

Quand Marine Le Pen s'exprime, les Français prennent ce qu'elle dit au premier degré. Avec Mélenchon, il faut être capable de comprendre le deuxième degré, d'où son plus grand succès auprès des CSP+.

Une partie des électeurs de François Bayrou se retrouvent désormais dans le discours de Marine Le Pen. Comment l'expliquez-vous ?

Le score important de François Bayrou au premier tour en 2007 tient au fait qu'une partie des électeurs appréciaient sa façon de faire de la politique autrement. Certains d'entre eux se posent sur Marine Le Pen mais ils ne sont pas fixés. J'espère de tout coeur qu'on arrivera a les récupérer en 2012.

François Bayrou est officiellement candidat ?

J'espère de tout coeur qu'il se présentera.