"Sarkozy est en train de construire la prochaine récession dans notre pays"

Par Propos recueillis par Jean-Christophe Chanut  |   |  1172  mots
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Martine Aubry détaille pour La Tribune ses propositions en matière économique et budgétaire.

La Tribune : Compte tenu de l'urgence, le gouvernement avait-il d'autres solutions que de recourir à des hausses d'impôt afin d'atteindre les objectifs de réduction du déficit ?

Martine Aubry : Oui. Ce qu'il propose est à la fois injuste et inefficace : si l'on veut réduire vraiment les déficits, il ne faut pas tuer la croissance. Car la France souffre non pas d'un mais de trois déficits : déficit financier, mais aussi déficits d'emploi et de compétitivité. Bien sûr il faut s'attaquer au premier, mais le faire sans les deux autres ne marche pas, on l'a vu avec la Grèce. C'est la raison pour laquelle nous voterons contre ce budget. M. Sarkozy est en train de construire la prochaine récession dans notre pays avec un budget qui - faute de s'attaquer vraiment aux niches fiscales comme nous le proposons - ignore l'emploi, l'investissement et la politique industrielle, et augmente les impôts sur les classes moyennes et populaires. Taxes sur les mutuelles, sur les tabacs et alcools, sur les sodas, augmentation de la CSG, autant de mesures qui pèseront sur tous les Français, et lourdement sur les plus modestes. Un exemple parmi d'autres : un couple avec des enfants où l'un des deux parents est en congé parental en percevant le Complément du libre choix d'activité, acquittera 417 euros par an d'impôt supplémentaire au seul titre de l'application de la CSG à ces revenus !

Alors que fallait-il faire ?

Il aurait fallu au contraire, comme je l'ai proposé cet été, supprimer les niches injustes et inefficaces qui mitent l'assiette de nos impôts, pour dégager immédiatement des recettes pour réduire les déficits et soutenir l'emploi et l'investissement.

Quelles niches fiscales voulez-vous supprimer ?

Depuis 2002, M. Sarkozy et la droite ont augmenté de 70 milliards les avantages fiscaux aux plus favorisés sans jamais les financer. C'est une des raisons de notre déficit, dont 1/3 seulement est du à la crise , comme l'a montré la Cour des comptes. J'ajouterai que beaucoup d'entre eux sont injustes. C'est ce que nous disons depuis des mois. Prenons ce qu'on appelle "la niche Copé" : 22 milliards d'euros ont été dépensés pour baisser les impôts des sociétés qui se séparent de leurs filiales ! C'est un incroyable gâchis, nous la supprimerons . Autre exemple, nous supprimerons des avantages fiscaux supplémentaires pour les multipropriétaires, qui alimentent la spéculation sans résultats sur la résorption de la pénurie de logements.

Que pensez-vous du prélèvement temporaire de 3% sur les revenus excédant 500.000 euros ?

Personne n'est dupe de la manipulation ! Cette taxe représente à peine 200 millions d'euros, alors que les mêmes ou presque vont bénéficier dans le même temps d'un cadeau de 1,8 milliard avec la baisse de l'ISF. La justice sociale, cela aurait été de commencer par annuler cette décision . La vraie réponse est, comme je le propose, une réforme d'ensemble de la fiscalité, avec trois grandes transformations. La fiscalité doit d'abord être un outil au service de la justice sociale et du pouvoir d'achat : c'est le grand impôt citoyen sur le revenu, progressif et redistributif, grâce à la fusion de la CSG et de l'impôt sur le revenu et la suppression de nombre de niches fiscales. La fiscalité doit être au service de l'emploi et de l'activité des entreprises : nous proposons de baisser l'impôt sur les sociétés à 20% pour les entreprises qui réinvestissent et de l'augmenter à 40% pour celles qui privilégient les dividendes mais aussi d'aligner la fiscalité du capital et du travail. La fiscalité doit aussi être un levier pour la social-écologie : nous instituerons un taux de TVA différencié en fonction de l'émission de CO2 pour que le prix des biens reflète leur coût pour la planète.

La décision d'introduire les "heures sup" dans le dispositif Fillon d'allégement des cotisations sociales va-t-elle dans le bon sens ?

Ce n'est en fait qu'une correction marginale d'un dispositif absurde dans la conjoncture actuelle. Comment persister, contre tous les avis d'experts, dans le maintien de cette arme de destruction massive de l'emploi ? Quand au plus fort de la crise, l'Allemagne affectait 5 milliards d'euros à la réduction du temps de travail et au chômage partiel pour protéger les emplois, la France dépensait chaque année quasiment la même somme pour une mesure qui bloquait les embauches! Grâce à cette mesure et une relance plus forte - comme nous l'avions souhaité pour la France-, l'Allemagne qui partait du même chômage que nous avant la crise, 7,5%, a baissé son chômage à 6% quand le notre a augmenté à 10%. Je propose de supprimer ces subventions et de financer avec cela la création de 300.000 emplois pour les jeunes et une augmentation de la Prime pour l'emploi.

Le projet socialiste ne mentionnait pas une année précise pour l'objectif de retour à 3% de déficit. Pourquoi avez-vous choisi finalement d'afficher l'objectif 2013 ?

Il n'a jamais été question pour moi de ne pas respecter les engagements européens de la France. Mais contrairement à M. Sarkozy qui se contente de faire diversion et de tendre un piège à la gauche avec le débat sur la pseudo-règle d'or qui ne règle rien et qui renvoie à plus tard les décisions qu'il faut prendre aujourd'hui, j'ai dit comment je ferai pour y parvenir vraiment. Il n'y a pas besoin d'inscrire ce principe dans une Constitution ou une loi organique. J'annulerai 50 des 70 milliards de niches fiscales accordés par la droite et j'en affecterai la moitié à la réduction du déficit et l'autre au financement de mes priorités, notamment l'emploi, l'école et la sécurité.

Aller-vous soutenir le plan d'aide à la Grèce ?

Tout ce que nous avions dit à propos de la Grèce s'est malheureusement révélé vrai. Le plan imposé aux grecs a été trop tardif -on se souvient des longs mois d'atermoiements des dirigeants européens- et trop brutal : le remède est pire que le mal, les dégâts sociaux sont là sans pour autant l'amélioration des équilibres financiers ne soit au rendez-vous faute de croissance. Contrairement à ce qu'on dit M. Sarkozy et Mme Merkel, il ne s'agit d'ailleurs pas de payer les dettes des grecs à leur place, mais simplement de leur permettre d'accéder à des crédits à des taux acceptables alors qu'aujourd'hui les marchés leur demandent des taux exorbitants. Donc, nous nous abstiendrons pour dire que nous voulons la solidarité avec la Grèce, mais que nous voulons un autre équilibre entre croissance et réduction des déficits et que l'on s'attaque enfin à la racine des problèmes. L'Europe a besoin non pas de pompiers, mais d'architectes qui réguleront enfin sérieusement la finance, qui mettront en place un véritable gouvernement économique, et qui nous doteront de la politique industrielle et des armes commerciales permettant à notre continent de retrouver son poids dans la mondialisation.